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La Présence de Dieu 2/2

Jean RESTOUT, la Pentecôte, 1732, musée du Louvre / domaine public
Nous avons vu dans un précédent article que Dieu était présent en toutes choses comme Créateur. Mais l’Ecriture Sainte nous révèle une autre présence, très spéciale, de Dieu dans l’âme des justes, qu’il nous faut mieux comprendre pour pouvoir mieux en vivre.
 

La présence de Dieu en nous par la grâce est d’un ordre bien supérieur et plus intime que la présence d’immensité de Dieu en toutes choses :

Il y a un second acte de Dieu, encore plus bouleversant. C’est un peu comme une maman qui trouve trop loin d’elle l’enfant qu’elle a mis au monde et qui le prend sur son cœur. Dieu va s’unir d’une nouvelle manière aux âmes qui s’ouvrent à sa grâce et à son amour. Voilà une présence plus mystérieuse, plus cachée, la présence d’inhabitation[1]C. Journet, Entretiens sur la grâce..

 

La révélation de cette présence dans l’Ecriture

La révélation nous en a été faite par le Seigneur lui-même, juste avant sa Passion :

Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera, nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure[2]Jn 14, 23..

Je prierai mon Père et il vous donnera un autre consolateur, pour qu’il demeure toujours en vous, l’Esprit de vérité […] qui vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit[3]Jn 14, 26..

Saint Paul dit de même :

La charité de Dieu a été répandue en vous par l’Esprit Saint qui vous a été donné[4]Rm 5, 5..

Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’esprit de Dieu habite en vous

[5]1 Co 3, 16. ?

Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit de Dieu qui est en vous, que vous l’avez reçu de Dieu et que vous ne vous appartenez pas ? Car vous avez été achetés à haut prix. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps[6]1 Co 6, 19-20..

“Nous ferons en lui notre demeure” : merveille de l’état de grâce

Le Père et le Fils, dont l’Esprit-Saint ne se sépare jamais, daignent établir leur « demeure » dans l’âme qui aime. C’est ce que les théologiens appellent le mystère de l’inhabitation de la Sainte Trinité dans l’âme des justes.

Ce n’est pas seulement la présence du Créateur et du Conservateur qui soutient les êtres qu’il a créés ; c’est la  présence de la Très Sainte et Très Adorable Trinité telle que la foi nous la révèle : le Père vient en nous et continue d’y engendrer son Verbe ; avec lui nous recevons le Fils, parfaitement égal au Père, son image vivante et substantielle, qui ne cesse d’aimer infiniment son Père comme il en est aimé ; de cet amour mutuel jaillit le Saint Esprit, personne égale au Père et au Fils, lien mutuel entre les deux, et cependant distinct de l’un et de l’autre. Que de merveilles se renouvellent dans une âme en état de grâce[7]A. Tanquerey. !

On parle aussi d’inhabitation du Saint-Esprit par appropriation, puisqu’on peut attribuer cette opération de la Sainte Trinité toute entière à l’extérieur d’elle-même à la Personne du Saint-Esprit, en raison de la similitude entre ce que Dieu fait à l’extérieur de lui-même et la manière de procéder du Saint-Esprit à l’intérieur de l’unique Nature divine. Cette similitude, c’est l’amour qui caractérise tout à la fois l’œuvre de Dieu qui unit à lui la créature qu’il vient habiter, et la procession du Saint-Esprit en Dieu puisqu’il est le terme du mouvement d’amour entre le Père et le Fils et les unit.

On peut considérer ce mystère comme contenant la moelle du christianisme :

S’il est une vérité précieuse à connaître et douce à contempler, une vérité offrant un intérêt plus qu’ordinaire et contenant en quelque sorte la moelle du christianisme, une vérité fréquemment rappelée dans les Livres saints et néanmoins laissée pour ainsi dire complètement dans l’ombre par la chaire contemporaine, même quand l’orateur s’adresse à cette élite d’âmes qui ne demande qu’à pénétrer plus avant dans le mystère du royaume de Dieu, c’est assurément le dogme si pieux, si, consolant, si réconfortant de la présence et de l’habitation de l’Esprit-Saint dans les âmes justes[8]B. Forget, De l’Habitation…, cit., p. 1..

