Depuis plus de cinquante ans, la question de la réception de Vatican II continue d’échauffer les esprits, d’alimenter des débats et de susciter des polémiques, tant au sein de l’Église que dans le monde médiatique.
Il faut dire qu’à son point de départ l’évènement avait cristallisé beaucoup d’espoirs et suscité de nombreuses attentes, en se présentant comme une « aurore resplendissante qui se lève sur l’Église[1] Jean XXIII, Discours d’ouverture du concile Vatican II, 11 octobre 1962. », pour finalement laisser place à des interrogations inquiétantes, exprimées par Paul VI quelques années à peine après la clôture :
On croyait qu’après le Concile, le soleil brillerait sur l’Église, mais au lieu du soleil nous avons eu les nuages, la tempête, les ténèbres, la recherche, l’incertitude […] Comment cela a-t-il pu se produire ?[2] Paul VI, Homélie du 29 juin 1972.
L’éclairage de Benoît XVI
Les anniversaires successifs du Concile Vatican II ont, au fil des années, généré de nouvelles réflexions et permis de nouvelles analyses dont celle, magistrale, de Benoît XVI en 2005, où le Pape appelait à une réception des textes du Concile dans un esprit de « renouveau de la continuité » et non un esprit de « discontinuité et de rupture[3] Benoît XVI, Discours à la Curie romaine, 22 décembre 2005 ». Quarante ans après le Concile, le discours de Benoît XVI rassurait de nombreux catholiques toujours déconcertés par certains textes conciliaires ou par l’interprétation qui en était faite, parfois éloignée voire incompatible avec l’enseignement ou la praxis traditionnelle de l’Église.
Pour autant, en dépit de l’apport déterminant de Benoît XVI, force est de reconnaître que le Concile Vatican II est resté une pierre d’achoppement à l’intérieur de l’Église, comme nous avons pu le constater récemment à la lecture de la lettre d’accompagnement du Motu Proprio Traditionis Custodes où le Pape François se dit attristé par « un rejet croissant du Concile Vatican II[4] Pape François, Lettre d’accompagnement du Motu Proprio Traditionis Custodes, 16 juillet 2021. » chez certains catholiques attachés aux formes antérieures de la liturgie de l’Église.
La Fraternité Saint-Pierre ayant reçu du Saint-Siège la faculté d’user des livres liturgiques anciens (1962) de façon permanente – faculté confirmée par le pape François le 11 février 2022 – elle ne peut ignorer l’inquiétude du Saint-Père au sujet du Concile Vatican II, aussi nous semble-t-il important d’apporter quelques lumières à ce propos.
Aborder les ambiguïtés du Concile à la lumière de la Tradition
À l’origine de la Fraternité Saint-Pierre se trouve un « Protocole d’accord » prévu initialement pour la Fraternité Saint-Pie-X mais que Mgr Lefebvre a dénoncé quelques heures à peine après l’avoir signé.
Or, c’est ce même texte que les cardinaux Joseph Ratzinger et Augustin Mayer, chargés par le Pape Jean-Paul II de trouver un terrain d’entente avec les prêtres ayant quitté la Fraternité Saint-Pie-X, ont proposé aux futurs fondateurs de la Fraternité Saint-Pierre (et de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier). Ce protocole, que les prêtres ont accepté, prévoit la reconnaissance de l’enseignement du Concile Vatican II sur l’adhésion au Magistère de l’Église, tout en permettant « une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, à propos de certains points enseignés par le Concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui paraissent difficilement conciliables avec la Tradition ».
Dès sa création, il était donc entendu que la Fraternité Saint-Pierre reconnaissait dans le Concile Vatican II un acte du Magistère suprême de l’Église (dont l’autorité est diversement engagée selon les textes), tout en gardant la faculté d’émettre des critiques positives au sujet de certains enseignements dudit Concile et de la réforme liturgique.
