Rechercher
Rechercher
Rechercher
Rechercher

Histoire du canon du Nouveau Testament (2/4)

Image par AJ jaanko de Pixabay
Nous avons rappelé dans un premier article (lire ici) ce qu’était un « canon », et pourquoi l’Église n’a pas pu « inventer » une liste des textes saints. Nous poursuivons notre réflexion en interrogeant le concept d’inspiration : les auteurs sacrés (les apôtres notamment) étaient-ils conscients d’être inspirés ? Comment les apôtres furent-ils les premiers dépositaires et transmetteurs de la Révélation ?

Dieu a-t-il voulu transmettre sa Parole par des auteurs inspirés ?

Le fait qu’existent des écrits datant du temps apostolique, relatant la vie du Christ, sa doctrine et celle des apôtres, est indéniable. La question que nous nous posons est celle de savoir s’ils furent rédigés sciens et volens, c’est-à-dire en pleine conscience de leur caractère inspiré et régulateur de la foi, et de savoir qui avait autorité pour mettre par écrit la Parole de Dieu, destinée à devenir norme de foi pour les générations présentes et futures ?

Si le point de départ évident est le Christ, la seule parole incontestée que nous ayons de lui, conférant à des tiers l’autorité d’enseigner en son nom, est celle adressée aux Douze qui, selon la Tradition, étaient encore présents à la Pentecôte (Matthias y avait remplacé Judas) :

 Celui qui vous écoute m’écoute ; celui qui vous rejette me rejette ; et celui qui me rejette, rejette celui qui m’a envoyé[1]Lc 10, 16..

Il semble donc qu’un charisme d’infaillibilité dans l’enseignement de la foi ait été donné à ceux qui reçurent l’Esprit-Saint le jour de la Pentecôte, puisque, au moment de son Ascension, Notre-Seigneur les envoie en mission avec cette promesse :

Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde[2]Mt 28, 19-20..

Mais l’Église est, dès son origine, une société hiérarchique, avec à sa tête le collège des apôtres, dont Pierre est la clef de voûte :

Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, et la pierre angulaire, c’est Jésus-Christ lui-même[3]Ep 2, 20..

La muraille de la ville avait douze fondations, et sur elles les douze noms des douze apôtres de l’Agneau[4]Ap 21, 14.

Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église[5]Mt 16, 18-19..

Les apôtres avaient-ils conscience de leur charisme d’inspiration ?

Le Christ a confié à ses apôtres la mission d’enseigner sa doctrine. C’est à eux qu’il a remis l’autorité régulatrice, c’est-à-dire le pouvoir de discerner ce qui est ou non conforme à son enseignement. Cette autorité, les apôtres en ont eu conscience dès le début :

  • Saint Paul :

« Ce n’est pas d’un homme que je l’ai reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus Christ. » (Ga 1, 12)
« Ainsi donc, frères, tenez ferme et gardez les traditions que nous vous avons enseignées, soit de vive voix, soit par lettre. » (2 Th 2, 15)
« Mais si quelqu’un — même nous, même un ange venu du ciel — vous annonçait un Évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! […] Je le répète : si quelqu’un vous annonce un Évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! » (Ga 1, 8-9)

  • Saint Jean :

« Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises. » (Ap 3, 22)

  • Saint Jude :

« Il était nécessaire de vous écrire pour vous exhorter à combattre pour la foi transmise aux saints une fois pour toutes. » (Jude 3)

  • Saint Luc :

« Ils étaient assidus à l’enseignement des Apôtres. » (Ac 2, 42)

L’autorité d’enseignement résidait donc dans les apôtres et ceux qu’ils avaient agrégés à leur ministère, comme ce fut le cas de Matthias, qui fut associé au collège apostolique :

 Il faut que l’un d’eux devienne avec nous témoin de sa résurrection[6]Ac 1, 20-26..

Ou encore de Timothée, avec saint Paul :

Ce que tu as entendu de moi […] confie-le à des hommes fidèles, capables à leur tour d’en instruire d’autres[7]2 Tm 2, 2..

Peut-on dire que les disciples des apôtres jouissaient eux aussi d’un charisme d’infaillibilité ? Nous ne possédons aucun écrit canonique, à titre personnel, émanant de l’un de ces soixante-douze. Il nous est donc impossible de vérifier cette assertion dans les faits.

