Dom Etienne Chenevière, abbé cistercien dont nous avons présenté récemment le parcours, a été amené à prendre un temps de retraite au désert : de son année de noviciat chez les ermites camaldules, il a tiré la sagesse d’un petit livre vivifiant – « L’Ermitage », dont nous livrons quelques perles dans trois articles, qui reprennent les trois parties du livre (le désert, la montagne, le Temple).
Temple de la Création
« Pour qui sait regarder, la planète est toujours le paradis terrestre. « Les créatures sont comme une trace des pas de Dieu. » Lui qui est la beauté infinie n’a pas dédaigné de rayonner pour nous et d’attirer sur elle notre attention. »
« Ce sera peut-être votre unique joie humaine qui ne soit pas panachée de tristesse. La créature inintelligente est la seule qui n’ait pas déçu son Créateur et qui se plie sans faute ni résistance à toutes ses volontés. Regardez-la : dans tout son être, elle chante la gloire de Dieu. »
« Vous qui vivez déjà de la vie future, n’admirez rien que dans la relation qui unit chaque être à sa source intelligente et aimante, à cette Providence, dont la main paternelle répand sur tout ses bénédictions. Dieu ne dédaigne pas de se parer, dans l’Écriture, de la splendeur des éléments de notre planète. La lumière est le « manteau » dont il se drape avec éclat ; les nuées son « char » et les « ailes du vent » son coursier ; le tonnerre « sa voix », les ténèbres son « voile ». »
« Jésus-Christ aimait à déchiffrer le sens divin de la nature en se penchant sur les plus humbles merveilles, que tant d’autres distraits foulent au pied : l’herbe que Dieu revêt et les fleurs des champs plus magnifiques que les atours de Salomon, le roseau que le vent incline, les sources rafraîchissantes, les nuages empourprés du soir ou du matin, la campagne où frissonnent les moissons, les sentiers rocailleurs, l’éclair qui déchire l’espace, la lumière étincelante, etc. »
« L’éclat du soleil, la clarté de la lune, évoquent JÉSUS, le Soleil de Justice et la Vierge Marie enveloppée de sa lumière, reposant ses pieds sur le croissant. Qui formera votre âme à cette respiration surnaturelle ? La solitude, la méditation des Écritures, la connaissance amoureuse du Christ des Évangiles, la prière constante dans l’atmosphère du Pater. »
« « Je t’ai planté comme un cep de choix » murmure votre vigne. – Que pouvais-je faire pour ma vigne que je n’aie pas fait ? » – Écoutez mes leçons, chuchote le figuier – Le lis vous suggère Jésus – et la rose Marie, comme aussi tout votre petit domaine qui est cet « hortus conclusus » dans lequel entre seul l’Époux. »
Le lieu de la Présence
« Cette pensée de l’Eucharistie doit vous être familière. La réclusion en cellule ne vous exile pas de l’église. Les yeux du cœur percent les murs et votre âme est aimantée vers le Tabernacle. C’est au Temple que Dieu donnait audience à son peuple. Mais l’entrevue ne peut se comparer à vos rencontres avec Jésus-Hostie. »
« Dieu habite votre cœur et votre cellule. Cependant, il ne peut être indifférent d’approcher l’Humanité de Jésus. Il est l’Évangile toujours vivant, celui-là même dont vous enviez aux Apôtres la familiarité. Vous n’aurez jamais plus de lumière sur le sens des Écritures que par l’Eucharistie : c’est la même Vérité divine dans la « Lettre », dans la « Chair » sous l’apparence du « Pain ». Comme autrefois, le Christ est là « enseignant la voie de Dieu ». »
« Bien que tout soit en Lui et qu’il remplisse tout, Dieu voulait être adoré spécialement dans le Temple. Sa présence dans l’Hostie justifie la volonté de l’Église. Elle nous enseigne qu’aucune prière n’est agréée de Dieu qui ne lui soit présentée par Jésus-Christ, le parfait Adorateur du Père, le seul qui soit écouté… »
« Habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie »
« Vous aimez la « Maison de Dieu », cet édifice de pierres qui vous dit tant de choses. C’est le lieu des audiences et des hommages publics. Habituez-vous à chercher Dieu en Jésus, à prier « par Lui, en Lui, avec Lui ». »
« L’Ermite, qui vit dans un contact permanent avec Notre-Seigneur, a besoin d’une foi très vive en sa divinité, faute de quoi il glisse dans le sans-gêne ou l’atonie des sentiments. Aimez-le avec une sainte passion, croyez en sa bonté, sa miséricorde, son amitié, puisqu’il vous l’offre. Souvenez-vous, pourtant, que cette amitié, de l’ordre de celle que la grâce établit entre Dieu et notre âme, n’a rien de commun avec la camaraderie des hommes. »
« Jésus contemple les infinies perfections de son Père, qu’il voit face à face, et livre son cœur au feu de la charité. C’est là la « vie éternelle » que son Humanité a commencé de vivre ici-bas dans la vision béatifique, et dont l’Ermite fait profession de se rapprocher le plus possible. »
« À l’imitation de Jésus, chantez la louange de Dieu, livrez-vous à tous ses vouloirs, laissez-Le régner sur votre intelligence par la foi, sur votre cœur par la charité, sur vos désirs par l’espérance, en union avec le Christ. »
« Faites-le par lui. Il est l’unique médiateur, Dieu j’agrée rien, ni prière, ni sacrifice, que des mains de Jésus-Christ. »
« Mettez-vous, comme Lui, en présence du Dieu transcendant : c’est l’unique méthode pour acquérir l’humilité. Cette contemplation vous immerge dans la vérité et vous fait prendre conscience de votre néant jusqu’à la douleur, de la grandeur de Dieu jusqu’à la jubilation. »
« Ce n’est pas un mirage : Marie est bien la Reine du Désert. À elle d’abord il fut dit par Dieu qu’il l’y attirerait pour lui parler au cœur, et d’une manière unique, puisque la « Parole » incréée est descendue en elle pour y habiter. C’est dans la solitude, le silence, qu’elle conçut en grand secret. Elle revient vers le monde, sans jamais être du monde, pour lui donner son Bien-Aimé et nous prendre en charge. »
« Elle est l’oasis du désert où s’abrite la Source des eaux rafraîchissantes. Elle est aussi le « Tabernacle du Dieu très-haut ». Une des plus grandes grâces qui puissent vous être accordées, c’est de découvrir ce Temple marial et d’y pénétrer pour aborder Jésus. Il est toujours « vivant en Marie » et comme les Mages, vous ne trouverez pas l’un sans l’autre. »
« Souvenez-vous que Marie n’est pas seulement la Mère de Dieu, mais aussi la vôtre, à qui vous devez tout dans l’ordre de la grâce. Elle a donné Jésus au monde, elle vous le donne, à vous. Elle l’a fait naître en votre âme au Baptême, elle l’y fait croître et vous façonne à son image. Rien ne vous vient de Dieu qui ne passe par Elle. »
« Jésus est la lumière, Marie le chandelier ; Jésus est la Manne, Marie l’Urne qui la contient ; jésus est l’encens, Marie l’autel d’or qui le porte ; Jésus est le charbon ardent, Marie l’encensoir où il brûle ; Jésus est le Pain de Vie, Marie la table où il nous est offert ; Jésus est le Dieu adorable, Marie le Saint des Saints où il reçoit nos adorations. »
« C’est en vue de ce « mariage divin », de cette collaboration, qu’il l’a enrichie de tant de privilèges qui font d’Elle, corps et âme, le temple le plus pur et le plus beau qui fut jamais : pur par sa Conception immaculée, beau par sa plénitude de grâce. »
« Par Elle, la vie de Jésus s’écoule en vous. Dans votre pèlerinage si périlleux du désert, vous avez, plus que personne, besoin de secours. Vous avez faim et soif de divin. »
