Au moment de monter jusqu’au sommet de la montagne, d’entrer dans la nuée et, dans un face-à-face mystérieux[1]Ex 19, 18.20 ; 33, 19-23, de recevoir dans son âme l’empreinte du Christ, prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech[2]Ps 109, 4, le jeune diacre se retourne une dernière fois, pour regarder derrière lui le chemin parcouru.
L’appel du Seigneur
Dans la vallée au bas de la montagne, quelque part, ce fut la première fois qu’il entendit l’appel du Seigneur : « Viens, suis-moi [3]Mc 10, 21.». Et puis, ce fut la route, entre cet appel et la montagne. Pour certains, le chemin fut clair et droit, sans détours ni impasses ; pour d’autres, il fut parfois obscur, sinueux, et il sembla à certains jours que l’appel se perdrait à un carrefour ou dans un fossé. Mais la grâce aidant, le jeune homme, chargé de la première préparation au sacerdoce que constituent son éducation, ses expériences scolaires ou professionnelles, arriva enfin au pied de la montagne qu’il lui fallut gravir avant de devenir prêtre du Très-Haut. C’est le séminaire.
Au séminaire
Il y eut d’abord un premier sentier, l’année de propédeutique ou de spiritualité. Le jeune homme s’initia intellectuellement et pratiquement aux grands principes de la vie spirituelle, il consacra son temps à la lecture des maîtres en cette matière. Dans le silence d’une oraison plus longue, et d’une lecture continue de la Bible, il écouta le Maître intérieur lui parler. Le jeune homme apprit (ou réapprit) les bases concernant la doctrine chrétienne, la Sainte Écriture, la liturgie ; il apprit le langage de sa mère – l’Église Catholique romaine – le latin.
Un deuxième sentier s’ouvrit ensuite aux pieds du séminariste, qui désormais, depuis le début de sa deuxième année de séminaire, était revêtu de la soutane. Ce fut le sentier parfois ardu, parfois aride, mais ô combien essentiel et fondamental, des deux années de philosophie. Éclairé par les enseignements d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin, le jeune homme apprit à poser sur le réel un regard de raison ; il organisa sa pensée, la structura, l’affina. Depuis l’étude de la nature, jusqu’aux plus hautes envolées de la métaphysique ou de la théodicée (c’est-à-dire, la « théologie naturelle » ou approche philosophique de Dieu), le jeune homme disposa son intelligence pour le chemin qui lui restait à parcourir.
Vint le troisième sentier de la montagne : quatre ans de théologie. Le séminariste suivit de nouveau saint Thomas d’Aquin, cette fois pour approfondir, avec le regard de l’intelligence éclairé par la foi théologale, les mystères de la foi chrétienne : Dieu dans son unité et sa Trinité, l’Incarnation, l’Église, les sacrements, les fins dernières … Le jeune homme apprit surtout à contempler ces mystères, pour pouvoir un jour les faire connaître aux âmes qui lui seront confiées.
Les ordres sacrés
Au cours de la troisième année de théologie – sixième au séminaire – le jeune homme se donna totalement à Dieu dans le sous-diaconat ; sa consécration s’approfondit avec l’ordination diaconale. Il passa dès lors sa quatrième année de théologie, le dernier sentier menant au sommet, dans une paroisse, où, tout en poursuivant ses études, il apprit sur le terrain la charge redoutable mais si belle du ministère auprès des âmes. Il apprit la valeur des humbles services, sans relief, loin des projecteurs des succès éclatants ; il apprit la difficulté d’annoncer le Christ à certaines âmes ; il apprit en fait à se renoncer à lui-même, à prendre sa croix, et à suivre son Maître crucifié[4]Mc 8, 34. Mais transporté de joie, il s’initia à la prédication, à la célébration de la sainte Messe et des sacrements. Il goûta au bonheur de voir des âmes approfondir leur union au Christ.
Au moment d’atteindre le sommet et d’entrer dans la nuée, et d’entendre le Père éternel, regardant dans son âme le visage de son Fils, dire : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, il a toute ma faveur[5]Mt 17, 5 », le jeune diacre considère une dernière fois le chemin parcouru. Son cœur déborde d’action de grâces. Il se retourne vers la nuée qui couvre le sommet de la montagne ; son cœur peut palpiter, ses membres trembler d’émotion, son âme reste ferme dans la confiance, appuyée sur la grâce du Christ qui l’assure qu’il sera toujours avec lui. Le jeune diacre s’avance. Encore quelques pas. Consummatum est – tout est accompli[6]Jn 19, 30.