Nous sommes les temples de Dieu. Dieu habite en nous en tant que créateur pour nous soutenir dans l’existence, mais aussi en tant qu’ami pour nous élever jusqu’à lui et nous faire vivre dans son intimité. Nous devons vivre de ce mystère sous peine d’ingratitude envers Dieu qui daigne se donner à nous.
Dans ce premier article nous verrons comment Dieu est partout, présent dans toute sa création : on appelle cela « la présence d’immensité ». Dans un second article, nous verrons comment Dieu est plus particulièrement présent dans l’âme des justes, par la grâce.
« En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être »
En tant que créateur, Dieu est présent partout. Il est en tout être comme source et cause de son existence. C’est par sa présence que toute la création est tirée du néant. C’est en lui que toute réalité, quelle qu’elle soit, dépend totalement de lui pour subsister. C’est de lui que jaillit la force vitale qui anime toute la création. Cette vérité de l’omniprésence divine est magnifiée dans le psaume 138 :
Où irai-je, pour me dérober à votre esprit, et où m’enfuirai-je de devant votre face ?
Si je monte au Ciel, vous y êtes ; si je descends dans l’enfer, vous êtes présent. Si je prends des ailes dès l’aurore, et que j’aille habiter aux extrémités de la mer, c’est votre main qui m’y conduira, et votre droite me saisira.
Et j’ai dit : Peut-être que les ténèbres me couvriront ; mais la nuit devient ma lumière dans mes délices.
Car les ténèbres n’ont pas d’obscurité pour vous ; la nuit brille comme le jour, et ses ténèbres sont comme la lumière du jour[1]Ps 138, 7-12.
Cette même vérité est enseignée par saint Paul devant l’auditoire de l’Aréopage d’Athènes : « Le Dieu qui a fait le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, […] n’est pas loin de chacun de nous, car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être[2]Ac 17, 27-28.. »
Dieu est présent à chacune de ses créatures et les maintient dans l’existence. Il ne se contente pas de faire surgir les créatures du néant, il les soutient dans l’existence en leur communiquant l’être à tout instant. S’il se retirait, tout serait anéanti.
Tous les êtres : atome… brin d’herbe… moucheron… tout ce que vous voulez, tous les êtres sans exception sont soutenus dans l’existence par une action mystérieuse de Dieu qui les maintient au-dessus du néant ; en sorte que si, par impossible, Dieu avait un oubli, la création tout entière tomberait non pas en poussière mais dans le néant. C’est ce qu’on appelle la présence de création et de conservation[3]C. Journet, Chemins vers le silence intérieur..
On nomme cette présence de Dieu en toute chose sa présence d’immensité.
L’immensité divine : trois erreurs à éviter
Dieu est présent partout, au ciel, sur la terre, en toutes choses et en tous lieux. « De même que les oiseaux, partout où ils volent, rencontrent toujours l’air, ainsi, partout où nous allons, nous trouvons Dieu présent[4]R. Sineux.. »
1 – Précisons qu’il ne faut pas envisager la création comme une émanation de la substance divine : ce serait du panthéisme. On ne doit pas se représenter Dieu se communiquant aux créatures comme une source unique d’où découlent plusieurs ruisseaux. Les créatures ont un être propre et ne se rapportent à Dieu que comme à une cause extrinsèque. La bonté divine se répand en dehors en produisant des êtres qui lui ressemblent, mais sans qu’il sorte rien de la divine substance. Ce n’est que sa similitude qui passe dans les créatures. Tout comme le sceau laisse son empreinte dans la cire, sans communiquer de sa substance.
2 – Il ne faut pas non plus considérer l’immensité divine par mode d’extension, comme un océan sans rivages contenant dans son sein tout ce qui existe et débordant de toutes parts le monde créé. Saint Thomas l’explique ainsi :
Dieu remplit tous les lieux, non à la façon d’un corps qui est dit remplir un espace quelconque en en bannissant tout autre substance matérielle, mais en donnant et en conservant l’être aux choses qui remplissent l’espace et y sont localisées[5]Somme théologique, Ia, q. 8, a. 2..
