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Histoire du canon du Nouveau Testament (4/4)

Les cavaliers de l'Apocalypse par Viktor Vasnetsov — Domaine public, httpscommons.wikimedia.
Après avoir découvert dans un premier article (lire ici) la notion de canon et montré que la liste des écrits sacrés retenus par l’Église ne peut procéder d’une invention de sa part, nous avons considéré dans un second article (lire ici) l’apostolicité et la transmission ininterrompue de ces textes comme critères de leur canonicité, nous avons répondu dans un troisième (lire ici) à des objections courantes relatives à certains textes sacrés. Nous nous arrêtons ici sur les cas difficiles de l’Apocalypse et de l’épitre aux Hébreux, avant de conclure sur la formulation définitive et la confirmation du canon du Nouveau Testament.

Le cas de l’Apocalypse

Nous avons la preuve que l’Apocalypse fut reçue comme canonique dès les débuts, notamment en Orient : Théophile d’Antioche la cite, comme d’autres auteurs orientaux mentionnés plus haut. Ce n’est que dans un second temps que sa canonicité fut contestée. Tout a commencé avec un doute sur l’origine johannique de ce livre :

Elle est refusée à saint Jean l’Évangéliste par Denys d’Alexandrie (190–264), qui cependant n’ose la retirer du recueil sacré[1]Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 132..

Le doute de Denys influença Origène, qui transmit cette réserve aux Églises de Syrie. Puis, Eusèbe de Césarée, par son Histoire ecclésiastique, fixa durablement cette suspicion.

  • L’Apocalypse est omise par saint Cyrille de Jérusalem (313–386) dans son canon.
  • Elle disparaît de l’Église d’Antioche, tout en se maintenant en Asie Mineure, chez saint Basile, saint Grégoire de Nysse et très probablement saint Grégoire de Nazianze[2]Marie-Joseph Lagrange, cit., p. 132..

Antioche influença ensuite Constantinople, et avec l’influence de la capitale impériale, ce fut au tour de l’Asie Mineure :

 Tandis que l’Égypte et l’Occident vont régler le contenu du Nouveau Testament, l’Orient, commençant son existence séparée, bientôt dirigé par Constantinople, qui s’érige peu à peu en rivale de Rome, n’aboutira à aucune conclusion, et n’aura à proposer comme règle disciplinaire que les listes des anciens, souvent contradictoires, jusqu’au jour où il se trouvera reconquis par l’ancienne tradition[3]Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 133..

Il faudra attendre le VIᵉ siècle pour que ces Églises orientales reviennent à leurs traditions premières.

Le cas de l’Épître aux Hébreux

La même chose est arrivée à l’Épître aux Hébreux. Elle était assurément connue et reconnue à Rome dès saint Clément (vers 90). Hippolyte de Rome, dans son traité Contra Noetum, s’appuie sur elle pour étayer sa théologie du sacerdoce du Christ.

Or, elle ne figure plus comme canonique dans le canon de Muratori. Pourquoi ?

Eusèbe nous en a donné la raison : l’Église romaine, très attachée au principe de l’origine apostolique, ne trouvait pas le nom de Paul en tête […] On doutait qu’elle fût de lui[4]Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 178..

C’est la tradition alexandrine qui restaura en Occident l’origine apostolique de cette épître. Pour les Alexandrins, la paternité paulinienne était certaine, et l’objection du style était expliquée par l’hypothèse d’un secrétaire utilisé par saint Paul.

Une autre raison de l’éclipse temporaire de certains écrits fut leur mauvaise interprétation par certains individus, ou leur cupération par des sectes hérétiques. L’Apocalypse souffrit d’une lecture millénariste (règne de mille ans du Christ sur la terre avant le Jugement dernier) dans les milieux syriaques, et l’Épître aux Hébreux, d’une interprétation rigoriste dans les milieux romains, notamment lors de la crise des lapsi, qui paraissait en contradiction avec la position du pape saint Calliste, favorable à la réintégration des chrétiens tombés dans l’apostasie.

Ne rien ajouter, ne rien éliminer

Nous pouvons donc dire que l’Église n’a rien ajouté à son Nouveau Testament, ni rien éliminé :

Elle a eu à cœur de conserver tout ce qui avait la garantie apostolique et de n’y rien ajouter[5]Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 178..

Certains doutes sont survenus, suscités par des raisons de critique interne. Cette remise en question prétendait s’appuyer sur des procédés de critique, mais l’Église n’a pas suivi cette voie. Elle a considéré qu’elle n’avait pas à juger d’un écrit qui lui avait été transmis comme apostolique et inspiré. Dans ce cas, elle n’était pas libre de le rejeter ; il lui suffisait d’en user selon son pouvoir d’interprétation. La vraie question était alors de savoir si elle possédait cet écrit comme tel. C’est là qu’intervint le critère de la possession traditionnelle et de l’usage.

