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La science, l’épreuve de Dieu

Dieu, la science, les preuves, avait fait parler de lui à l’automne et s’est vendu à plus de 100000 exemplaires, il est encore en tête de gondole dans les librairies généralistes. Il vient d’y être rejoint par un essai qui lui répond directement – si l’on en croit le bandeau ajouté à sa couverture – La science, l’épreuve de Dieu, du jésuite François Euvé.

à lire aussi : notre compte-rendu de Dieu, la science, les preuves

Deux approches très diverses

L’auteur reconnaît que son livre (186 pages) n’entend pas répondre point par point au monumental essai de MM. Bolloré et Bonnassies (577 pages). Il veut plutôt présenter sur certains points un éclairage complémentaire ou plus nuancé. La présentation qu’il fait du sujet se décline en trois parties. La première aborde la possibilité de prouver l’existence de Dieu, à partir des prises de position classiques sur le sujet. La seconde revient sur les évolutions récentes de la science en lien avec la question de l’existence de Dieu. La troisième entend prendre du recul en traitant de la possibilité d’un dialogue entre la science et la foi. Le livre se conclut par une mise en application immédiate, puisqu’y est inclus un dialogue entre l’auteur et le physicien Etienne Klein.

Les deux ouvrages ont beau traiter du même sujet, il semble que tout les oppose : gabarit, présentation du premier rehaussée par de nombreuses images, diagrammes et tableaux là où le second se distingue par sa sobriété, et surtout large différence de style et de point de vue. La démonstration de MM. Bolloré et Bonnassies se singularise par un esprit résolument optimiste et enthousiaste, qui les conduit à présenter l’évolution récente des sciences expérimentales comme venant presque unanimement corroborer leur thèse d’un retour en force de la solution théiste. Dans un style plus nuancé, le P. Euvé se montre d’une grande prudence, choisissant de brosser à grand traits le tableau historique, sans le présenter comme évoluant vraiment dans un sens ou dans l’autre. Il reconnaît que les découvertes du XXe siècle ont remis en cause le triomphalisme d’une science qui se voulait résolument athée, en réintroduisant dans les modèles théoriques un aspect mystérieux et énigmatique (physique quantique par exemple, mur de Planck dans le cas du Big Bang). Ainsi la science contemporaine n’impose pas, selon le P. Euvé, une vision matérialiste fermée à toute transcendance.

La science peut-elle prouver Dieu ?

Mais elle ne peut pas à l’inverse aller jusqu’à imposer le théisme, encore moins la foi en un message religieux particulier. Le P. Euvé récuse l’usage du terme « preuve » pour qualifier les arguments scientifiques en faveur de l’existence de Dieu, préférant le terme « signe », dont il relève qu’il est celui utilisé par saint Jean pour décrire les miracles de Jésus. Quant à cette notion de « preuve », il est vrai que MM. Bonnassies et Bolloré ont pu prêter le flanc à la critique en présentant indifféremment comme « preuve » des arguments très divers, fondés pour les uns sur les dernières recherches scientifiques, pour les autres sur des phénomènes surnaturels (Fatima et le miracle du soleil), ou encore les raisonnements philosophiques menant à l’existence de Dieu. En fait les auteurs de Dieu, la science, les preuves, entendent présenter 12 preuves aux caractères variés, pour laisser aux lecteurs le choix d’être convaincus par celle qui les touche le plus. Les pistes s’en retrouvent parfois brouillées, car certaines de ces « preuves » conduisent au seuil de l’affirmation de l’existence de Dieu, tandis que d’autres sont directement des justifications du message chrétien.

Saint Thomas d’Aquin et la preuve de Dieu

Sur cette notion de preuve il faut toutefois revenir à saint Thomas d’Aquin et à son raisonnement sur cette matière, cité par le P. Euvé dans son argumentation. Il nous semble que ce serait revoir considérablement à la baisse la démarche du docteur angélique que de faire des « cinq voies » de la Somme de Théologie un ensemble de « signes » de l’existence de Dieu. L’Aquinate annonce d’emblée son intention dans ce commencement de la Somme : « l’existence de Dieu est évidente par elle-même ? » (Réponse : de soi oui, mais par pour nous car nous ne savons pas ce que Dieu est) ; « l’existence de Dieu est-elle démontrable ? » (Réponse : oui en tant qu’à partir des effets on peut remonter à la cause). Puis il passe à la démonstration proprement dite, qu’il entame en affirmant qu’on peut suivre « cinq voies » pour « prouver » (en latin probari) que Dieu existe.