3 – Enfin il ne faut pas voir Dieu remplissant ses créatures comme la liqueur le vase qui la contient. Dieu ne saurait être contenu par les créatures. C’est lui plutôt qui les contient en les conservant :
Dieu qui est si mystérieusement présent au monde n’est cependant pas immergé dans le monde ; il ne se dissout pas dans les choses. Il garde sa transcendance absolue. S’il remplit donc toutes choses, c’est comme la Cause infinie d’un effet imparfait, limité[6]C. Journet, Entretiens sur la grâce..
Mais alors, comment Dieu est-il présent dans les choses ?
Dieu est présent en qualité de cause, comme l’agent est présent au sujet sur lequel il exerce une action immédiate. Il est partout par son opération et le contact de sa vertu. Il est présent en toutes choses comme cause conservatrice par un contact virtuel ; semblable, non pas au contact de notre main et du papier sur lequel elle écrit, mais au contact de notre volonté et de notre main qu’elle meut.
Saint Thomas prouve cette omniprésence de Dieu en considérant que, comme tout agent par rapport à ce sur quoi il agit, Dieu doit être uni à la chose sur laquelle il exerce sa puissance :
Dieu est en toutes choses, non pas comme partie de leur essence ou comme un élément accidentel, mais comme l’agent est présent au sujet sur lequel il opère. Il est, en effet de toute nécessité que la cause efficiente soit unie au sujet sur lequel elle exerce une action immédiate, et qu’elle entre en contact avec lui sinon par sa substance, au moins par sa vertu active et ses énergies[7]Somme théologique, Ia, q. 8, a. 1..
Dans ce même article, il illustre son propos par l’image du soleil qui ne peut produire ses effets sur la terre qu’en raison de la présence de ses rayons :
C’est ainsi que le soleil, quoique situé à une distance énorme de notre planète, l’atteint néanmoins par sa vertu ; comment, en effet, serait-il en état de l’éclairer et de l’échauffer si ses rayons ne parvenaient jusqu’à elle ?
Ainsi, Dieu agit en toutes ses créatures en leur communiquant l’être, ce qu’elles ont de plus intime et de plus profond, il leur est donc intimement présent en qualité de cause efficiente, continue saint Thomas :
Or, Dieu opère en toute créature, non seulement par l’intermédiaire des causes secondes, mais encore d’une manière directe et immédiate, y produisant par lui-même, et y conservant pareillement, ce qu’il y a de plus intime et de plus profond, l’être. Car, de même que l’effet propre du feu est de brûler, ainsi l’effet propre de Dieu, qui est l’être par essence, est de produire l’être des créatures. Donc Dieu est en toutes choses, intimement présent en qualité de cause efficiente.
En tant qu’il produit l’être en chacune de ses créatures, et qu’il l’y conserve, il faut noter que Dieu n’est pas présent comme un simple ouvrier ou artiste par rapport à son ouvrage, qui peut se retirer sans en compromettre l’existence. Le Créateur ne se tient pas en dehors de son ouvrage et ne le touche pas par l’intermédiaire d’un instrument :
Il est au plus intime de ses œuvres, et si, après avoir donné l’être à une créature, il retirait sa main et cessait de la soutenir, elle retomberait immédiatement dans le néant d’où elle était sortie[8]B. Forget, De l’Habitation du Saint-Esprit dans l’âme des justes, Lethielleux, 1899, p. 11-12..
Dieu est en toute chose par puissance, par présence et par essence
Saint Thomas précise comment Dieu peut se trouver en tous lieux, au fond de chacun des êtres qui occupent nos espaces matériels : par puissance, par présence et par essence.
