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Peut-on être prudentiellement ecclésiovacantiste ? (1/2)

Nous avons répondu dans un premier article aux critiques formulées par l’abbé J-M. Gleize au sujet de nos articles sur la question de la fidélité à la hiérarchie de l’Église en temps de crise et de la possibilité de croire ou de vivre comme s’il n’y avait pas de pape.
Par souci d’honnêteté et de précision, il convient de répondre aux objections formulées par notre confrère, visant à disculper sa communauté de toute forme d’ecclésiovacantisme[1]L’ecclesiovacantisme désignait dans notre second article « Une Église sans pape ? », la thèse selon : « laquelle ce n’est pas seulement le siège de Pierre qui … Continue reading pratique ou revendiqué.
Il s’agit ici de manifester en quoi le positionnement de la FSSPX, que l’abbé Gleize qualifie de prudentiel et qui s’est forgé au fil du temps, ne saurait être en conformité avec une ecclésiologie authentiquement catholique.
Pour plus de clarté, nous allons répondre aux objections disséminées dans l’ensemble du deuxième article de notre confrère dans l’ordre qui nous paraît le plus pédagogique. Nous reprenons ici trois premières objections de notre confrère :

Première objection : La crise de l’Église : un abus de pouvoir généralisé, dispensant du principe d’obéissance à la hiérarchie légitime[2]« Ou, plus exactement, la Fraternité Saint-Pie X va, elle, jusqu’au bout de la vertu, en n’appliquant pas le principe de l’obéissance face à l’abus généralisé de pouvoir qui … Continue reading ?

Nous ne voyons pas en quoi l’abus de pouvoir généralisé, qui résulterait d’une accumulation de préceptes abusifs, justifierait de ne pas considérer chacun de ces préceptes, émanant de l’autorité légitime, distinctement les uns des autres. En effet, l’exercice de l’obéissance a pour objet concret tel ou tel précepte singulier et non un bloc, comme le reconnaît l’abbé au début de son second article.

Ainsi, le constat éventuel d’abus d’autorité répétés par les membres de la hiérarchie ecclésiastique ne saurait conduire à un refus par principe de lui obéir, quand bien même l’obéissance de principe ne saurait être inconditionnelle et absolue, comme justement rappelé par notre confrère.

Enfin, nous récusons l’identification abusive de l’exercice du pouvoir de gouvernement de la hiérarchie à ses abus de pouvoir, comme si celui-ci était systématiquement détourné de sa fin qu’est le salut des âmes.

Ajoutons que le devoir de résister à des abus de pouvoir, même répétés, ne saurait a priori dispenser par principe de la soumission due à la hiérarchie ecclésiastique et ne saurait a fortiori justifier que l’on s’y substitue pour exercer de manière habituelle en tout indépendance telle mission publique d’enseignement ou de sanctification. En effet, la mission de sauver les âmes est confiée par Jésus à la hiérarchie ecclésiastique soumise au Pape, et non immédiatement à tel ou tel clerc.

Deuxième objection : Obéir à la hiérarchie ecclésiastique équivaut-il à assentir à son enseignement ?[3]« Car c’est le principe même de la vertu qui réprouve tous les défauts et tous les excès qui lui sont opposés, et c’est donc ici l’obéissance même qui commande de rejeter les … Continue reading

Nous répondrons en distinguant l’assentiment de l’intelligence à une proposition enseignée par le magistère (relatif à son degré d’autorité) et le consentement de la volonté à faire sienne la volonté du supérieur qui, usant de sa juridiction, la manifeste par tel ou tel précepte.

Par ailleurs, obéir (consentir) ne signifie pas être nécessairement complice ou d’accord (assentir) avec les motifs du précepte.

On comprend alors aisément le canon 212 du droit en vigueur :

 § 3. Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, ils ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la Foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes.

Ajoutons à cela que le devoir de témoigner de sa Foi n’équivaut pas au devoir de ne jamais la renier. En effet, témoigner de sa Foi n’oblige pas à chaque instant et n’oblige que quand le silence équivaut à une adhésion à des propos ou à des comportements qui lui sont contraires ou occasions de scandales ; en dehors de tels cas, prendre l’initiative de témoigner de sa Foi relève de la prudente charité qui ne craint pas de faire pire que le silence[4]Tel le missionnaire qui, dans un premier temps, ne va pas d’abord condamner la fausse religion de son interlocuteur mais plutôt lui exposer les signes de crédibilité de la vraie religion. Il … Continue reading.

A contrario, ne pas renier sa foi oblige à chaque instant et il ne peut jamais être moral de la renier et ce quelles qu’en soient les conséquences.

Ainsi, obéir à la hiérarchie ecclésiastique divinement instituée qui serait responsable de la crise de l’Église n’est pas de soi contraire au témoignage de la Foi dès lors que cette obéissance ne commande pas un silence coupable ou un reniement tacite de la Foi.

