Après Dieu existe (2013) et Catholix Reloaded (2015), Frédéric Guillaud publie Et si c’était vrai ? petite somme ou ‘Reader’s digest’ des réponses de l’apologétique contemporaine, à partir de chroniques parues régulièrement dans l’hebdomadaire France Catholique.
Triplé gagnant pour l’apologétique avec Frédéric Guillaud
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Frédéric Guillaud s’était fait connaître en publiant deux ouvrages de défense de la rationalité de la foi catholique. Avec Dieu existe, il entendait reprendre les préambules philosophiques de l’acte de foi, en montrant que l’existence de Dieu peut faire l’objet d’une conclusion rationnelle. Dans Catholix Reloaded, l’auteur reprenait une à une les trois grandes étapes de la démarche apologétique traditionnelle : théisme (existence de Dieu), christianisme (existence et divinité de Jésus, crédibilité des évangiles…) et catholicisme (origine et mission divines de l’Église).
Les talents déployés par Frédéric Guillaud dans ces premiers ouvrages se retrouvent et se concentrent dans son troisième, pour offrir une véritable somme d’apologétique, en un format cependant très abordable, et même à bien des égards, récréatif.
– « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… » Quelle meilleure preuve de la rationalité des vérités de foi que notre capacité à les exposer simplement ? C’est là le premier talent de l’auteur, dont la pédagogie résume avec concision et précision des arguments philosophiques de haut niveau, qu’il sait illustrer efficacement, pour donner à l’argumentation apologétique une grande clarté.
– La poussiéreuse science de l’apologétique, victime d’une profonde désaffection de ce côté-ci de l’Atlantique, souvent considérée comme dépassée et non-avenue, renaît de ses cendres aux Etats-Unis : Frédéric Guillaud n’est pas ignorant de ce renouveau et nous en fait profiter avec bonheur.
– L’auteur sait enfin marier avec sûreté les arguments philosophiques et les données scientifiques actuelles. Très au fait des derniers développements en physique ou en cosmologie, il ne confond pas les points de vue et respecte la hiérarchie des savoirs, dans la grande tradition thomiste. Sans mélange des genres, on trouvera dans ses ouvrages la sagesse pérenne de la philosophie chrétienne, étayée et illustrée par les avancées récentes des sciences expérimentales. Un atout de taille, à l’heure où le scientisme de beaucoup de contemporains pourrait conduire les chrétiens à vouloir enraciner leur foi dans le terrain – mouvant – de l’astrophysique ou de la biologie (Big Bang, évolution thermique de l’univers… sont des indices qui désignent mais ne peuvent prouver Dieu, voir notre compte-rendu de « Dieu, la science, les preuves » par Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies).
Et si c’était vrai ? … reprise et approfondissement
Que gagnera-t-on à lire – et même à relire ou à ficher, comme un bon élève – le troisième ouvrage de Frédéric Guillaud ?
D’abord celui-ci représente une synthèse et une présentation à nouveaux frais des arguments percutants déployés dans Dieu existe et Catholix Reloaded. Le plan de l’ouvrage, bien qu’il ne l’affiche pas aussi clairement, suit encore les trois grandes étapes de la démarche apologétique classique : théisme, christianisme, catholicisme – ou encore Dieu, Jésus-Christ, l’Église. La table des matières se divise cependant en dix chapitres : le premier s’attache à démontrer l’existence de Dieu, les trois suivants représentent une christologie apologétique (existence de Jésus, fiabilité des évangiles, mort et résurrection), les six derniers abordent l’un après l’autre les grandes objections à l’origine et la mission divines de l’Église (l’eucharistie, l’héritage paulinien et romain, la mariologie et l’angélologie, morale, bioéthique et spiritualité, économie et politique, regards sur les autres religions). Chaque chapitre est divisé en un certain nombre de questions – cent au total – auxquelles sont apportées des réponses simples et concises, dépassant rarement la double page. En un mot, Et si c’était vrai ? propose d’apporter une réponse claire et percutante, mais aussi nourrissante, à « toutes les questions que vous n’avez jamais posées au catéchisme. »
On trouvera dans cet ouvrage des approfondissements et des nouveautés réelles par rapport aux deux premiers, de nombreuses idées qui viennent enrichir la réflexion apologétique. L’introduction met ainsi en rapport le désenchantement du monde, et la perte de l’évidence de Dieu qui l’accompagne dans nos sociétés, avec leur urbanisation galopante à partir du XIXe siècle : idée intéressante et porteuse d’espoir à l’heure où beaucoup préconisent un ré-enracinement dans nos campagnes ?
