Plusieurs âmes intérieures nous ont exprimé la douleur qu’elles ressentent en voyant, en certains endroits, la presque totalité des fidèles quitter l’église avec ensemble aussitôt après la fin de la messe où ils ont communié. Bien plus, c’est une coutume qui tend à se généraliser, même dans bien des pensionnats et collèges catholiques, où, jadis, les élèves qui avaient communié restaient à la chapelle une dizaine de minutes après la messe, prenant l’habitude de faire l’action de grâces, habitude que les meilleurs conservaient ensuite toute la vie.
Pour honorer le Saint-Sacrement, nous publions en deux parties un article important du P. Réginald Garrigou-Lagrange, grand théologien et spirituel dominicain, paru en 1935 dans la revue La vie spirituelle.
A lire : Les communions sans action de grâces (1/2)
À contre courant
Alors, pour montrer la nécessité de l’action de grâces, on citait le fait de saint Philippe de Neri faisant accompagner par deux enfants de chœur portant des cierges une dame qui quittait l’église aussitôt après la fin de la messe où elle avait communié. Combien de fois a-t-on raconté cette leçon bien méritée, qui souvent a porté des fruits ! Mais on prend aujourd’hui des habitudes de sans-gêne presque avec tout le monde, avec les supérieurs comme avec les égaux et les inférieurs, et même avec Notre-Seigneur. Si la chose continue, il y aura, comme on l’a dit, beaucoup de communions et peu de vrais communiants. Si des âmes zélées ne s’emploient pas à remonter ce courant, il détruira peu à peu tout esprit de mortification et de vraie et solide piété. Et pourtant Notre-Seigneur, lui, est toujours le même, et nos devoirs de reconnaissance envers lui n’ont pas changé.
Le devoir de rendre grâces
L’action de grâces n’est-elle pas un devoir, après un bienfait reçu, et ne doit-elle pas être proportionnée au prix du bienfait ? Lorsque nous offrons une chose de quelque valeur à une personne amie, nous sommes légitimement attristés si elle ne se donne pas même la peine de nous en remercier par un mot. La chose est devenue fréquente aujourd’hui. Et s’il y a dans ce sans-gêne, qui touche à l’ingratitude, quelque chose qui nous blesse, que dire de l’ingratitude à l’égard de Notre-Seigneur, dont les bienfaits ont incomparablement plus de prix que les nôtres ?
Jésus lui-même nous le dit lorsque, après la guérison miraculeuse de dix lépreux, un seul vint le remercier. ” Et les neuf autres où sont-ils ? ” demanda le Sauveur. Ils avaient été miraculeusement guéris et ne vinrent pas même dire : Merci.
Or, à la communion, nous recevons un bienfait très supérieur à la guérison miraculeuse d’une maladie du corps, nous recevons l’auteur même du salut et un accroissement de la vie de la grâce, qui est le germe de la gloire, ou la vie éternelle commencée ; nous recevons une augmentation de la charité, de la plus haute des vertus, qui vivifie, anime toutes les autres, et qui est le principe même du mérite.
L’action de grâces de Jésus
Jésus souvent rendit grâces à son Père pour tous ses bienfaits, en particulier pour celui de l’Incarnation rédemptrice ; de toute son âme il remercia son Père d’en avoir révélé le mystère aux petits. Il remercia sur sa croix, en disant Consummatum est. Il ne cesse de remercier au saint sacrifice de la messe, dont il est le prêtre principal. L’action de grâces est une des quatre fins du sacrifice, toujours unie à l’adoration, à la supplication, à la réparation. Et même après la fin du monde, lorsque la dernière messe sera dite, et qu’il n’y aura plus de sacrifice proprement dit, mais sa consommation, lorsque la supplication et la réparation auront cessé, le culte d’adoration et d’action de grâces durera toujours, et s’exprimera dans le Sanctus, qui sera le chant des élus pendant l’éternité. Aussi comprend-on que bien des âmes intérieures aient à cœur depuis quelque temps de faire célébrer des messes d’action de grâces, en particulier le second vendredi du mois, pour suppléer à l’ingratitude des hommes et de bien des chrétiens, qui ne savent plus guère dire merci, même après les plus grands bienfaits.
Rendre grâces en particulier pour l’eucharistie
S’il est une chose pourtant qui demande une action de grâces spéciale, c’est l’institution de l’eucharistie, par laquelle Jésus a voulu rester réellement parmi nous, pour continuer d’une façon sacramentelle l’oblation de son sacrifice, et pour nourrir nos âmes, plus et mieux que le meilleur des aliments ne peut nourrir nos corps. Il n’est pas question ici de nous nourrir de la pensée d’un saint, mais de nous nourrir de Jésus Christ, de la plénitude de grâces qui est en sa sainte âme unie personnellement au Verbe et à la Divinité.
Par l’eucharistie, il se donne à nous, pour nous assimiler à lui. Le bienheureux Nicolas de Flüe disait : « Seigneur Jésus, prends-moi à moi et donne-moi à Toi » ; ajoutons : « Seigneur Jésus, donne-Toi à moi, pour que totalement je t’appartienne. » C’est le plus grand don que nous puissions recevoir. Et il ne mériterait pas une action de grâces spéciale ! C’est là le but de la dévotion au cœur eucharistique.
Combien est blessante l’ingratitude de celui qui ne sait pas dire merci, après la communion, par laquelle Jésus se donne lui-même à nous !
Les fidèles qui quittent l’église presque aussitôt après avoir communié ont-ils donc oublié que la présence réelle subsiste en eux comme les espèces sacramentelles environ un quart d’heure après la communion, et ne peuvent-ils pas tenir compagnie à l’Hôte divin pendant ce court laps de temps ? Comment ne comprennent-ils pas leur irrévérence ? Notre-Seigneur nous appelle, il se donne à nous avec tant d’amour, et nous, nous n’avons rien à lui dire et ne voulons pas l’écouter quelques instants.
Les saints, en particulier sainte Thérèse, Bossuet aimait à le rappeler, nous ont souvent dit que l’action de grâces sacramentelle est pour nous le moment le plus précieux de la vie spirituelle. L’essence du sacrifice de la messe est bien dans la double consécration, mais c’est par la communion que nous participons nous-mêmes à ce sacrifice d’une valeur infinie. Il doit y avoir en ce moment un contact de la sainte âme de Jésus, unie personnellement au Verbe, avec la nôtre, une union intime de son intelligence humaine éclairée par la lumière de gloire avec notre intelligence souvent obscurcie, oublieuse de nos grands devoirs, obtuse en quelque sorte à l’égard des choses divines ; il doit y avoir aussi une union non moins profonde de la volonté humaine du Christ, immuablement fixée dans le bien, avec notre volonté chancelante, et enfin une union de sa sensibilité si pure avec la nôtre parfois si troublée. Dans la sensibilité du Sauveur il y a les deux vertus de force et de virginité qui fortifient et virginisent les âmes qui s’approchent de lui.
À suivre (demain) : Les communions sans action de grâces (2/2)