Qui plus est, par le protocole d’accord du 5 mai 1988[5]Ce protocole d’accord est consultable ici à l’origine de la création de la commission Ecclesia Dei, permettant une reconnaissance officielle de communautés cléricales ou religieuses traditionalistes, le Saint-Siège renvoyant au paragraphe 25 de Lumen Gentium n’impose pas une adhésion inconditionnelle et absolue à la réforme liturgique pas plus qu’à l’ensemble de l’enseignement conciliaire ou post-conciliaire.

Aussi cet accord reconnait aux communautés traditionalistes la possibilité de formuler des critiques constructives et fondées de ce qui, dans les enseignements et réformes conciliaires et post-conciliaires, semble en contradiction avec la Tradition[6]« 3) À propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la … Continue reading.

Quand bien même ces communautés n’auraient pas assez usé de ce droit, quel membre de la hiérarchie ecclésiastique estime que ces communautés approuvent sans réserve ni aucune réticence le concile ou la réforme liturgique qui l’a suivi ?

Il est probable que l’on nous rétorque que certains membres de ces communautés ont adopté une interprétation continuiste contestable de telle ou telle affirmation ambigüe voire erronée du concile ou du magistère postconciliaire non infaillible. Mais en quoi cela équivaudrait systématiquement à un ralliement à l’hérésie ? Et en quoi de telles interprétations engageraient indistinctement tous les membres de ces communautés dont aucune ne prétend être dotée d’un pouvoir magistériel de suppléance pour trancher définitivement les débats suscités par la crise doctrinale que traverse l’Église ?

Troisième objection : Ne peut-on pas être hérétique en niant un fait dogmatique ?[7]« La position sédévacantiste nie quant à elle une proposition particulière et contingente, car elle exprime un jugement relatif à des circonstances. L’hérésie affirme par principe que … Continue reading

Si la négation d’un fait dogmatique n’est pas formellement et immédiatement une hérésie[8]En effet, conformément au droit canon : « on appelle hérésie la négation obstinée, après la réception du baptême, d’une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le … Continue reading, il est évident qu’elle est un grave péché contre la Foi (infidélité) qui, de surcroît y conduit dans la plupart des cas. Ainsi, celui qui rejetterait par exemple les enseignements infaillibles de tel pape ou de tel concile au motif qu’il conteste la légitimité de ces derniers serait conduit à rejeter des vérités enseignées par l’Église comme divinement révélées.

Contester ainsi par exemple la légitimité d’un pape ou d’un concile, légitimité reconnue par toute l’Église, serait une infidélité contraire à l’indéfectibilité de l’Église, aboutissant par ailleurs à l’hérésie si ce pape ou ce concile ont enseigné infailliblement. Une telle contestation reviendrait, en effet, à refuser son assentiment irrévocable à tel enseignement infaillible d’un concile ou d’un pape au motif qu’ils n’ont pas enseigné infailliblement leur propre légitimité[9]Et quand bien même ils le feraient, cela n’empêcherait pas l’infidèle de suspendre son assentiment, au prétexte que le pape ou le concile définissant infailliblement sa propre légitimité … Continue reading.

C’est bien la raison qui fonde et explique l’enseignement assuré du cardinal Billot :

on doit tenir fermement comme absolument certain et entièrement hors de doute que l’adhésion de toute l’Église sera toujours à elle seule le signe infaillible de la légitimité de la personne du pape et donc aussi de l’existence de toutes les conditions requises à celle-ci.Et il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin la raison de ce fait. Car il s’explique directement avec la promesse infaillible et la providence du Christ : « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » et : « Voici que je suis avec vous tous les jours. » En effet, si l’Église donnait son adhésion à un pseudo-pape, cela équivaudrait à ce qu’elle suivît une fausse règle de la foi, puisque le pape est la règle vivante que l’Église doit toujours suivre et suit de fait dans sa croyance : c’est ce que l’on verra plus clairement encore, avec ce que nous dirons plus loin[10]De Ecclesia Christi, tome II, traduit par l’abbé Gleize, Publication du Courrier de Rome, 2010, p 457, n°950»

Contrairement à ce qu’affirme l’abbé Gleize[11]« Face à ces faits, la reconnaissance pacifique de l’élection du Pape demeure ce qu’elle est : non la cause mais le signe de la légitimité du Pape. Elle ne peut donner davantage qu’une … Continue reading, l’acceptation universelle pacifique du pape par l’Église n’est pas simplement un signe fondant une probabilité prudentielle de sa légitimité, mais bien un fait dogmatique condamnant par avance tout type de sédévacantisme occulte et constituant une preuve infaillible de sa légitimité, comme l’explique le cardinal Billot :

Sans doute, Dieu peut permettre que parfois la vacance du siège se prolonge davantage. Il peut encore permettre qu’un doute s’élève sur la légitimité d’un élu. Mais il ne saurait permettre que toute l’Église reconnût comme pape celui qui ne le serait ni vraiment ni légitimement.

