Dans les articles précédents, nous avons montré que la Bible, loin d’être falsifiée ou corrompue, est intacte et reste une autorité pour les Musulmans eux-mêmes (sourate 10, 94), puis que Chrétiens et Musulmans n’ont pas le même Dieu. Nous abordons aujourd’hui la question de la crucifixion de Notre-Seigneur.
La croix dans le Coran
D’après le Coran, « Jésus » (ou plutôt, sa version coranique « Issa »)[1]En raison de la différence entre les deux figures, nous employons le nom de Notre-Seigneur entre guillemets quand il s’agit de sa « version islamique ». Pour la question des similitudes et … Continue reading n’a pas été crucifié :
Et parce qu’ils ont dit : “Nous avons tué le Messie, Jésus fils de Marie, le Messager d’Allah”. Or ils ne l’ont point tué, pas plus qu’ils ne l’ont crucifié, mais ils étaient victimes d’une pure illusion. Ceux dont les avis étaient partagés à son sujet sont restés dans le doute : ils n’en ont aucune science et ne font que recourir aux supputations. Certainement, ils ne l’ont point tué[2]sourate 4, 157, Traduction musulmane Montada, accessible en ligne sur https://quranenc.com/en/browse/french_montada/ (consulté le 13/06/2024)..
D’après les commentateurs classiques du Coran (par exemple, Ibn Kathir)[3]Voir son interprétation, accessible en ligne (consulté le 13/06/2024)., un disciple d’Issa aurait miraculeusement reçu l’apparence de son maître, et aurait été ainsi arrêté et crucifié à sa place, tandis qu’Issa fut emporté auprès d’Allah. C’est ce qui est enseigné en 4, 158 : « C’est plutôt Allah Qui l’a élevé à Lui ».
Première remarque : Allah tromperait-il les siens ?
Plusieurs remarques peuvent être faites quant à cette affirmation de « non-crucifixion » de « Jésus ».
Tout d’abord, pourquoi Allah a-t-il cherché à tromper les juifs et les chrétiens en faisant mourir quelqu’un d’autre à la place de « Jésus » ? N’aurait-il pu le sauver directement sans faire mourir quelqu’un d’autre ? Et ne pouvait-il prévoir les conséquences de la méprise, vu le nombre de chrétiens qui ont cru dans la Passion et la Résurrection du Christ ? Et s’il les a prévues, que penser d’une telle tromperie ?
Notons en passant que l’idée d’un sosie crucifié à la place de Jésus se retrouve chez des chrétiens hérétiques et des gnostiques (par exemple, Basilide, mentionné par Saint Irénée de Lyon dans son Contre les hérésies), empreints de « docétisme » (du grec dokein, « paraître » ; doctrine selon laquelle le Christ n’avait qu’une apparence de corps humain)[4]Cf. Abbé Bernard Lucien, Apologétique. La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Brannay, Nuntiavit, 2011, p. 536..
Seconde remarque : le récit coranique littéral confirme l’Évangile
Ensuite, nous pouvons faire observer que le récit coranique prouve que ce que le Nouveau Testament rapporte est vrai : les témoins oculaires ont vu Jésus être crucifié et mourir sur la croix. On ne peut dire qu’ils ont menti, puisqu’ils ont dit ce qu’ils ont vu : quelqu’un qui avait l’apparence, la voix … de Jésus.
En passant, nous pouvons relever une incohérence : dans le verset 4, 157, ce sont les juifs qui parlent et disent avoir crucifié le Messie. Mais s’ils avaient reconnu en « Jésus » leur Messie, l’auraient-ils crucifié ?
Par ailleurs, la négation de la mort de « Jésus » contredit un autre verset du Coran, selon lequel il annonce sa mort : « La paix soit sur moi le jour où je suis né, le jour où je serai mort et le jour où je serai ressuscité » (19, 33). De même, si « Jésus » n’est qu’un messager comme les autres (5, 75), comment se fait-il qu’il ne soit pas mort à l’instar des autres messagers (3, 144) ? Et comment expliquer qu’il ait bénéficié d’une protection particulière d’Allah, au contraire de Mahomet, qui est mort empoisonné ?[5]Cf. Sahih al-Bukhari, hadith 3938, en ligne (consulté le 13/06/2024).
Enfin, avec l’abbé Pagès, nous pouvons poser la question :
Quel musulman était là, six siècles avant la naissance de Mahomet pour savoir ce qui s’est réellement passé ? Quelle preuve l’islam avance-t-il pour justifier la négation de la Mort de Jésus en Croix ? Faut-il refuser de croire à l’accomplissement historique de la Promesse de Dieu uniquement parce que le Coran le demande ? »[6]Abbé Pagès, op. cit., p. 229..
La crucifixion : un événement historique
Nous pouvons également rappeler que la crucifixion du Christ est un évènement historique attesté dans les documents antiques, non seulement les documents chrétiens (Nouveau Testament et textes patristiques du 1er siècle), mais également dans des documents non-chrétiens.
