À quel âge faut-il confirmer les enfants ? Après des décennies où la pratique générale a été de repousser l’âge de ce sacrement, de plus en plus présenté comme un rite de passage ou d’entrée dans l’âge adulte, on observe de-ci, de-là des tentatives de revenir à l’usage présenté comme plus originaire d’une confirmation administrée à de jeunes enfants, autour de l’âge de raison. De Dijon à Avignon, en passant par Bayonne, plusieurs diocèses de France se sont déjà ralliés à cette pastorale. À l’issue d’un travail fouillé, appuyé tant sur sa propre expérience pastorale que sur une recherche parmi les sources théologiques, l’abbé François Dedieu, prêtre du diocèse de Nanterre, propose avec « La confirmation à sa juste place » un « plaidoyer pour proposer ce sacrement avant la première communion ». Notre lecture…
Du constat à la réflexion
Le constat d’ouverture est flagrant. La comparaison du chiffre annuel des baptêmes et des confirmations – qui devraient peu ou prou correspondre sur une même paroisse – donne le vertige. Ce n’est pas une majorité mais parfois bien une minorité de baptisés qui reçoivent finalement le sacrement qui complète naturellement, accomplit et perfectionne le baptême. L’abbé Dedieu avance plusieurs raisons : le sacrement est peu demandé car il est méconnu, perçu avant tout comme un engagement de la part du chrétien, utile mais facultatif, apanage d’une élite. À ce quasi-abandon, l’auteur oppose sa propre expérience paroissiale : argument vivant pour un renouvellement de la pastorale de la confirmation. Face à cette méconnaissance du sacrement, l’ouvrage propose une réflexion en profondeur sur les sacrements de l’initiation chrétienne et sur la place respective du baptême, de la confirmation et de la communion, puis un certain nombre de rappels sur le sacrement qui justifient de le donner de manière anticipée, et enfin des conseils pour renouveler la pastorale de préparation et d’accompagnement des confirmands.
L’ordre des sacrements de l’initiation
Bien que leur distinction ne soit pas apparue aussi clairement à toutes les époques de l’Église, le concile Vatican II enseigne la séparation et l’articulation des trois sacrements de l’initiation chrétienne. Comme chez les Pères de l’Église, on y retrouve la confirmation après le baptême. Cet ordre antique amène à considérer la réception de l’eucharistie comme l’aboutissement de l’initiation chrétienne. Puisque ce sacrement est réitérable (à la différence du baptême et de la confirmation), les chrétiens qui suivent ce cheminement sont invités à comprendre que l’initiation ouvre sur un parcours de foi vécu en communauté et nourri fréquemment par la sainte communion. « Il ne faut jamais oublier, écrivait Benoît XVI, que nous sommes baptisés et confirmés en vue de l’eucharistie »[1]Benoît XVI, Sacramentum caritatis, 22 février 2007. Aux termes de l’abbé Dedieu, la confirmation est ainsi « le parachèvement du baptême et le porche de l’eucharistie ».
Un parachèvement du baptême
De Pâques à la Pentecôte se déploie la complémentarité scripturaire et liturgique du baptême et de la confirmation, qui apparaît encore dans le rituel du sacrement. S’il est parfois difficile de saisir l’essence de la distinction des deux sacrements, que l’on a parfois du mal à percevoir chez les Pères et dans les premiers temps de l’Église, c’est que le baptême appelle de soi la confirmation, qui la suit parfois immédiatement (en Ac 19, mais en Ac 8 certains convertis de Samarie avaient préalablement été baptisés sans recevoir l’Esprit-Saint). Pour Adrien Nocent[2]Dom Adrien Nocent, Le Renouveau liturgique, une relecture, Paris, Beauchesne, 1993, p. 108. l’Esprit-Saint agit dans le baptême (comme dans tous les sacrements) tandis qu’il est spécifiquement « donné » dans la confirmation, sacrement qui investit d’une mission. Dans le texte antique de la Tradition apostolique[3]Saint Hippolyte de Rome, Tradition apostolique, IVe siècle., le baptême prépare l’accueil du don de l’Esprit.