Donc, à partir du moment où le pape est reconnu comme tel et où il se rattache à l’Église comme une tête à son corps, on ne doit plus se poser la question d’un éventuel vice d’élection ou d’un défaut au niveau des conditions requises à la légitimité, car l’adhésion de l’Église opère comme une sanatio in radice pour annuler tout vice d’élection, et elle montre infailliblement que toutes les conditions requises sont réunies[12]De Ecclesia Christi, tome II, traduit par l’abbé Gleize, Publication du Courrier de Rome, 2010, p 457, n°950.

Le sédévacantisme occulte est donc assurément toujours un péché d’infidélité (contraire à la Foi), qui conduit tôt ou tard à l’hérésie et non d’abord un péché contraire immédiatement à la prudence.

Nous aborderons dans un prochain article deux dernières objections, avant de conclure.

Références

Références
1 L’ecclesiovacantisme désignait dans notre second article « Une Église sans pape ? », la thèse selon : « laquelle ce nest pas seulement le siège de Pierre qui serait vacant depuis plus de 50 ans, mais cest lÉglise catholique qui aurait cessé d’être ce quelle était essentiellement depuis sa fondation ! »
2 « Ou, plus exactement, la Fraternité Saint-Pie X va, elle, jusqu’au bout de la vertu, en n’appliquant pas le principe de l’obéissance face à l’abus généralisé de pouvoir qui sévit de façon habituelle dans la sainte Église de Dieu depuis le concile Vatican II, tandis que la Fraternité Saint-Pierre, pour admettre en théorie les justes limites de l’obéissance, les outrepasse dans la pratique. Plus profondément encore, tout dépend de la nature précise de cette « crise provoquée par la hiérarchie ». Représente-telle, oui ou non, un abus de pouvoir suffisamment grave et habituel, pour que l’obéissance s’y heurte à de sérieuses limites ? » (Courrier de Rome n°674 d’avril 2024)
3 « Car c’est le principe même de la vertu qui réprouve tous les défauts et tous les excès qui lui sont opposés, et c’est donc ici l’obéissance même qui commande de rejeter les nouveautés introduites dans l’Eglise à l’occasion du dernier Concile. Ainsi s’exprimait Mgr Lefebvre dans une Conférence spirituelle donnée à Ecône, le 10 avril 1981 : « Il n’y a personne qui soit attaché à l’obéissance au Magistère du Pape, des conciles et des évêques comme nous. Nous sommes, nous, les plus attachés de l’Église, je pense, je l’espère, et nous voulons l’être, à l’obéissance au Magistère des Papes, des conciles et des évêques. Et c’est parce que nous sommes attachés à ce Magistère justement, que nous ne pouvons pas accepter un magistère qui n’est pas fidèle au Magistère de toujours » » (Courrier de Rome n°674 d’avril 2024)
4 Tel le missionnaire qui, dans un premier temps, ne va pas d’abord condamner la fausse religion de son interlocuteur mais plutôt lui exposer les signes de crédibilité de la vraie religion. Il agira ainsi selon une prudente charité qui évitera de l’indisposer et fera par la même occasion œuvre de pédagogie, sans rien renier de la Foi catholique.
5 Ce protocole d’accord est consultable ici
6 « 3) À propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique. »
7 « La position sédévacantiste nie quant à elle une proposition particulière et contingente, car elle exprime un jugement relatif à des circonstances. L’hérésie affirme par principe que l’évêque de Rome ne peut pas être le chef de l’Église. Le sédévacantisme affirme que de fait tel élu désigné évêque de Rome n’a pas reçu le souverain pontificat. Il ne nie pas qu’il puisse ensuite le recevoir ni que d’autres aient pu le recevoir et l’aient reçu en effet » Une telle position n’est donc pas directement hérétique, de manière immédiate et formelle. Elle représente tout au plus un péché contre la prudence, non un péché contre la foi. » (Courrier de Rome n°674 d’avril 2024)
8 En effet, conformément au droit canon : « on appelle hérésie la négation obstinée, après la réception du baptême, dune vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le doute obstiné sur cette vérité ; » (canon 751)
9 Et quand bien même ils le feraient, cela n’empêcherait pas l’infidèle de suspendre son assentiment, au prétexte que le pape ou le concile définissant infailliblement sa propre légitimité n’a pas défini infailliblement qu’il engageait infailliblement sa propre infaillibilité et ainsi de suite…
10, 12 De Ecclesia Christi, tome II, traduit par l’abbé Gleize, Publication du Courrier de Rome, 2010, p 457, n°950
11 « Face à ces faits, la reconnaissance pacifique de l’élection du Pape demeure ce quelle est : non la cause mais le signe de la légitimité du Pape. Elle ne peut donner davantage quune probabilité et nexprime que la sûreté dune prudence, eu égard à toutes les autres circonstances. » (Courrier de Rome n°674 d’avril 2024)
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