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Du récit de la création au baptême

Quel rapport entre les quatre lectures vétérotestamentaires de la veillée pascale et le sens de cette antique cérémonie, couronnée par le baptême et le renouvellement de ses promesses ? La création du cosmos comme un temple dont l’homme est constitué prêtre prépare et annonce la nouvelle création opérée en Notre-Seigneur, avec lequel nous sommes prêtres pour vivre d’une vie nouvelle et divine.

Renouveler notre baptême

Dans la pénombre de l’église encore obscure, éclairée seulement des quelques chandelles allumées au grand cierge pascal, et par lui au feu nouveau du Christ ressuscitant, nous entendrons ce soir quatre grandes lectures de l’Ancien Testament. L’habitude et la fatigue nous empêchent peut-être parfois de goûter la profondeur spirituelle de l’ordonnancement liturgique : prenons un peu d’avance sur la vigile pour méditer ces textes sous un angle original.

Il s’agit en effet pour nous ce soir de nous préparer à un nouveau baptême : après quarante jours de purification et de préparation en lesquels tous les chrétiens ont accompagné les catéchumènes de l’année, tous renouvellent les promesses de leur baptême, à la charnière de la veillée pascale et de la messe de la résurrection.

L’œuvre des six jours

Dans la première leçon nous entendrons ce soir le récit de la création : serons-nous une fois de plus gênés par l’apparence simpliste de la narration, le souvenir des critiques faciles adressées par nos collègues ou nos amis agnostiques à l’encontre du supposé créationnisme naïf des catholiques ? Rappelons-nous tout d’abord que le propos de ce texte grandiose n’est pas de nous dire comment la création a été effectuée, mais pourquoi. Une fois la vraie question posée, la réponse se lit à travers les lignes si poétiques du récit primitif. La création est l’œuvre d’un architecte merveilleux qui, alors que l’univers était « informe et vide » (en hébreu tohu et bohu – sans ordre et sans habitants) agence le monde et le peuple. Les trois premiers jours seront consacrés à ordonner le cosmos : séparer jour et nuit, cieux et océans, terre et mer ; les trois suivants à le faire habiter : astres peuplant le ciel, poissons et volatiles dans les eaux et les airs, animaux de la terre ferme, et finalement l’homme.

La création est un temple à la gloire de Dieu

Mais ce que Dieu construit n’est pas banal : il s’agit d’un temple. Que pourrait-il construire d’autre ? Les mots utilisés pour raconter la création sont ceux-là même que l’on retrouve dans le récit de l’Exode, lorsque Dieu indique à Moïse au désert quels devront être les plans de la tente de la rencontre[1]Des chapitres 25 à 31 de l’Exode, le Seigneur donne à Moïse, sur la montagne (voir le rapport avec la montagne à la note suivante), les directives pour la construction de sa « demeure ». Il … Continue reading, le temple mobile en lequel le Seigneur voulut habiter avec son peuple en transhumance. L’Écriture a donc pris pour coutume de parler de la création comme d’un temple : « il bâtit son sanctuaire comme les hauteurs du ciel, comme la terre qu’il a fondée pour toujours[2]Ps 78, 69 » ; et le magnifique psaume 148 appelle un à un tous les éléments du cosmos, dans l’ordre même du récit de la Genèse, à louer le Seigneur.[3]On peut ajouter à cela que ce temple de la création n’est pas situé en un lieu anodin : le Jardin d’Eden est au sommet d’une haute montagne, puisqu’y prennent leur source les quatre … Continue reading

 

Quel prêtre pour le temple du cosmos ?

Ce temple de la création n’est pas peuplé seulement par des créatures dénuées de l’intelligence qui seule pourrait leur permettre de tourner la beauté du cosmos en motif de gloire pour le Seigneur ; Dieu a terminé son œuvre en créant une créature hybride, à mi-chemin entre l’esprit et la matière, être corporel doué d’intelligence – l’homme. Celui-ci est placé dans le temple comme un prêtre : il est chargé en Gn 2, 15 de « servir » (avad) et « garder » (shamar) le jardin – ces mots sont exactement ceux employés par Dieu au livre des Nombres (Nb 3, 7-8) pour qualifier le rôle des fils d’Aaron, les prêtres de l’Ancienne Alliance. En quoi consistait ce sacerdoce originel sinon en un premier sacrifice ? Rendre à Dieu un peu des bienfaits par lui accordés, afin de manifester qu’il en conservait l’absolue propriété. (pour ce thème – essentiel – du sacrifice de l’homme, voir aussi l’article sur les cinq pains et les deux poissons.