« Respirez le parfum d’encens qui monte de ce sanctuaire. Âme contemplative s’il en fut, Marie ne quittait jamais la présence de Dieu. Elle ne s’épanchait pas en paroles. Elle exposait son âme vierge à la chaude lumière de l’amour de Dieu pour être pénétrée de ses rayons. »
« Si vous pouviez être comme Elle : « pure capacité de Dieu ». »
« Vous ne pouvez avoir qu’un désir : prêter l’oreille à cet éternel Gloria qui retentit au fond de votre âme. Il ne peut s’entendre que dans la pureté, le silence et la paix. »
« Vous pensez qu’aimer Dieu c’est lui donner quelque chose ? Livrez-lui accès, il ne demande rien d’autre, car aimer Dieu c’est s’offrir aux libéralités de son amour à Lui, c’est le laisser nous aimer. »
« Marie ne désire rien, sinon d’être en plénitude la « Servante de Dieu » au sens où saint Paul aimera s’en dire l’« esclave ». Remarquez cette similitude des dispositions intérieures de la Mère et du Fils. Jésus vient aussi pour servir le Père et se fait « esclave » de ses volontés. L’humilité et la soumission confiante naissent infailliblement et seulement du sens de Dieu et de l’esprit d’adoration. »
« Elle parle peu, mais ce qu’elle dit change le destin du monde et peut bouleverser votre existence. Toute votre sagesse devant Dieu tient dans ces trois mots tombés de ses lèvres : Ecce, Fiat, Magnificat. »
« « Me voici », c’est l’offrande généreuse de l’abandon, la remise inconditionnée de soi, dans la totale ignorance d’un avenir que Dieu seul connaît et se réserve de faire. Il vous faut une foi solide dans la Paternité de Dieu. »
« C’est un sommet, comprenez que vous n’y accéderez pas au premier jour. Dites bien la seconde demande du Pater : « Que votre volonté soit faite », la vôtre se cabrera de moins en moins, domptée par l’amour. »
« Entraînez-vous d’abord au Fiat devant les vouloirs positifs du Seigneur. Vous ne savez où poser le pied, et votre effort est circonscrit nettement. L’incertitude vous est épargnée et votre responsabilité ne porte que sur la correspondance. »
« Le Temple de l’économie nouvelle, le voici : l’Église unie au Christ, comme dans un corps le tronc à la tête, recevant de lui toute sa vie. Vous-même êtes, pour votre part, membre de cet organisme surnaturel et par lui « membre du Christ Lui-même ». Dieu a constitué Jésus « tête pour l’Église, laquelle est son corps ». »
« Depuis, elle vous prodigue, par les sacrements, sa vie qui est celle de Jésus. Elle fertilise votre désert et pourvoit à vos nécessités. Elle apaise votre faim, étanche votre soif, par l’Eucharistie dont elle est la gardienne et la dispensatrice. Par la Pénitence, elle panse vos plaies et enrichit votre âme. Son infaillible autorité balise votre itinéraire. »
« L’Église n’est pas une allégorie. Sous la conduite de sa hiérarchie, elle est formée de ces myriades de fidèles auxquels nous unissent les liens réels de la charité. »
« Vous portez une part de responsabilité dans la croissance et l’épanouissement de ce Corps mystique du Christ qui n’atteindra sa pleine et définitive maturité qu’à la fin du monde. »
« La beauté et la force spirituelle de toute l’Église est faite de la perfection de chacun. Saint Paul insiste sur le devoir de croissance individuelle de laquelle dépend celle du Corps entier. En ce sens, Elisabeth Leseur avait raison : » Toute âme qui s’élève élève le monde. » Il ne vous est pas permis de végéter dans une tour d’ivoire. »
« La Communion sera la grande force et la plus douce consolation de votre solitude ; elle vous donne Dieu Lui-même. Elle resserre aussi les liens qui vous rattachent par l’Église à toutes les âmes. L’hostie formée de myriades de particules de farine vous rappelle les innombrables frères qui partagent votre « repas » et la multitude des invités dédaigneux que vous devez suppléer en attendant de leur obtenir de s’asseoir à la même table. »