 

Dieu présent en nous pour nous faire revenir à Lui

Cette présence est ordonnée à notre retour à Dieu. L’homme est sorti des mains du Créateur et toute sa vie doit être un retour vers la source de son existence, de la même manière que le Fils procède du Père et qu’il ne cesse de revenir à son Père dans un mouvement d’amour éternel. Cela répond au désir qui a poussé Dieu à nous créer pour nous faire participer à son bonheur éternel en attirant à Lui ses créatures spirituelles. C’est la logique même de l’Incarnation du Verbe : Dieu est descendu jusqu’à l’homme pour élever l’homme jusqu’à lui. Et de même que la nature humaine du Christ a été enrichie de sa nature divine dans l’unité de la Personne du Fils, chaque baptisé est enrichi par la grâce sanctifiante de la présence substantielle de Dieu dans son âme pour le faire participer à la vie divine.

Par la présence d’efficience et de création, c’est Dieu en quelque sorte qui entre dans ses créatures, les transperçant de son regard, les mouvant à agir, les soutenant dans l’existence ; mais par la grâce, c’est nous qui franchissons à notre tour le seuil sacré, qui entrons en Dieu, pour l’accueillir en nous avec son infinité[9]C. Journet, Entretiens sur Dieu le Père..

Cette union du juste aux personnes divines ne doit pas être confondue avec l’union hypostatique de l’humanité de Jésus au Verbe, car l’union hypostatique est l’union de la nature divine et de la nature humaine en une seule et même personne, celle du Verbe. Par opposition le juste a avec Dieu une union non pas substantielle, mais accidentelle, et morale – en ce sens qu’il s’agit d’une union par la connaissance, et l’amour. Dieu est présent dans l’âme juste, comme le connu dans le connaissant et l’aimé dans l’aimant.

 

La présence par la grâce, bien plus grande que la présence d’immensité

Mais c’est une union réelle, car les personnes divines sont présentes dans le juste non pas seulement par un effet de leur opération, comme le soleil est présent sur la terre par la lumière et la chaleur qu’il lui envoie ; les personnes divines elles-mêmes sont réellement et substantiellement présentes en l’âme juste (sans lui être substantiellement unies comme le Verbe l’est à l’humanité de Jésus). Lorsque le Saint-Esprit est envoyé par le Père et le Fils pour sanctifier l’âme du baptisé, ce dernier entre, en recevant la grâce, dans un nouveau rapport avec la divinité. La grâce ne nous rend pas seulement capables de connaître et d’aimer Dieu comme de loin, par l’intermédiaire de la beauté et de la bonté des créatures, elle nous le fait posséder immédiatement en lui-même, dans sa substance. Dieu est réellement présent dans l’âme juste et plus intime à elle qu’elle-même, comme le principe intime de sa vie intérieure.

Ainsi Dieu non seulement est en nous, mais se donne à nous pour que nous puissions jouir de lui.

En comparaison de l’âme régénérée, la création n’est même plus le temple de Dieu ; si elle est le temple, l’âme devient l’autel. Disons plus clairement encore avec l’Écriture que toute la création naturelle est l’escabeau de Dieu ; elle n’est touchée que par la frange de son vêtement. L’âme du juste au contraire est le trône de Dieu, elle est remplie de gloire divine[10]Scheeben, Les merveilles de la Grâce..

Ce nouveau mode de présence, qui n’exclut point les autres, mais s’y surajoute, n’emporte aucun changement en Dieu, qui est immuable. Il suppose dans la créature une modification, un effet nouveau produit en elle[11]Cet effet nouveau, c’est la grâce de Dieu, « l’état de grâce » [NDLR]. et devenant le principe d’une nouvelle relation, en vertu de laquelle la créature se rapporte à Dieu non plus seulement comme l’effet à sa cause, mais comme le possesseur à l’objet devenu sa propriété et la matière de sa jouissance. De son côté, au lieu d’une simple relation de causalité qu’il avait auparavant avec la créature, Dieu entre avec elle dans un rapport d’appartenance et de possession : il devient son bien, son ami, son époux, l’objet de sa connaissance et de son amour. Saint Bernard peut ainsi dire :

Dieu, qui est également tout entier partout par sa simple substance, est pourtant présent aux créatures raisonnables autrement qu’aux autres ; il est de même autrement dans les bons que dans les méchants, par son efficacité. Ainsi, il est dans les créatures inintelligentes de telle sorte qu’elles ne parviennent pas à le saisir. Les êtres raisonnables, au contraire, peuvent l’atteindre par la connaissance, mais les bons seuls peuvent le posséder même par l’amour.

