Avant de parler d’oraison, il nous faut avoir en tête et solidement ancré en nous que la vie chrétienne est une vie nouvelle, par opposition à une vie ancienne, celle du péché – par le baptême nous sommes morts au péché, dit saint Paul – ; que la logique de l’Évangile est à l’opposé de celle du monde ; enfin, que cette vie chrétienne est une conversion à reprendre tous les jours.
Tous les jours nous devons nous détourner des créatures et nous tourner vers le créateur. C’est une conversion à cent quatre-vingts degrés. Nous sommes, par nature – nature blessée par le péché originel – mal orientés et il faudra quotidiennement nous réorienter… Or nous constatons que la prière est souvent un combat, que les difficultés abondent et que nous avons bien du mal à y être fidèle. Cela ne voudrait pas donc dire que la prière fait partie de cette réorientation ? Sûrement. En effet, la pente vers laquelle notre nature humaine incline est celle de l’incompréhension de la nécessité de la prière et de sa non-pratique.
Absolue nécessité de la prière
L’oraison est une des formes de prière. Or la prière est une nécessité absolue dans la vie chrétienne. Par le baptême, nous sommes configurés au Christ, incorporés à lui, il devient donc notre modèle, qui nous invite à vivre sa propre vie, à vivre de sa vie, à reproduire en nous sa vie. Et la vie de Jésus est une vie de prière : il a prié son Père, il s’est retiré au désert pour cela, tout l’Évangile nous montre que Jésus, par la prière, entretenait l’intimité avec son Père. Pourquoi ? Parce que Jésus était sur terre pour faire la volonté de son Père (ecce venio ut faciam Deus voluntatem tuam[1]He 10, 9) et pour la faire, il devait être en contact intime et permanent avec lui, comme un employé doit être en contact étroit avec son patron pour faire le travail demandé si l’on me permet cette comparaison.
Nous aurions tort de penser que la vie de Jésus est d’abord active plutôt que contemplative. Que Jésus aurait passé son temps à faire le bien autour de lui et donc qu’il aurait ainsi fondé la première œuvre de bienfaisance de l’humanité, la première ONG. Le pape François s’est d’ailleurs insurgé plusieurs fois contre ce travestissement possible de l’Église, en particulier dans son sermon aux cardinaux après le conclave. Non, Jésus est venu faire la volonté de son Père et pour ce faire, Jésus a prié. N’a-t-il pas d’abord été trente ans caché, avant de commencer sa vie publique ?
Qu’est-ce que l’oraison ?
« L’oraison mentale n’est, à mon avis, qu’un commerce intime d’amitié où l’on s’entretient souvent, seul à seul, avec ce Dieu dont on se sent aimé », dit Sainte Thérèse d’Avila. L’oraison mentale est donc un rendez-vous ! Et pas n’importe lequel, mais un rendez-vous amoureux ! Et comme tout rendez-vous il suppose : une personne, un motif, un temps (heure, durée, fréquence) et un lieu ! Voyons cela plus en détails.
- La personne : Notre Seigneur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, Dieu fait homme, celui sur la poitrine duquel saint Jean a posé sa tête lors de la Cène, celui qui fut transfiguré sur le Thabor devant Pierre, Jacques et Jean. Pour le retrouver et le connaître, il suffit de lire amoureusement les quatre Évangiles.
- Le motif : connaître Notre Seigneur et l’aimer, l’adorer, le louer, lui demander des grâces demander pardon, rendre grâce et encore… l’écouter ! Passer du temps avec lui.
- Le temps (heure) : à chacun de voir dans son agenda l’heure qui lui convient. L’expérience des saints et des siècles montre que le matin est propice. Par chance pour nous, lui est toujours disponible ! Toujours prêt à nous accueillir. D’ailleurs, il nous attend toujours.
- Le temps (durée) : on commencera par dix minutes puis on allongera pour atteindre une demi-heure. À moins que l’on soit carme ou carmélite auquel cas on y passera une heure le matin et une heure le soir.
- Le temps (fréquence) : comme pour le brossage des dents cette activité pour être profitable aux deux parties (lui et moi), sera quotidienne.
- Le lieu : ma chambre, un oratoire, une église, devant le Saint Sacrement. Un lieu où je ne serai pas dérangé.
L’oraison mentale est donc d’abord et avant tout une rencontre avec une personne. Et cette personne est un ami. Toute amitié doit être entretenue, et cela demande du temps. Avec un ami on aspire à sa présence, on aspire à être en sa présence. Parfois on parle, parfois on écoute, le silence de l’un ou de l’autre ne fait pas peur parce que la présence seule suffit. Être en présence, cela est à la fois très passif (je ne fais rien de particulier) mais aussi très actif (je regarde et j’écoute, je suis avec). Tout cela est-il compliqué ? À la portée d’une seule élite (les carmes, les moines, les contemplatifs) ? Sûrement pas ! Le paysan d’Ars ne disait-il pas au saint curé : “Je l’avise et il m’avise” ? L’oraison est donc un cœur à cœur, un échange de regard dans la foi, l’espérance et la charité.