Jamais la Fraternité Saint-Pierre n’a donc mis en doute la valeur magistérielle du dernier Concile, sans toutefois feindre d’ignorer les difficultés ou ambiguïtés suscitées par quelques passages ou textes qu’elle s’est toujours attachée à lire et à recevoir à la lumière de la Tradition de l’Église, ce que le Pape Benoît XVI qualifiera en 2005 d’ « herméneutique de la réforme dans la continuité ».
Le Novus Ordo Missae, une rupture dans l’histoire de la liturgie romaine
Il n’y a donc pas de « rejet du Concile Vatican II » à l’origine de Fraternité Saint-Pierre, pas plus que des doutes sur la validité de la messe et des sacrements célébrés selon les livres liturgiques promulgués par Paul VI, comme l’exprime également le protocole d’accord accepté par les prêtres fondateurs de la Fraternité Saint-Pierre.
En revanche, à la suite de Mgr Lefebvre, et comme certaines voix autorisées l’avaient exprimé dès 1969, les prêtres de la Fraternité Saint-Pierre n’ont jamais caché leurs difficultés à l’égard de la réforme liturgique, laquelle ne peut être considérée comme une simple étape dans un processus d’évolution homogène, mais représente une rupture dans l’histoire de la liturgie romaine. Le futur Cardinal Ratzinger l’écrivait dès 1976 :
Le problème du nouveau missel réside dans la renonciation au processus historique [développement organique] qui avait été continu avant et après saint Pie V, et dans la création d’un livre complètement nouveau qui, même s’il constitue une compilation d’anciens matériaux, a été accompagné d’une prohibition de tout ce qui existait avant : un fait inouï dans l’histoire du droit et de la liturgie[5] Lettre au professeur Wolfgang Waldstein, 1976.
Distinguer la question du concile et la question de la messe
Pour autant, il ne serait pas juste d’arguer des textes du Concile Vatican II pour justifier la réforme liturgique : il est clair que le « Conseil pour l’application de la Constitution sur la liturgie » créé par le Pape Paul VI en 1964 s’est considérablement éloigné des préconisations pastorales qu’avaient exprimées les Pères conciliaires. Là encore Joseph Ratzinger le remarquait dès 1976 :
Je peux dire avec certitude, sur la base de ma connaissance des débats conciliaires et de ma lecture répétée des interventions des Pères conciliaires, que cela [la réforme du missel] ne correspondait pas aux intentions du Second Concile du Vatican[6] Lettre au professeur Wolfgang Waldstein, 1976..
Il n’est donc pas exact de parler de la messe promulguée par le pape Paul VI en 1969 comme de « la messe de Vatican II » : la réalité est plus nuancée.
Face au Concile, une attitude filiale
Sans considérer le Concile Vatican II comme le point de départ d’un nouvel âge de l’Église, exigeant des catholiques une adhésion particulière et absolue sous peine d’en rester à des repères désormais caduques (ce qui est l’autre versant de « l’herméneutique de la rupture »), la Fraternité Saint-Pierre reçoit le dernier concile œcuménique comme un acte du Magistère suprême de l’Église, dont le degré d’autorité diffère selon les textes, et qui s’inscrit dans un enseignement bimillénaire à la lumière duquel il doit être accueilli.
Seule cette attitude, nous semble-t-il, correspond à celle d’un fils qui, sans se départir d’un sain esprit critique, reconnaît dans le Magistère de l’Église, la voix de celle qui a été constituée par le Christ Mère et Maîtresse de vérité.
Source : Benoît Paul-Joseph, « Recevoir, à l’aune de la Tradition », TEP 23 (2022), p.1-3.
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Références[+]
↑1 | Jean XXIII, Discours d’ouverture du concile Vatican II, 11 octobre 1962. |
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↑2 | Paul VI, Homélie du 29 juin 1972. |
↑3 | Benoît XVI, Discours à la Curie romaine, 22 décembre 2005 |
↑4 | Pape François, Lettre d’accompagnement du Motu Proprio Traditionis Custodes, 16 juillet 2021. |
↑5 | Lettre au professeur Wolfgang Waldstein, 1976 |
↑6 | Lettre au professeur Wolfgang Waldstein, 1976. |