 

Conclusion : Vivre dans l’intimité de Dieu

Si Dieu a voulu établir sa demeure en nous, c’est pour nous donner son intimité. Or, cette intimité n’est accordée qu’à celui qui a le courage de demeurer dans le rayonnement de l’amour divin, par une vie de foi très dépouillée et très fidèle. Il faut avoir du temps, voire “gaspiller” son temps pour cet hôte-là, et savoir s’ouvrir à ses effusions royales.

Une sentence du moyen-âge, attribuée souvent à saint Bernard, dit avec une précision difficile à traduire : Vacare Deo non est otium, sed negotium negotiorum. « Avoir du temps (vacare a donné “vacance”) et être vide (de vacare est aussi dérivé notre “é-vacuer”) pour Dieu, loin d’être de l’oisiveté, est “l’affaire des affaires” », la plus importante de toutes nos entreprises. Ce principe, cher aux chrétiens du moyen-âge, vaut pour toutes les époques : à la nôtre, il n’a rien perdu de son actualité.

Au désert, pendant des dizaines d’années, toute la vie du peuple élu était centrée sur la Tente de Réunion, sur une demeure sur laquelle planait une nuée durant le jour, une clarté durant la nuit. De ce fait impressionnant se dégage pour nous une leçon fondamentale : Dieu veut être tout pour l’homme, il veut remplir sa vie, il veut “occuper” de façon totale l’attention et le cœur de sa créature. Quand Salomon eut remplacé la Tente de Réunion par le Temple, toute la vie nationale et individuelle des Israélites gravitait autour de ce sanctuaire que Yahwé avait choisi pour y faire habiter son Nom : c’est en présence de Yahwé son Dieu que le peuple se réjouissait (cf. Dt 12, 7, 12, 18). Si ces « demeures » encore imparfaites, ont exercé une si puissante attraction sur la vie de l’ancien peuple, combien plus grande doit être la ferveur de notre foi et de notre attachement à l’égard des deux « demeures » [12]Que sont la présence de Dieu dans l’âme des justes, et la Présence Réelle dans l’Eucharistie [NDLR]., infiniment plus aimables, que Dieu a établies au milieu de nous ! Aussi l’âme contemplative s’applique-t-elle avec une sainte obstination, à aimer et à fréquenter les « aimables demeures » du Seigneur, par une vie eucharistique intense et une fidélité de plus en plus grande dans la vie d’oraison[13]G.-M. Behler, « Les aimables demeures du Seigneur. Psaume 84 », La Vie spirituelle 98 (1958), p. 484-508..

 

Source : Bruno Deguisne, “Présence de Dieu. L’inhabitation trinitaire dans l’âme du juste”, TEP 18 (2018), p. 31-40. 
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Références

Références
1 C. Journet, Entretiens sur la grâce.
2 Jn 14, 23.
3 Jn 14, 26.
4 Rm 5, 5.
5 1 Co 3, 16.
6 1 Co 6, 19-20.
7 A. Tanquerey.
8 B. Forget, De l’Habitation…, cit., p. 1.
9 C. Journet, Entretiens sur Dieu le Père.
10 Scheeben, Les merveilles de la Grâce.
11 Cet effet nouveau, c’est la grâce de Dieu, « l’état de grâce » [NDLR].
12 Que sont la présence de Dieu dans l’âme des justes, et la Présence Réelle dans l’Eucharistie [NDLR].
13 G.-M. Behler, « Les aimables demeures du Seigneur. Psaume 84 », La Vie spirituelle 98 (1958), p. 484-508.
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