Saint Augustin a connu les difficultés soulevées par la critique à l’égard de tel ou tel livre, et il a estimé qu’il fallait y répondre par le suffrage des Églises :

 Dans les Écritures canoniques, qu’il suive l’autorité des Églises catholiques les plus nombreuses. Parmi celles-ci, il faut accorder une place particulière à celles qui ont mérité d’avoir des Sièges apostoliques et de recevoir des Lettres [apostoliques]. Il observera donc cette règle concernant les Écritures canoniques : il préfèrera celles qui sont reçues par toutes les Églises catholiques à celles qui ne sont pas acceptées par certaines. Et parmi celles qui ne sont pas acceptées par toutes, il privilégiera celles qui sont reçues par les Églises les plus nombreuses et les plus dignes de considération, par rapport à celles qui sont tenues par un plus petit nombre d’Églises, et d’une autorité moindre. Si toutefois il trouve que certaines sont reçues par un plus grand nombre, et d’autres par des Églises plus éminentes, bien que cela soit difficile à découvrir, je pense qu’il faut les tenir pour égales en autorité[6]Saint Augustin, De Doctrina Christiana, II, 8..

Ainsi, les chefs des grandes Églises, notamment Rome et Alexandrie, après concertation, discussions, et en s’appuyant sur l’usage liturgique des Églises ainsi que sur la tradition des anciens, se sont accordés et ont définitivement fixé le canon.

Les Syriens, puis Constantinople, ont continué d’abord à faire bande à part, avant de rejoindre l’Église universelle dans une croyance qui avait été la leur :

Pourtant, des esprits critiques ont entretenu les doutes de ceux qui les avaient précédés, doutes plutôt académiques, qui ne tenaient pas en pratique[7]Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 178..

La décision romaine du début du Ve siècle

L’Église romaine se prononça clairement dès le début du Ve siècle. Saint Exupère de Toulouse, évêque et ami de saint Jérôme, préféra s’en remettre au pape Innocent Ier pour une réponse sûre. Il en reçut une lettre datée de février 405. Après avoir énuméré le canon de l’Ancien Testament, le pape ajoute :

Dans le Nouveau Testament : les quatre Évangiles, les quatorze lettres de Paul, trois de Jean, deux de Pierre, une de Jude, une de Jacques, les Actes des Apôtres et l’Apocalypse de Jean. Quant aux autres écrits, soit sous le nom de Matthias ou de Jacques le Mineur, soit sous le nom de Pierre et de Jean (écrits par un certain Leucius), ou encore sous le nom d’André (écrits par Xenocharide et Léonide, des philosophes), soit sous le nom de Thomas, ou tout autre écrit semblable, non seulement ils doivent être rejetés, mais sache qu’ils doivent aussi être condamnés[8]Saint Innocent Ier, Lettre à saint Exupère de Toulouse..

 La question du Canon du Nouveau Testament était donc tranchée par une décision nette, et le concile de Trente et celui du Vatican ne feront que la ratifier, en la définissant comme un dogme de foi. Au Ve siècle, le Pape ne manifeste aucune intention de proclamer un dogme dont on ne saurait s’écarter sans encourir l’anathème. La communion n’est pas rompue, ni même menacée, avec l’Église de Constantinople, ni avec son pasteur, saint Jean Chrysostome, que le pape Innocent allait prendre sous sa protection[9]Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 151..

Conclusion

Ainsi, l’histoire du canon consiste moins en une construction progressive qu’en une défense vigilante du dépôt originel, visant à empêcher aussi bien les ajouts que les retranchements :

 Conçue de cette manière, l’histoire du Canon se développe dans une bonne lumière, et elle est tout à l’honneur des chefs de l’Église, sinon toujours à l’honneur des savants et des critiques.
Au début, une révélation divine, largement répandue, accessible à tous, portant sur une catégorie de livres qu’on pouvait reconnaître, à mesure qu’ils paraissaient, comme l’œuvre des Apôtres, avec une porte ouverte pour une exception, Marc et Luc, aussitôt ratifiée et enregistrée.
Ensuite, la conservation de ce dépôt contre les envahissements et les diminutions qui le menaçaient.
Au commencement du Ve siècle, la question est résolue par le Siège apostolique, d’après la tradition demeurée fidèle à la Révélation première[10]Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 175..

Et le Père Lagrange de conclure :

La question posée par la constitution du Nouveau Testament n’est pas, comme le disent les critiques protestants : Comment les livres du Nouveau Testament sont-ils devenus Écriture Sainte ?
Mais bien : Les écrits des Apôtres, ou garantis par eux, étant dès leur origine au-dessus de l’Ancien Testament, comment l’Église a-t-elle résolu les doutes soulevés sur quelques points ?
La réponse est : par sa tradition. Et les critiques modernes n’ont point prouvé qu’elle ait eu tort[11]Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 151..

Références

Références
1 Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 132.
2 Marie-Joseph Lagrange, cit., p. 132.
3 Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 133.
4, 5, 7 Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 178.
6 Saint Augustin, De Doctrina Christiana, II, 8.
8 Saint Innocent Ier, Lettre à saint Exupère de Toulouse.
9, 11 Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 151.
10 Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 175.
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