Cherchant dans l’Évangile une analogie de l’initiation chrétienne, l’auteur avance que la descente de l’Esprit-Saint au Jourdain, sous la forme d’une colombe, n’était pas sa première intervention dans la vie de Jésus, puisqu’il était déjà venu sur Marie à l’Annonciation : cette seconde venue serait en quelque sorte pour le Christ comme sa « confirmation » – un envoi de l’Esprit qui vient le fortifier au moment d’inaugurer sa vie publique, qui le conduit au désert pour être éprouvé puis l’accompagne dans toute sa mission. À ce passage de la vie de Jésus correspond pour l’abbé Dedieu dans l’expérience chrétienne celui de l’âge de raison, où l’enfant est éprouvé par la tentation et perçoit la conséquence de ses actes, où il est envoyé dans le monde pour témoigner du Christ.
Chez les Pères de l’Église l’auteur trouve encore de nombreux soutiens à l’appui de cette complémentarité du baptême et de la confirmation : « Dans la source baptismale, l’Esprit Saint accorde la plénitude de l’innocence ; dans la confirmation, il garantit un surcroît de grâce, parce que dans le monde on s’avance entre des ennemis et des dangers invisibles qu’il faudra vaincre sa vie durant » écrit Fauste de Riez, qui ajoute « L’Esprit-Saint, donc, qui descend sur les eaux baptismales pour leur assurer sa présence salutaire, au baptême donne la plénitude quant à l’innocence, et à la confirmation accorde un accroissement quant à la grâce, car en ce monde, nécessairement ceux qui toute leur vie doivent triompher, avancent au milieu des dangers que suscitent d’invisibles ennemis. Au baptême nous sommes régénérés pour vivre, après le baptême nous sommes confirmés pour la lutte »[4]Fauste de Riez, Homélie de Pentecôte..
Chez saint Thomas d’Aquin[5]Somme Théologique, IIIa Pars, q. 72, a. 1. en effet, la confirmation est au baptême ce que la croissance est à la naissance, permettant à l’individu de parvenir à la perfection. Il permet ainsi de voir le lien fort qui unit la confirmation au baptême et la nécessité de la confirmation, telle que l’Église prévoit qu’en danger de mort, on doit confirmer les enfants même s’ils n’ont pas encore atteint l’âge de la discrétion »[6]Catéchisme de l’Église Catholique, n°1307.. Quant à cet « âge adulte » dans la vie spirituelle dont parle docteur angélique, il précise qu’il ne coïncide pas nécessairement avec celui du corps, car « l’âge du corps ne constitue pas un préjudice pour l’âme »[7]Somme Théologique, IIIa Pars, q. 72, a. 8, a2m..
Le porche de l’eucharistie
Parachèvement du baptême, la confirmation est aussi le porche de l’eucharistie, dans cet ordre nouveau et pourtant si ancien et traditionnel dont l’abbé Dedieu se fait ici le promoteur. C’est en effet l’Esprit-Saint qui permet de reconnaître la présence du Seigneur caché sous l’humilité des espèces sacramentelles ; comme le vieillard Syméon, mû par ce même Esprit, reconnut le Sauveur dans l’humilité de l’enfant présenté un matin d’hiver au Temple de Jérusalem par cet humble couple de Galilée ; comme Elisabeth, emplie d’Esprit-Saint, exulta de joie face à Marie, tabernacle de la nouvelle alliance.
Changeant de point de vue, l’auteur interroge sur les dispositions nécessaires pour recevoir le plus dignement l’eucharistie : « marierions-nous les enfants avant qu’ils soient adultes » interroge-t-il avec humour (p. 56) pour montrer qu’une âme encore à l’âge de l’enfance peut être mieux disposée à recevoir la communion.
L’abbé Dedieu revient sur de nombreux rappels – relativement récents – de l’Église, exhortant à revenir à la pratique des Pères : il entend montrer que le Saint-Siège est régulièrement intervenu lorsque certains ont commencé à autoriser l’accès à la communion eucharistique avant la confirmation (il cite trois rappels faits par Rome entre 1854 et 1897).
La pratique se trouva certes bouleversée avec la réforme introduite par saint Pie X, qui recommanda vivement que les enfants puissent s’approcher de la sainte eucharistie dès l’âge de raison – induisant de facto la pratique de préparer la première communion avant la confirmation, dont la date dépendait souvent de la disponibilité de l’évêque. Et pourtant en 1932 la Sacrée Congrégation des Sacrements[8]Instruction Pluries petitiones, en réponse à de nombreuses demandes, 30 juillet 1932. répondait – tout en tolérant la pratique – qu’il demeure opportun que « les enfants n’accèdent pas pour la première fois à la Sainte Table avant d’avoir reçu la confirmation qui est comme le complément du baptême et dans laquelle est donnée la plénitude de l’Esprit Saint ». L’abbé Dedieu en conclut que si l’Église « laisse la possibilité de communier avant d’être confirmé, c’est parce que le baptême donne des dispositions suffisantes pour recevoir l’eucharistie. Mais ces dispositions ne sont pas parfaites » (p. 58).
