Le fondement : l’illumination des anges
Le fondement de la doctrine des hiérarchies angéliques se trouve dans l’idée de leur diversité immense et dans la particularité de leur mode de connaissance. Dans la vision divine béatifiante où sont constitués les anges depuis le second instant de leur existence, tout est contemplé en Dieu. Cependant la connaissance particulière et explicite des projets divins envers les créatures particulières exige une révélation complémentaire au sein de la vision : tous les anges voient immédiatement Dieu dans son essence et en sont absolument comblés, mais selon le degré de « lumière de gloire »[1]C’est ainsi que les théologiens ont appelé l’habitus infus qui vient surélever durablement l’âme bienheureuse pour la rendre capable dans l’éternité de la vision intuitive de … Continue reading cette vision varie en profondeur et en étendue quant à la connaissance de l’univers et de son histoire, vus en Dieu. Il peut donc y avoir une révélation supplémentaire, non quant à l’essence divine contemplée dans la béatitude, mais quant aux « raisons » des œuvres divines[2]Somme Théologique, Ia Pars, q. 106, a1m ; IaIIae, q. 5, a. 6, a3m. Cette révélation emprunte justement la voie hiérarchique, descendant de degré en degré depuis la source (divine) jusqu’aux anges inférieurs, qui illuminent à leur tour les hommes (les prophètes, puis les autres). C’est d’ailleurs pour saint Thomas d’Aquin le principal mode d’action des anges dans le monde et de coopération au plan de Dieu. Il ajoute cependant une précision importante, pour éviter de verser dans l’émanatisme d’inspiration néo-platonicienne qui sous-tendait certaines théories soutenues jusqu’à son époque : si les anges préparent l’action de Dieu dans les âmes, leur sanctification et leur union à lui sont son œuvre exclusive (chez les anges comme chez les hommes) par le moyen de la grâce, proprement surnaturelle.
Cette illumination en cascade est au cœur des œuvres du Pseudo-Denys l’Aréopagite, écrivant vers le VIe siècle sur les hiérarchies célestes : par un mouvement de libre charité, l’ange supérieur se tourne vers l’inférieur et lui manifeste d’une façon adaptée à son intelligence la vérité qu’il connaît ; il le fait ainsi participer à sa propre perfection et le conduit vers Dieu. Il semble que l’ange supérieur, illuminant l’ange inférieur, fasse œuvre de pédagogue, disposant son intellect et lui manifestant une connaissance adaptée. L’intelligence inférieure est donc fortifiée et perfectionnée par le contact d’une intelligence supérieure et peut saisir des vérités plus hautes.
L’illumination : principe structurant de la communauté angélique
C’est donc cette activité illuminatrice qui permet de rendre compte de l’organisation de la société angélique, communauté véritable et parfaitement hiérarchisée, sur le fondement des capacités naturelles de chacun de ses membres, mais qui s’achèvent dans les fonctions exercées par eux dans l’ordre surnaturel. Saint Thomas d’Aquin[3]Somme Théologique, Ia Pars, q. 108. reprend ainsi la classification traditionnelle[4]On la trouve par exemple au IVe siècle dans les Catéchèses Mystagogiques de saint Cyrille de Jérusalem, puis en Occident chez saint Grégoire le Grand. qui superpose trois hiérarchies formant neuf chœurs, dont les noms ont été collectés dans la Bible. Ce système n’est pas explicitement révélé et son exposé connaît certaines variations chez les auteurs ecclésiastiques, que saint Thomas entreprend de réconcilier. Les divers chœurs angéliques ne sont pas explicitement ordonnés dans la Révélation ou dans le Magistère, mais on les retrouve énumérés par exemple dans les diverses préfaces de la liturgie.
Le principe de leur distinction vient de ce que les hiérarchies connaissent de manière diverse les lois divines[5]Somme Théologique, Ia Pars, q. 108, a. 1.. Chacune contient à son tour trois ordres différents, par leurs actes et leurs offices, et chaque ordre regroupe encore un grand nombre d’anges très différents, mais que nous ne pouvons distinguer parce que nous ignorons leurs offices.
– Dans la première hiérarchie (Séraphins, Chérubins, Trônes), les raisons des œuvres divines sont puisées à la source : ces anges sont directement tournés vers Dieu, en qui ils contemplent tout le plan divin depuis les origines.
– Dans la seconde hiérarchie (Vertus, Dominations, Puissances), les anges voient les projets divins dans les causes créées les plus élevées (qui sont les pensées des anges du premier chœur).
– Dans la troisième (Principautés, Archanges, Anges), ces projets sont vus comme déterminés particulièrement, en vue de leur exécution, à laquelle ces anges collaborent.
Pour saint Thomas d’Aquin, cette hiérarchie naturelle dans son origine mais surnaturelle dans son achèvement perdurera après le jour du jugement sous ces deux rapports, non plus pour guider les hommes à Dieu, mais pour continuer la louange éternelle du Souverain Maître. Les hommes à leur tour pourront entrer dans ces divers ordres angéliques, non pas en prenant la nature des esprits créés, mais en méritant au Paradis une gloire qui les équipare à l’un ou l’autre des chœurs célestes[6]Somme Théologique, Ia Pars, q. 108, a. 8..