« Tournez souvent votre cœur vers le ciboire et appelez Jésus à vous. La communion spirituelle est peut-être la plus féconde prise de contact avec Dieu au long de la journée ; elle ratifie en même temps votre appartenance à l’Église, et votre universelle charité. »
« Votre sacrifice est au service de la Communauté chrétienne, non une ascèse étriquée dont les fruits se rapportent à vous. Vous ne seriez alors plus une véritable « hostie vivante, sainte, agréable à Dieu ». »
« Ne cherchez Dieu ni dans un lieu, ni dans l’espace. Fermez les yeux de votre corps, enchaînez votre imagination, et descendez en vous-même : vous êtes au Saint des Saints où habite la Sainte Trinité. »
« Vous savez ce que signifie cette présence : tout autre chose que celle du Créateur dans sa. Créature. Par elle, vous contractez une amitié divine qui vous introduit dans l’intimité de la Trinité, votre Hôte. »
« N’est-il pas étrange que l’homme, construit pour s’épanouir dans la contemplation qui le dilate à la mesure de Dieu, préfère l’action qui le ramasse sur lui-même dans la volonté de vaincre ? Il est plus aisé d’agir que de faire oraison : ici l’initiative appartient à Dieu, là elle est nôtre et nous n’aimons pas aliéner notre liberté, fût-ce au profit du Seigneur. Pour la foi, c’est une sorte d’énigme que la plupart aient la contemplation en aversion, la regardant comme le luxe des chrétiens oisifs. »
« Vous ne pouvez, sans joie, songer à ce qui se passe au fond de vous-même. À l’instant où vous vous alimentez, vous récréez, sommeillez, le Père, en votre âme, engendre son divin Fils. »
« Essayez de percevoir dans la foi quelque chose de ces échanges d’amour et de louanges entre les Divines Personnes qui sont la vie de la Trinité, sa gloire, dont votre âme est irradiée. »
« La gloire du Père, c’est son Fils qui reçoit et reflète à égalité toutes ces perfections. Il est sa Parole intérieure, son chant. Il le loue comme la source de tous les biens divins, le « Principe ». »
« La gloire du Fils, c’est le Père qui témoigne, en l’engendrant parfait comme Lui, de sa transcendante beauté. »
« La gloire de l’Esprit Saint, c’est la joie mutuelle du Père et du Fils dont il est le baiser substantiel. »
« En redisant, en union avec la Trinité, cet ineffable « Gloria », vous communiez à sa béatitude. »
« C’est en vous, temple de la divinité, que palpite ce cœur de Dieu, c’est au centre même de votre âme que se déroule cette merveilleuse vie trinitaire. »
« Où est donc Jésus ? « Dans le sein du Père. » La foi et la charité, participation à la connaissance que Dieu a de lui-même, à l’amour qu’il se porte, vous plongent dans le courant vital de la circumincession. »
« Cela ne peut se vivre que dans la foi vive, la nudité de l’esprit et le silence. Aucune créature, aucune image ne vous aidera. Si le créé vous révèle la nature de Dieu, il ne vous dit rien de sa vie. Il faut, pour y atteindre, dépasser les choses terrestres et les oublier. »
« C’est l’Esprit du Fils, que Dieu a envoyé à votre cœur, qui crie : « Abba, Père », qui en des gémissements ineffables, demande pour vous « ce qui correspond aux vues de Dieu », c’est à dire pour vous la parfaite union avec Lui. »
« Si misérable que vous soyez, l’adoration dans laquelle votre égoïsme ne peut entrer pour rien, sera toujours pour vous une sortie bienheureuse de votre moi obsédant. La félicité de Dieu sera votre bonheur : c’est le suprême désintéressement de la charité vraie. »
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