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Faire pénitence pour mieux aimer

 « La pénitence, c’est l’amour qui se débarrasse de tout ce qui le gène.[1]voir le sermon de l’abbé Jean-Baptiste Moreau sur ce thème » En cette veille du Carême, alors que nous nous creusons la tête pour trouver des résolutions, il importe de replacer la pénitence à sa juste place : un moyen essentiel, nécessaire depuis le péché, pour mieux aimer.

Les plus attentifs l’auront peut-être remarqué : avant-hier, dans la messe de la Quinquagésime, dernier dimanche qui nous prépare au Carême, on ne parlait guère de mortification ou de pénitence ; à la place, la liturgie nous a fait entendre le bel hymne à la charité de saint Paul dans l’épître, et la guérison de l’aveugle de Jéricho dans l’Évangile. La libération et l’amour, voilà les objectifs du Carême, voilà la fin visée par la pénitence : faire pénitence, pour être libre d’aimer.

 

Jeûne, aumône, prière

Faire pénitence, c’est donc nous libérer de ces chaînes qui entravent l’amour. C’est pour cela que, dans la tradition chrétienne, on associe le Carême à trois efforts, et non à un seul : le jeûne, l’aumône, et la prière. L’origine de cette « trilogie » dans le christianisme vient du Christ lui-même, dans ce beau passage de Mt 6, 2-18 :

Quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi […]. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites […] Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. […]

Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites […] Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra.

Ainsi le Carême est une sortie de nous-même (jeûne), vers Dieu (prière), à travers les autres (aumône). Alors, essayons de trouver un petit effort concret pour ces trois axes !

 

Le jeûne libérateur

On minimise parfois la place du jeûne et de la mortification corporelle pendant le Carême. Certes, l’attitude intérieure compte plus que l’acte extérieur :  mais il ne faut pas oublier que nous sommes composés d’un corps et d’une âme, et que le corps participe, par ses actes propres, à notre marche vers Dieu.

Par le péché, nos attachements terrestres, nos habitudes, nos attraits sensibles nous ont « captivés », c’est à dire à la fois « séduits », et « enchainés ». Notre capacité d’aimer, de soi infini et donc faite pour Dieu, se concentre alors sur des objets finis, trop petits pour notre cœur : et alors notre âme se plie, comme une feuille que l’on froisse pour qu’elle prenne moins de place, notre âme étouffe et ne peut plus « aimer à l’aise », c’est-à-dire aimer « de tout son cœur ». Il faut nous libérer et pour cela « arracher » ces attaches, et « réparer » ces désordres : c’est toute la place de la mortification et donc du jeûne[2]pour se persuader que ce discours et toujours d’actualité, on peut relire l’encyclique de Paul VI sur la pénitence, en 1966 : Paenitemini. , et plus largement le sens spirituel que l’on peut donner à la souffrance chrétienne, en union avec le Christ dans sa Passion.

Concernant le jeûne, il y a bien sûr le jeûne du mercredi des Cendres et du Vendredi Saint, tout comme l’abstinence de viande le vendredi : pénitences non choisies, et donc porteuses d’une bonté propre en cela que nous les observons par obéissance, en toute humilité (qui peut se vanter d’avoir observé la règle ?), et en union avec toute l’Église. Ajoutons à cela un « jeûne » individuel, en fonction des chaînes qui nous emprisonnent personnellement : et si c’est le domaine de la nourriture qui nous vient en premier à l’esprit, un regard honnête sur nous-même nous montrera peut-être que nos chaînes sont ailleurs : prison des écrans, d’internet, addiction à l’information permanente (c’est une drogue qui trouble le cœur, surtout en ce moment !), aux réseaux sociaux, souci du paraître, etc… Libérons-nous !

 

L’aumône de la charité fraternelle

Concernant l’aumône, il faut être bien concret : qui puis-je aider, qui puis-je aimer mieux pendant ce Carême ? L’expérience nous montre qu’il est parfois plus difficile d’aimer un proche que d’aider un inconnu dans la rue… Pourquoi ne pas choisir une personne du travail, de notre famille, de notre entourage, avec laquelle nous avons un peu de mal, et à laquelle nous ferions « l’aumône » : aumône de notre sourire, de notre temps, de notre disponibilité, de notre présence ; aumône de notre silence, en évitant de la critiquer ; aumône de notre prière…

 

La prière : gravir la montagne Sainte

L’une des images les plus parlante du Carême se trouve dans la vie du prophète Elie[3]1 R 19 qui, fuyant la colère de la reine Jézabel, traverse toute la Terre Sainte et le désert. Il peine, il souffre, il se décourage au bout de la première journée : « C’en est trop, Seigneur ! », s’écrit-il en s’écroulant ; et l’ange du Seigneur le réconforte, le nourrissant de galettes cuites, image de l’Eucharistie. Il se relève, et « fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu[4]1 R 19, 8. »

Son objectif est donc double, comme le nôtre en cette entrée de Carême : se libérer de ses oppresseurs (voilà pour l’aspect pénitentiel, l’aversio, la fuite du mal), pour trouver Dieu (voilà pour la conversio, le retour à Dieu). Son découragement ressemble à nos échecs, à nos chutes malgré notre bonne volonté, et nous enseigne que nous trouverons la force de nous libérer non pas en nous-même, mais en Dieu, par les sacrements.

Mais le plus beau est à venir : arrivé sur la Montagne Sainte, Elie a « rendez-vous » avec Dieu. Il écoute, et voilà ce que nous dit le texte :

 À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan.

Et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre.

Et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu.

Et après ce feu, le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne. Alors il entendit une voix qui disait : « Que fais-tu là, Élie ? » [5]1 R 19, 11-13

Dieu n’est pas dans le bruit et le fracas : il est dans la « brise légère ». Le mot hébreu est encore plus fort et paradoxal : « un bruit de silence », nous dit-on. Pendant notre Carême, essayons de trouver ce silence dans lequel Dieu parle, en prenant garde à notre vie de prière : un temps d’adoration pendant la semaine, une prière du matin ou du soir faite avec plus d’attention, et pourquoi pas la lecture d’un livre qui nous aide à entrer dans les chemins de l’oraison ?

Car le but du Carême n’est pas de faire pénitence : le but, c’est de gravir la Montagne Sacrée pour vivre en la présence de Dieu, en compagnie de l’aimé ; et la pénitence en est le chemin. Bonne entrée en Carême !

Références

Références
1 voir le sermon de l’abbé Jean-Baptiste Moreau sur ce thème
2 pour se persuader que ce discours et toujours d’actualité, on peut relire l’encyclique de Paul VI sur la pénitence, en 1966 : Paenitemini. 
3 1 R 19
4 1 R 19, 8
5 1 R 19, 11-13
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