Saint Thomas emploie en théologie plusieurs types d’arguments : lorsqu’il se trouve face à un mystère révélé, insondable par la raison humaine, il considère que le théologie doit se contenter d’avancer des « arguments de convenance », qui essaient d’apporter un éclairage sur le dessein divin déjà posé et révélé. Avant d’en arriver à ces vérités élevés, le théologien doit cependant assurer les fondations de la foi – les préambules, qui sont quant à eux démontrables au niveau purement naturel. C’est encore une fois affirmé bien clairement par l’Aquinate dans ces articles importants de la Somme de Théologie :

L’existence de Dieu et les autres vérités concernant Dieu, que la raison naturelle peut connaître, comme dit l’Apôtre (Rm 1, 19), ne sont pas des articles de foi, mais des vérités préliminaires qui nous y acheminent. En effet, la foi présuppose la connaissance naturelle, comme la grâce présuppose la nature, et la perfection le perfectible. Toutefois, rien n’empêche que ce qui est, de soi, objet de démonstration et de science ne soit reçu comme objet de foi par celui qui ne peut saisir la démonstration.[1]Somme Théologique, Ia, q. 2, a. 2, a1m

Il est ainsi évident que pour saint Thomas les cinq voies représentent une véritable « preuve » de l’existence de Dieu, une preuve scientifique, puisqu’elle relève de la plus haute des sciences accessibles à la raison humaine – la métaphysique, celle qui fait justement parvenir l’esprit créé au seuil de l’incréé, à l’existence de l’immatériel et du divin. C’est ce qu’affirme sans ambages un des plus grands spécialistes contemporains de l’Aquinate : « Il ne peut y avoir aucun doute sur le fait qu’il ait été convaincu que l’existence de Dieu peut-être prouvée ou démontrée en philosophie. » [2]John. F. Wippel, La métaphysique de saint Thomas d’Aquin, Paris, Cerf, 2022, p. 515

Rester nuancé sans déprécier la capacité de la raison humaine à atteindre Dieu

On saluera donc dans la démarche du P. Euvé la volonté de revenir à une présentation plus équilibrée de l’évolution des opinions contemporaines au sujet des énigmes scientifiques qui pourraient mener au théisme. Un optimisme trop affiché, taxé même de « naïveté » par Etienne Klein, risque de prêter le flanc à des critiques faciles, voire de conduire certains à se lancer dans un concordisme (volonté de faire absolument correspondre les derniers résultats de la recherche avec les données de foi) qui n’est jamais satisfaisant et se traduit par une fuite en avant.

On regrettera en revanche que ne soient pas distingués plus clairement les différents plans auxquels se déploie une démarche intellectuelle conduisant à affirmer l’existence de Dieu : c’est justement sur ce point qu’une précision critique du livre de MM. Bolloré et Bonnassies nous semble particulièrement utile. Si les sciences dures ne peuvent que nous mener face à des énigmes dont la résolution semble orienter vers la présence d’une intelligence à l’origine de l’univers, d’un au-delà de l’espace et du temps, il est certain que ces disciplines ne sauraient nous mettre en contact avec Dieu lui-même, puisque leur objet est par définition matériel, alors que Dieu est immatériel. En revanche, la philosophie a pour tache la plus haute de nous faire parvenir au seuil de la théologie, en démontrant rationnellement les préambules de la foi. Une fois ces préliminaires établis, le discours théologique se trouve certes souvent limité à des argumentations de convenances ou négatives (apophatisme : on peut dire de Dieu ce qu’il n’est pas mais non ce qu’il est), à des raisonnements par analogie. Mais il faut rappeler avec le concile de Vatican I que :[3]Vatican I, 1870, Session III, Constitution Aeterni Patris, chapitre 2 : Deum, rerum omnium principium et finem, naturali humanae rationis lumine e rebus creatis certo cognosci posse.

Dieu, principe et fin de toute chose, peut être certainement connu par la raison humaine naturelle à partir des choses créées.

On se réjouit de voir le débat apologétique encore une fois relancé, même si les utiles précisions factuelles apportées par le P. Euvé auraient pu s’inscrire dans une distinction plus évidente des différents plans de connaissance. Il semble que tout ce qui peut être fait pour armer les chrétiens face à la négation absolue de tout ce qui renvoie au divin doit être encouragé et apprécié. On salue ainsi la publication de Soyez rationnel, devenez catholique, de Matthieu Lavagna, riche en particulier en ce qu’il rend accessible en langue française les avancées apologétiques récentes du monde anglo-saxon.

Références

Références
1 Somme Théologique, Ia, q. 2, a. 2, a1m
2 John. F. Wippel, La métaphysique de saint Thomas d’Aquin, Paris, Cerf, 2022, p. 515
3 Vatican I, 1870, Session III, Constitution Aeterni Patris, chapitre 2 : Deum, rerum omnium principium et finem, naturali humanae rationis lumine e rebus creatis certo cognosci posse.
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