« Toute âme présente neuf portes qui l’ouvrent au réel, malheureusement, le plus souvent, seules une, parfois deux ou trois de ces portes sont ouvertes… » (p. 9). Longtemps marginalisé ou assimilé à une mode ésotérique, l’ennéagramme s’impose aujourd’hui largement, considéré comme un outil majeur de développement personnel, et jusque dans le monde chrétien. Il fascine, interroge, intrigue : est-il un levier de croissance humaine et spirituelle compatible avec la foi catholique, ou un système simpliste enfermant chacun dans une typologie rigide, voire une énième voie de garage de l’ésotérisme contemporain ? Le P. Pascal Ide, prêtre, médecin et docteur en philosophie, répond à cette interrogation dans son ouvrage Les neuf portes de l’âme (2004), fruit de plusieurs années d’étude et d’accompagnement. Sans angélisme mais avec son optimisme coutumier, alliant rigueur et ouverture d’esprit, il propose une lecture approfondie et critique de l’ennéagramme, à la lumière de l’anthropologie chrétienne. La finalité de son ouvrage est à la fois de décrire ce qu’est l’ennéagramme et de le relier à une vision de l’homme prenant en compte la totalité de son être, jusqu’à sa dimension spirituelle.
Le P. Ide justifie son intérêt pour l’ennéagramme par la puissance de connaissance et de transformation de soi que recèle la méthode, et par ce qu’il peut apporter au chrétien en termes d’orientations et d’atouts dans le combat spirituel.
Sa démarche s’articule en trois temps : après avoir décrit les neuf types de l’ennéagramme, qui sont autant de mécanismes de défense, en général et dans le détail, le P. Ide s’intéresse à l’origine de ces mécanismes, en faisant appel à la psychologie, à l’éthique, à la spiritualité… il envisage enfin la question des remèdes à apporter, des outils de transformation et d’évolution qu’apporte l’ennéagramme.
Une carte intérieure de la personnalité
Du grec ennea – neuf – et gramma – lettre ou point, l’ennéagramme est un ensemble de neuf points, parfois représentés sur la circonférence d’un cercle, symbole de totalité, regroupant les neuf facettes ou portes de la personne. L’ennéagramme repose sur une intuition : nous portons tous une blessure originelle qui a façonné notre manière de voir le monde, de nous défendre et d’entrer en relation. Cette “blessure” a donné lieu à un pli psychique, une manière récurrente d’agir et de ressentir qui finit par structurer la personnalité. Ce mécanisme de défense, efficace à l’origine, devient un schéma rigide, source de souffrance. L’ennéagramme identifie donc neuf de ces “schémas” fondamentaux, appelés “types”, qui sont autant de portes pour mieux comprendre notre intériorité.
Le type ne dit pas ce qu’est l’homme en profondeur mais ce qu’il est devenu. Il ne résume pas pour autant l’identité d’une personne ni même son caractère : il en constitue le biais principal, l’automatisme dominant, la façon blessée de réagir au monde. Il ne dit pas le pourquoi (la raison de la blessure) mais seulement le comment (la compulsion). Il n’est pas non plus à voir comme un destin, mais en tant que point de départ pour une transformation.
La conséquence est que l’approche de l’ennéagramme est plutôt négative : personne n’aime reconnaître et nommer ses blessures. Il y a donc un moment et une disposition intérieure qui permettent de mieux le recevoir. Mais l’ennéagramme est surtout un voyage en soi-même, une méthode pour se changer. L’ennéagramme n’est donc finalement pas négatif mais positif : il décrit nos fermetures mais aussi nos ouvertures, nos ressources, il permet d’identifier le cœur de nos talents.
Les neuf visages de l’âme blessée
Chacun des neuf types est décrit par le P. Ide avec précision et nuances, à travers un certain nombre d’états intérieurs, de réactions… Chaque “porte de l’âme” est une forme de souffrance psychique et un appel à la guérison. On les présente souvent comme une succession logique : chaque type naît d’un refus ou d’un excès du précédent. Le P. Ide choisit de les nommer en utilisant volontairement de termes à la connotation péjorative (puisque chaque type ressort à une compulsion principale, une blessure à guérir), tout en précisant que certains adeptes se refusent à les désigner autrement que par leurs numéros. Il précise encore que la découverte d’un type peut être une affaire de longue haleine et nécessite parfois un accompagnement : il propose toutefois une description détaillée de chacun.
Le perfectionniste (type 1) : il veut être irréprochable. Sa blessure est d’avoir été aimé sous condition. Il compense par la rigueur et le jugement, sur lui et sur les autres.
L’indispensable (type 2) fuit ses propres besoins et vit de satisfaire ceux des autres, auprès desquels il est prêt à tout pour obtenir l’amour, qu’il a appris à mériter par le service.
L’arriviste (type 3) transforme la blessure du rejet en besoin de réussite. Il brille pour être reconnu, évite l’échec et poursuit la réussite, mesurant son existence à l’aune de son succès. Derrière son efficacité, il cache une peur d’être sans valeur.
L’individualiste (type 4), hypersensible et en quête d’authenticité, évite la banalité, cherche l’originalité, l’intensité dans la relation. Il vit la blessure du sentiment d’abandon et cherche à se différencier pour exister.
Le cérébral (type 5) : il répond à la peur du vide intérieur par la maîtrise intellectuelle. Il se protège du monde en se réfugiant dans la connaissance : il observe depuis le haut de sa forteresse et ne se laisse approcher que rarement et sous conditions.
Le légaliste (type 6) est dominé par l’angoisse, il cherche la sécurité dans l’obéissance à une loi extérieure, dictée par le groupe ou l’autorité. Il redoute la trahison et l’incertitude. Son intuition le rend attentif à tous les dangers.
Le jouisseur (type 7) fuit la souffrance par la dispersion, cherche sans cesse la nouveauté, tel un éternel adolescent : il multiplie les expériences pour ne pas affronter le manque.
Le petit chef (type 8) cherche à éviter la faiblesse, recherche force et justice jusque dans la domination. Sa quête masque une blessure de trahison : il se protège par le contrôle et l’affirmation de soi.
Le temporisateur (type 9) est celui qui s’efface pour éviter le conflit. Il aspire à la paix mais peut sombrer dans l’inertie : l’idéal repose pour lui dans un certain engourdissement des désirs, une harmonie tranquille.