En fait, d’après notre auteur, si l’on est prêt à recevoir le don que le Seigneur fait de lui-même dans le sacrement de l’eucharistie, alors on est prêt à recevoir le don qu’il fait de lui-même et de son Esprit dans la confirmation, et inversement. Pour lui, les conditions supplémentaires posées pour la confirmation sont plutôt révélatrices d’une conception erronée de l’initiation chrétienne, ou d’une instrumentalisation de la confirmation à des fins pastorales.
Vers un renouvellement de l’approche pastorale
C’est en effet à un véritable renouvellement de l’approche pastorale de la confirmation et de l’ensemble de l’initiation chrétienne que conduit la réflexion initiée ici par l’abbé Dedieu. Dans son constat initial, l’auteur avait déploré d’une part une fausse vision – induite par une conception protestante, voire pélagienne, de la vie chrétienne – considérant avant tout la confirmation sous l’angle de l’engagement du baptisé, de la ratification des promesses originelles. Il avait dénoncé d’autre part une certaine instrumentalisation pastorale de la confirmation qui aurait conduit à repousser sans véritable raison l’âge du sacrement qui marquait pour beaucoup la fin de la formation catéchétique et corrélativement de la pratique régulière, avec pour fin non avouée de garder le plus tard possible les enfants et les adolescents dans le giron de l’Église (la confirmation comme « carotte »). L’inanité et l’inefficacité de ces conceptions – au-delà de leur absence de fondement théologique – serait amplement démontrée par leur absence de résultats (et leurs effets pervers) en matière pastorale.
L’auteur appelle donc à un renouvellement de la présentation pastorale de la confirmation et de la catéchèse trinitaire. Il préconise de revenir à une vision équilibrée et juste des effets du sacrement : don de l’Esprit, fortifiant contre les tentations mais aussi envoyant en mission, avec le devoir d’être témoins du Christ et de propager la foi, au nom de l’Église, à laquelle l’onction donnée par l’évêque rattache visiblement. La confirmation imprime dans l’âme un caractère, distinct de celui du baptême et qui le parachève, une marque du Seigneur, signe d’appartenance à l’Esprit du ressuscité, qui garantit la permanence des effets du sacrement. Il ne s’agit donc pas tant de l’engagement du confirmand que de celui qui confirme : Dieu, qui s’engage à nous soutenir dans le combat et la mission. L’abbé Dedieu propose ainsi d’insister sur d’autres noms du sacrement, parlant notamment de « chrismation » pour mettre en lumière le don de l’Esprit.
L’ouvrage s’ouvre ainsi sur un certain nombre de considérations plus pastorales : comment préparer ce sacrement (en famille, en paroisse), quand et comment le donner, et comment accompagner les nouveaux confirmés dans la poursuite de leur parcours de foi. Il aborde notamment la question qui vient spontanément à la plupart des pratiquants habitués à une première communion précédant largement la confirmation : quand doit-on alors s’approcher de l’eucharistie, faut-il repousser un sacrement parce que l’on avance l’autre ? Pour l’abbé Dedieu, les deux peuvent être reçus la même année, à quelques mois d’écart par exemple, moyennant une bonne préparation.
Références[+]
| ↑1 | Benoît XVI, Sacramentum caritatis, 22 février 2007 |
|---|---|
| ↑2 | Dom Adrien Nocent, Le Renouveau liturgique, une relecture, Paris, Beauchesne, 1993, p. 108. |
| ↑3 | Saint Hippolyte de Rome, Tradition apostolique, IVe siècle. |
| ↑4 | Fauste de Riez, Homélie de Pentecôte. |
| ↑5 | Somme Théologique, IIIa Pars, q. 72, a. 1. |
| ↑6 | Catéchisme de l’Église Catholique, n°1307. |
| ↑7 | Somme Théologique, IIIa Pars, q. 72, a. 8, a2m. |
| ↑8 | Instruction Pluries petitiones, en réponse à de nombreuses demandes, 30 juillet 1932. |