Qu’en est-il alors chez les anges déchus ? Saint Thomas postule que cet ordre dut être conservé en Enfer quant aux choses et qualités naturelles, mais que la subordination des démons, ne pouvant plus être fondée sur l’amitié, s’enracine dans la haine qui leur est commune[7]Somme Théologique, Ia Pars, q. 109, a. 1, a3m..
Les hiérarchies angéliques en un clin d’œil
Hiérarchies | Ordres angéliques | Description | Fonction envers les hommes |
Épiphanie | Séraphins | brûlent de l’amour divin | enflamment les hommes d’amour de Dieu et du prochain |
Chérubins | plénitude de connaissance | guident les hommes vers la connaissance et la compréhension divine | |
Trônes | sièges des jugements | invitent les hommes à différencier bien et mal | |
Hyperphanie | Dominations | obéissent aux supérieurs, au-dessus des inférieurs | enseignent aux hommes à obéir et honorer leurs chefs |
Principautés | dirigent les ordres inférieurs | apprennent aux princes à gouverner leur peuple | |
Puissances | surveillent les démons | enseignent aux hommes à résister aux tentations | |
Hypophanie | Vertus | agents des miracles divins | protecteurs des grands hommes |
Archanges | messagers des grandes déclarations célestes | protecteurs des hommes qui prêchent les vérités divines les plus sublimes | |
Anges | messages des annonces ordinaires | protecteurs de tous ceux qui leurs sont confiés |
Source : Alain de Lille
Les anges gardiens
Au regard de cette doctrine, on ne pourra s’étonner que le chœur angélique que nous connaissons le mieux soit celui qui nous est le plus proche, le chœur inférieur des anges, préposés directement à la protection et la garde des hommes. Ce sont les anges gardiens, dont le ministère est affirmé par l’Écriture (l’ange Raphaël guidant le jeune Tobie par exemple). L’Église a fait entrer la dévotion envers les anges gardiens dans la liturgie universelle (fête du 2 octobre, Catéchisme de l’Église Catholique, n°335) et cette dévotion a été recommandée à de nombreuses reprises. Il est couramment enseigné aujourd’hui qu’un ange particulier est assigné à la garde de chacun des hommes : la certitude de cette affirmation est encore renforcée lorsqu’il s’agit des fidèles destinés à la gloire du Ciel.
Les anges : nature et fonction
Lorsque les théologiens traitent de la nature et de la fonction des anges, ils aiment préciser que le nom “ange” (du grec anggelos – messager, rendant l’hébreu malak – du verbe envoyer) est un nom de fonction plus que de nature. Il ne s’agit cependant pas d’une subtilité d’analyse grammaticale : Tertullien et saint Augustin montrent par là que les anges, dont la nature est immensément diverse (puisque chacun est sa propre espèce) et nous est si peu connaissable, se manifestent à nous par la mission qu’ils exercent au service de Dieu.
Il ne faudrait cependant pas en conclure que l’unique fonction des anges serait de participer au gouvernement divin du monde et d’y secourir les hommes. Saint Thomas d’Aquin[8]Somme Théologique, Ia Pars, q. 112. et la tradition classique nous enseignement qu’à cette intervention “active” se superpose la béatitude “contemplative” des esprits bienheureux qui louent sans cesse dans les cieux la gloire du Seigneur. On ainsi pris l’habitude de distinguer parmi les hiérarchies que nous venons de présenter certains ordres d’anges “assistants” (assistentes) préposés à la louange perpétuelle, de certains ordres “ministres” (ministrantes) contribuant au gouvernement du monde. Saint Thomas précise cependant que cette distinction (qui s’appuie sur l’analogie du fonctionnement des royaumes humains entre la cour rapprochée et les fonctionnaires royaux) ne saurait être exclusive, puisque tous les anges voient Dieu face à face, et ne cessent de le contempler alors même qu’ils sont envoyés en mission.
Références
| ↑1 | C’est ainsi que les théologiens ont appelé l’habitus infus qui vient surélever durablement l’âme bienheureuse pour la rendre capable dans l’éternité de la vision intuitive de l’essence divine et concourt à cette vision. Saint Thomas d’Aquin écrit dans le Compendium (chapitre 105) : « Il faut donc que pour l’atteindre elle soit élevée par une nouvelle disposition et que nous appelons lumière de gloire, par quoi Dieu parfait notre intelligence, lui seul ayant naturellement cette forme qui lui est propre, tout comme la disposition à la forme du feu ne peut Venir que du feu. Et de cette lumière il est question au Ps 35 : “En ta lumière nous verrons la lumière”». |
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| ↑2 | Somme Théologique, Ia Pars, q. 106, a1m ; IaIIae, q. 5, a. 6, a3m. |
| ↑3 | Somme Théologique, Ia Pars, q. 108. |
| ↑4 | On la trouve par exemple au IVe siècle dans les Catéchèses Mystagogiques de saint Cyrille de Jérusalem, puis en Occident chez saint Grégoire le Grand. |
| ↑5 | Somme Théologique, Ia Pars, q. 108, a. 1. |
| ↑6 | Somme Théologique, Ia Pars, q. 108, a. 8. |
| ↑7 | Somme Théologique, Ia Pars, q. 109, a. 1, a3m. |
| ↑8 | Somme Théologique, Ia Pars, q. 112. |