1 – Il est partout par sa puissance, parce que tout est soumis à son empire souverain, de même qu’un roi de la terre, quoique confiné au fond de son palais, est réputé présent dans toutes les parties de ses États où se fait sentir son autorité.
Toutes les activités ontologiquement justes, bonnes, viennent de Dieu à travers les créatures. C’est bien l’atome de radium qui donne son rayon, mais c’est Dieu qui donne à l’atome de radium de donner son rayon. C’est Dieu qui donne au rosier de donner sa rose, en sorte que la rose, tout entière du rosier, est plus encore tout entière de Dieu[9]C. Journet, Entretiens sur la Trinité..
2 – Il est partout par sa présence, parce qu’il connaît tout, qu’il voit tout, et que rien, pour caché que ce soit, n’échappe à son regard.
3 – Il est partout enfin par son essence, aussi réellement et substantiellement présent à chacune des choses créées qu’un monarque est présent par sa substance au trône sur lequel il est assis. Et la raison de cette présence substantielle, c’est qu’il n’est aucune créature qui puisse se passer de l’action divine la conservant dans l’existence et la mouvant à ses opérations.
Différents degrés de présence
En leur communiquant l’être, Dieu constitue ses créatures dans un état de dépendance essentielle vis-à-vis de lui et les fait participer à ses perfections. Ainsi il n’existe en elles que parce qu’il les rapproche de lui-même et les tient unies à lui par son opération. De là, il ressort qu’elles sont plus ou moins rapprochées de Dieu selon la mesure plus ou moins grande dans laquelle elles participent à la perfection divine. Si bien que le degré de présence de Dieu dans ses créatures, en qualité de cause efficiente, varie selon le degré où l’être et les autres perfections sont communiqués aux créatures.
Présent par un acte de conservation ou de création continuée à tous les êtres qu’il soutient au-dessus d’un néant auquel ils retourneraient d’eux-mêmes, il donne à tous l’être, mais à chacun selon sa nature, et le titre de sa présence grandit avec la variété et la grandeur des œuvres qu’il accomplit, des effets qu’il produit et soutient[10]Dom Delatte, Vivre à Dieu..
Ainsi donc, quoique Dieu soit partout, il n’est cependant point également partout. Il y a certains lieux où il réside d’une manière si particulière, qu’on peut les appeler la demeure de Dieu. Saint Jean Damascène l’explique en raison du fait que l’opération divine y est plus manifeste. C’est ainsi que le lieu où Dieu daigna se manifester à Jacob par des visions fut appelé la maison de Dieu et la porte du ciel (Gn 28, 17) ; que sous l’ancienne Loi, Dieu habitait d’une manière spéciale dans le tabernacle construit par Moïse, et plus tard dans le temple de Jérusalem, où sa présence se manifestait sous la forme d’une nuée mystérieuse ; que, selon saint Bernard, nous disons dans l’oraison dominicale : Notre Père qui êtes aux cieux, parce que c’est au ciel que l’action de Dieu apparaît plus clairement et s’exerce d’une façon plus splendide.
Suite de l’article : La présence de Dieu dans l’âme des justes.
Source : Bruno Deguisne, “Présence de Dieu. L’inhabitation trinitaire dans l’âme du juste”, TEP 18 (2018), p. 31-40.
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Références[+]
↑1 | Ps 138, 7-12 |
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↑2 | Ac 17, 27-28. |
↑3 | C. Journet, Chemins vers le silence intérieur. |
↑4 | R. Sineux. |
↑5 | Somme théologique, Ia, q. 8, a. 2. |
↑6 | C. Journet, Entretiens sur la grâce. |
↑7 | Somme théologique, Ia, q. 8, a. 1. |
↑8 | B. Forget, De l’Habitation du Saint-Esprit dans l’âme des justes, Lethielleux, 1899, p. 11-12. |
↑9 | C. Journet, Entretiens sur la Trinité. |
↑10 | Dom Delatte, Vivre à Dieu. |