Dans le Nouveau Testament, mentionnons par exemple le témoignage de saint Paul : « nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils » (1Co 1, 23) ; ou encore : « s’il [le Christ] a été crucifié en raison de sa faiblesse, il vit par la puissance de Dieu » (2Co 13, 4).
Parmi les témoignage patristique, citons saint Ignace d’Antioche (mort en 107) :
[…] Pour moi, mes archives, c’est Jésus-Christ ; mes archives inviolables, c’est sa croix, et sa mort, et sa résurrection et la foi qui vient de lui ; c’est en cela que je désire, par vos prières, être justifié[7]Ignace d’Antioche, Lettre aux Philadelphiens, 8, 2.
Parmi les témoignages non-chrétiens, mentionnons par exemple l’historien païen Tacite (55-118), qui écrit dans ses Annales (entre 115 et 118) que Néron, que la rumeur accusait d’avoir mis le feu à Rome,
« offrit d’autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d’hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procureur Ponce Pilate » (Annales, 15.44).
Mentionnons encore le Talmud juif de Babylone (composé au 4e siècle de notre ère), qui rapporte des propos injurieux à l’encontre de Notre-Seigneur, et confirme qu’il a été crucifié ; ou encore un texte de Lucien de Samosate, qui dans son de morte Peregrini (vers 165) mentionne le Christ et sa crucifixion[8]Nous renvoyons à l’article de Robert Brevelay, « L’existence de Jésus, un fait historique avéré. Réponse à Michel Onfray », dans Tu es Petrus (n°41, 1er trimestre 2024), p. 91-104..
Les faits sont les faits
« La mort réelle de Jésus ne laisse place à aucun doute »[9]Abbé Bernard Lucien, op. cit., p. 535.. Les quatre Évangiles, ainsi que les Actes des Apôtres, concordent sur ce point, attesté tant par les disciples (cf. Mt 27, 50 ; Mc 15, 37 ; Lc 23, 46 ; Jn 19, 30 ; Ac 5, 30) que les ennemis du Christ, juifs (Mt 27, 63 ; Ac 5, 28) et romains (Jn 19, 32-34 ; Mc 15, 39.44).
L’abbé Lucien fait l’observation suivante : « historiquement et psychologiquement, il est tout à fait impossible que les premiers chrétiens aient inventé la mort ignominieuse de Jésus sur la croix. L’horreur suscité par ce mode d’exécution était encore vive au premier siècle et les évangélistes eux-mêmes ne s’attardent pas en descriptions rhétoriques. Ici le critère d’embarras joue à plein en faveur de l’historicité du fait »[10]Op. cit, p. 537..
Nier la croix ou la glorifier ?
Puisque la croix est « l’Heure » de Jésus et sa glorification (cf. Jn 13, 1 et 17, 1), « en niant la Mort de Jésus et donc son œuvre de rédemption, l’islam fait-il autre chose que rendre Jésus insignifiant ? »[11]Abbé Pagès, op. cit. p. 229..
Loin de cacher la crucifixion de Notre-Seigneur, nous nous glorifions « dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ » (Ga 6, 14), et « nous proclamons un Christ crucifié » (1Co 1, 23), « afin de le connaître, lui et la vertu de sa résurrection, d’être admis à la communion de ses souffrances, en lui devenant conforme dans sa mort, pour parvenir […] à la résurrection des morts » (Ph 3, 10-11).
Références[+]
↑1 | En raison de la différence entre les deux figures, nous employons le nom de Notre-Seigneur entre guillemets quand il s’agit de sa « version islamique ». Pour la question des similitudes et différences entre Jésus et le Issa du Coran, nous renvoyons aux chapitres « G », « N » et « O » du livre de l’Abbé Guy Pagès, Interroger l’islam. Mille et une questions à poser aux musulmans (4e éd.), Poitiers, DMM, 2018. |
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↑2 | sourate 4, 157, Traduction musulmane Montada, accessible en ligne sur https://quranenc.com/en/browse/french_montada/ (consulté le 13/06/2024). |
↑3 | Voir son interprétation, accessible en ligne (consulté le 13/06/2024). |
↑4 | Cf. Abbé Bernard Lucien, Apologétique. La crédibilité de la Révélation divine transmise aux hommes par Jésus-Christ, Brannay, Nuntiavit, 2011, p. 536. |
↑5 | Cf. Sahih al-Bukhari, hadith 3938, en ligne (consulté le 13/06/2024). |
↑6 | Abbé Pagès, op. cit., p. 229. |
↑7 | Ignace d’Antioche, Lettre aux Philadelphiens, 8, 2 |
↑8 | Nous renvoyons à l’article de Robert Brevelay, « L’existence de Jésus, un fait historique avéré. Réponse à Michel Onfray », dans Tu es Petrus (n°41, 1er trimestre 2024), p. 91-104. |
↑9 | Abbé Bernard Lucien, op. cit., p. 535. |
↑10 | Op. cit, p. 537. |
↑11 | Abbé Pagès, op. cit. p. 229. |