Le cas de saint Luc et de saint Marc est différent, car ils n’ont pas écrit en leur nom propre, mais au nom d’un apôtre : saint Paul pour le premier, saint Pierre pour le second. Ainsi témoigne saint Irénée de Lyon :

Les Apôtres, après avoir reçu, par l’Esprit Saint, la parfaite connaissance, sont partis jusqu’aux extrémités de la terre proclamer la Bonne Nouvelle des biens venant de Dieu, en annonçant la paix du ciel aux hommes. Eux tous — et également Matthieu — parmi les Hébreux, dans leur propre langue, mit par écrit un Évangile, pendant que Pierre et Paul annonçaient l’Évangile à Rome et y fondaient l’Église.
Après leur départ, Marc, le disciple et interprète de Pierre, nous transmit par écrit ce que Pierre avait prêché ; de même Luc, le compagnon de Paul, mit par écrit l’Évangile que celui-ci annonçait.
Ensuite, Jean, le disciple du Seigneur, celui même qui reposa sur sa poitrine, publia lui aussi l’Évangile, alors qu’il demeurait à Éphèse[8]Irénée de Lyon, Contre les hérésies, III, 1, 1..

Ainsi, les Évangiles selon saint Luc et saint Marc, ainsi que les Actes des Apôtres, sont revêtus de l’autorité apostolique, et peuvent être regardés, en réalité, comme l’Évangile selon saint Paul et l’Évangile selon saint Pierre.

Ces considérations nous permettent donc de conclure en formulant deux critères primordiaux de canonicité : le critère d’apostolicité et le critère de transmission.

Le critère d’apostolicité

Ce critère d’apostolicité était universellement reconnu dans l’Église primitive, y compris entre les apôtres eux-mêmes. Voici ce qu’écrit saint Pierre à propos des lettres de saint Paul, à destination de chrétiens qui hésitaient à les recevoir comme faisant partie des Saintes Écritures :

Tenez la patience de notre Seigneur pour un salut, comme notre frère bien-aimé Paul vous l’a aussi écrit, selon la sagesse qui lui a été donnée. Il le fait d’ailleurs dans toutes ses lettres, lorsqu’il traite de ces sujets.
On y trouve des passages difficiles à comprendre, que les personnes ignorantes et instables détournent, comme elles le font aussi des autres Écritures, pour leur propre ruine[9]2 P 3, 15-16..

Deux générations plus tard, ce critère apostolique demeure vivace, comme nous le montre la réponse de Sérapion, évêque d’Antioche de 190 à 211, qui rejeta un pseudo-évangile attribué à saint Pierre :

Pour nous, mes frères, nous donnons créance à Pierre et aux autres apôtres comme au Christ, mais, en gens avertis, nous rejetons les ouvrages pseudépigraphes qui portent leur nom, ayant conscience que nous n’avons pas reçu par tradition de telles choses.

Le critère de transmission

L’évêque d’Antioche ne reconnaît comme canonique que ce qui provient assurément d’un apôtre, et non seulement ce qui a pour origine un apôtre, mais aussi ce qui a été conservé et transmis sans interruption dans l’Église.

Saint Irénée de Lyon (v. 130–202) reçoit les mêmes critères :

 Nous avons appris de ceux qui ont vécu avec les Apôtres que la transmission écrite de l’Évangile était l’œuvre des Apôtres eux-mêmes. Ceux-ci, après avoir d’abord proclamé l’Évangile, nous l’ont ensuite transmis dans des écrits, selon la volonté de Dieu, pour qu’il soit le fondement et la colonne de notre foi[10]Irénée de Lyon, Contre les hérésies, III, 1,1 ; trad. A. Rousseau, Sources Chrétiennes n°210..

Nous avons donc ici les deux critères avec lesquels l’Église va juger de la canonicité d’un écrit :

  1. Son origine apostolique,
  2. Sa transmission ininterrompue dans l’Église.

Ainsi, la Révélation se clôt bien avec la mort du dernier apôtre, qu’elle ait été transmise oralement ou par écrit.

Références

Références
1 Lc 10, 16.
2 Mt 28, 19-20.
3 Ep 2, 20.
4 Ap 21, 14.
5 Mt 16, 18-19.
6 Ac 1, 20-26.
7 2 Tm 2, 2.
8 Irénée de Lyon, Contre les hérésies, III, 1, 1.
9 2 P 3, 15-16.
10 Irénée de Lyon, Contre les hérésies, III, 1,1 ; trad. A. Rousseau, Sources Chrétiennes n°210.
Retour en haut

Abonnez-vous à notre newsletter,
et soyez informés des derniers articles parus.