Quant à la démonstration de l’existence de Dieu, Dieu existe (2013), appuyé en grande partie sur les cinq preuves de saint Thomas d’Aquin, se détachait cependant de l’approche du Docteur Angélique en argumentant pour la nécessaire existence d’un Créateur à partir de l’impossibilité – démontrable selon l’auteur – de son éternité. L’auteur reprend ici cette argumentation (également employée dans Catholix Reloaded). Quant à nous, nous ne la ferions pas nôtre, car il nous semble que l’impossibilité pour notre esprit humain de concevoir une infinité d’événements passés (un nombre infini de jours ayant précédé aujourd’hui) ne fonde pas une impossibilité absolue. Avec saint Thomas d’Aquin et Aristote (contre saint Bonaventure et certains penseurs arabes, chez qui Frédéric Guillaud prend cet argument dit du « Qalam ») nous tenons que le monde aurait pu exister de toute éternité (nous savons par la Révélation que ce n’est pas le cas) tout en maintenant sa nécessaire Création (même sans commencement dans le temps) et dépendance à l’égard de Dieu.
Parmi les nouveautés déployés dans Et si c’était vrai ?, nous avons encore particulièrement apprécié par exemple la présentation très originale de la difficile troisième voie de preuve de saint Thomas d’Aquin, à partir de la contingence : l’univers aurait pu être différent, il ne porte pas en lui-même son explication, et demande donc à trouver hors de lui-même la raison pour laquelle il est ainsi. Dans la partie « christianisme » on retrouve avec bonheur certains résultats de recherches récentes au sujet de Jésus (sur la date de Noël, par exemple, dont nous avions parlé en décembre 2022, sur l’onomastique biblique comme preuve de l’authenticité des évangiles, à partir des recherches de Richard Bauckham), ou encore l’hypothèse que le titulus (titre de condamnation surmontant la croix) aurait porté en hébreu les initiales YHWH, pour Yeshoua HaNozri W’Melek HaYehouda, soit le nom imprononçable du Dieu de Moïse, ultime provocation ou vengeance de Pilate, suscitant l’ire des chefs des prêtres. Nous avons particulièrement apprécié l’éclairage donné sur le mystère de la dimension ‘satisfactoire’ de la mort sacrificielle du Christ : ni suicide, ni punition divine, ni bavure, la mort de Jésus sur la croix est une réparation particulièrement adéquate – nécessaire même en un certain sens – au désordre introduit dans le monde par le péché des hommes.
Un point délicat au sujet du Christ concerne les prophéties : la difficulté consiste à présenter l’argument dans toute sa force à un monde qui n’est pas armé pour l’apprécier. Ce qui jouait à plein pour des auditeurs juifs imprégnés de l’Écriture semble certes tomber à plat pour des contemporains qui ouvrent plus souvent TikTok que la Bible. Il importe toutefois de ne pas sous-estimer la valeur objective de cet argument de crédibilité en faveur de la divinité du Christ – fondé dans la parole même de Dieu – bien qu’il paraisse aujourd’hui subjectivement plus faible que les éléments tirés de l’histoire ou de l’archéologie.
Nécessité vitale de l’apologétique
Credibile quia ineptum est – crédible car absurde, ou encore credo quia absurdum : une phrase mal comprise ou faussement attribuée à Tertullien qui sert souvent d’excuse pour confiner la foi dans le domaine strictement privé et la réduire à une consolation pour esprits faibles. L’apologétique, science rationnelle de défense de la foi, est plus nécessaire aujourd’hui que jamais, alors que tant de nos contemporains ignorent tout de Dieu, et que les réponses modernes à leurs questionnements les entraînent si loin de la vérité catholique.
Et si c’était vrai ? est un livre pour les chrétiens fervents comme pour les non-croyants. Il donnera aux uns les assises rationnelles de leur adhésion amoureuse à la vérité divine, et leur fournira des arguments clairs et à jour pour dialoguer avec un monde en perte totale de repères. Il apportera aux autres des réponses faciles et courtes, abordables mais pas simplistes, à même de rencontrer leurs questionnements les plus profonds. Et si c’était vrai ? vient rejoindre les rangs de ces « nouvelles voix de l’apologétique » que nous présentions en Juillet dernier et offre une synthèse particulièrement fiable et équilibrée, dans l’esprit thomiste dont son auteur est profondément imprégné. On ne peut que recommander sa lecture et se réjouir de cette belle publication, nouvelle contribution des Éditions Marie de Nazareth au renouveau de l’apologétique catholique.