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Le Christ nous en demande-t-il trop ?

Le Christ devant Pilate - Stom / wikimedia
Il était une fois un inquisiteur, un grand inquisiteur qui officiait non dans les contrées d’un pays, non dans les rues d’une cité mais dans les pages d’un roman : ce « grand inquisiteur » est, en effet, le personnage d’un livre de Fiodor Dostoïevski, les Frères Karamazov (aucun lien avec Serge, fils unique…). Cardinal nonagénaire, craint et respecté de tous, il vient de châtier une centaine d’hérétiques à Séville lorsque le Christ se présente dans la ville.

 

Le grand inquisiteur et le Christ

 

1500 ans après sa venue dans la chair, le Seigneur Jésus a souhaité retourner sur la terre pour voir de plus près comment se porte le monde. Sous l’humble aspect d’un pauvre, il se met à arpenter les rues de Séville, bien vite reconnu par le peuple chrétien qui se presse autour de lui, attiré par la bonté de son regard et les merveilles qu’il réalise en passant. Mais voilà que le grand inquisiteur, sous les yeux de la foule interdite et soumise, fait arrêter le Fils de Dieu et, au cours d’un terrible tête-à-tête, le met en accusation. Qu’a-t-il donc à lui reprocher ? Le face-à-face mérite qu’on s’y arrête car il nous éclairera grandement sur le sens à donner à notre carême…

 

« Les hommes attendent du pain et des jeux quand le Christ les invite à être des saints »

 

Que reproche le grand inquisiteur à celui qu’il devrait regarder non comme son prisonnier, non comme un futur condamné mais comme son Seigneur et Roi d’éternelle gloire ? Il le blâme d’en avoir trop demandé aux hommes. D’avoir surestimé l’humanité, de n’avoir pas voulu voir en elle ce qu’elle est vraiment : une masse d’hommes faibles et pécheurs et d’avoir souhaité lui offrir des biens trop hauts pour sa petitesse. À part une élite de quelques milliers de saints dans l’histoire, l’humanité n’a cure, en réalité, du pain du ciel : elle ne veut que le pain de la terre – et elle est prête à tout pour le tenir dans sa main ; de même, l’humanité, au dire du vieux cardinal, n’a que faire de la liberté : elle désire un chef qui la guide avec autorité et la garde en sécurité loin des dangers – et loin de cet immense danger que représente le fait d’être libre et responsables de ces actes ; enfin, l’humanité serait bien trop servile, bien trop basse pour s’élever à la Foi que lui propose le Christ : cette foi fondée non sur les prodiges et le sensationnel mais sur l’Amour qui émane de la personne du Seigneur, qui brille dans ses yeux, qui se manifeste en ses mains, qui se dit dans sa bouche. Les hommes attendent du pain et des jeux quand le Christ les invite à être des saints. Plus qu’un malentendu, une terrible erreur de casting, un coup d’épée dans l’eau qui, s’il séduit quelques milliers de nobles âmes, laisse des milliards d’hommes et de femmes sur le bord du chemin.

 

Les trois tentations

 

Alors ? Alors, dans une tragique et horrible parodie de la Croix, le grand inquisiteur a accepté de se sacrifier pour le bien de l’humanité. Pour offrir aux hommes un bonheur à leur échelle, il a dit oui à ces trois tentations du mauvais – auxquelles le Christ Jésus, nous le réentendrons dimanche prochain, a délibérément choisi de dire non. Le vieux cardinal, au prix de sa damnation, a pris en main le pain de la terre pour en nourrir les foules reconnaissantes ; il a déployé les prodiges pour les fasciner ; il a fait peser sur elles sa souveraine autorité pour les soumettre : pour qu’ils n’aient plus de question à se poser, plus de direction à choisir, plus de liberté à exercer. Désormais, les hommes – joyeusement dépossédés de ce si gênant libre-arbitre, se laisseront guider par leurs maîtres et pourront en paix digérer le pain qu’ils auront largement distribué. Ambitieux et réjouissant projet du grand inquisiteur qui pour faire le bonheur de l’homme est passé sous la bannière du démon, reprochant amèrement au Christ de s’être entièrement fourvoyé sur le compte de l’humanité en lui offrant et en lui demandant bien au-delà de ce qu’elle pouvait désirer et accomplir : la sainteté par la liberté, la foi par l’amour.

 

Mais il n’y a pas de chrétiens moyens !

 

Le Christ en demande trop ; vous m’en demandez trop, Seigneur ! Cette idée ne nous a-t-elle jamais traversé lorsque nos lectures, lorsque notre cœur nous indiquaient le chemin de la sainteté ? C’est trop ! Contentons-nous d’être des chrétiens moyens qui, gentiment, pactisent avec le monde – ce monde contemporain, ce monde qui nous entoure et qui semble tout droit sorti de l’esprit du grand inquisiteur : une foule apeurée et affamée qui, en la remettant à des chefs auto-proclamés, a troqué sa liberté contre la paix de son ventre et la jouissance de ses sens. Redisons-le donc au seuil de ce carême : il n’y a pas de chrétiens moyens ! Il n’y a pas de troisième voie entre les vues du grand inquisiteur et le désir du Christ. Il n’y a que deux sortes de chrétiens dans cette église : ceux qui aspirent encore à être des saints et ceux qui y ont renoncé. Puisse le Carême qui s’ouvre mercredi affermir les premiers et ramener les seconds dans le chemin du Seigneur car il n’y a pas de salut hors de la quête de la sainteté qui nous fait préférer le pain du Ciel au pain de la terre, la liberté à l’esclavage, la Foi aimante dans le Seigneur à la fausse sécurité de la nuque courbée sous le joug des tyrans. Libérez-vous de vos chaînes !

 

Source : Fssp Besancon

 

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