 

Fidélité indéfectible face aux rechutes humaines

Par la création nous fûmes donc placés en un temple splendide, œuvre purement gratuite de la magnificence divine, et constitués ses prêtres. La faute originelle vint bouleverser cet ensemble harmonieux et introduisit dans le monde le refus du plan divin et par lui toutes sortes de maux. L’histoire de notre retour à Dieu est celui d’une succession d’alliances à nouveau proposées par le Seigneur, acceptées par l’homme mais trahies en raison sa faiblesse désormais congénitale, en une suite de rechutes.

C’est l’histoire que raconte la suite des lectures de cette nuit : Dieu vient chercher son peuple esclave en Égypte et sépare les eaux de la mer pour le guider vers la Terre promise – préfigurant le salut offert dans le baptême d’eau ; il purifie les rescapés d’Israël et la fille de Sion, s’établissant avec toute sa gloire dans la Jérusalem nouvelle de l’Église ; il conclut avec les chrétiens une alliance nouvelle, dont le témoignage est une loi inscrite non plus sur des tables de pierre mais en des cœurs de chair, et placée dans une arche sainte en laquelle sa présence demeure pour toujours – l’âme élevée et illuminée par la grâce. Comme Dieu avait séparé les eaux d’en-haut de celles d’en-bas au deuxième jour, il ouvre la mer pour que son fils Israël passe à pied sec sous la houlette de son berger Moïse : en cette nuit pascale il ouvre les eaux de la mort pour livrer passage au bon pasteur, Jésus, qui entraîne après lui le peuple des baptisés, vers la Terre promise de la grâce et de la gloire.

De la création au baptême : un même dessein divin d’amour miséricordieux – être temple du Seigneur

Les six jours de la création sont ceux de la construction d’un temple magnifique où Dieu voulait habiter avec l’homme et être loué par lui ; la chute originelle semblait avoir ruiné ce dessein, mais la miséricorde divine dont nous célébrons ce soir en particulier la magnificence a restauré son œuvre en un plan plus admirable encore. La bienheureuse faute de nos premiers parents nous mérite cette nuit un Sauveur qui est notre grand Dieu lui-même, venu inaugurer une alliance nouvelle scellée en son sang et dont la dot est la divinisation de notre humble condition.

Par le Christ, l’hommage des créatures vers Dieu, abîmé par le péché, retrouve toute sa perfection, dans et par l’Unique Sacrifice Agréable, l’hommage que Jésus rend à son Père, reformation admirable (mirabilius reformasti) ; et le regard de bienveillance que Dieu portait sur son œuvre au soir du 6e jour (« et Dieu vit que cela était très bon ») se pose désormais sur le Christ, et sur tous ceux qui lui sont unis : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui j’ai mis toute ma complaisance ».

Par le baptême dont nous renouvelons cette nuit les promesses, qui est véritablement une nouvelle création, nous sommes faits nous aussi des temples, à l’image du nouvel Adam – le Christ – où le Saint-Esprit avec la Trinité toute entière vient habiter par la grâce, pour que notre vie ne soit plus humaine mais divine, pour qu’étant morts avec le Christ, nous ressuscitions avec lui pour une vie éternelle.

Références

Références
1 Des chapitres 25 à 31 de l’Exode, le Seigneur donne à Moïse, sur la montagne (voir le rapport avec la montagne à la note suivante), les directives pour la construction de sa « demeure ». Il conclut (Ex 31, 12-17) en rappelant le précepte du respect du sabbat, mis explicitement en lien avec le repos du septième jour de la Création.  Après la prévarication du veau d’or, Moïse ayant reçu de Dieu le renouvellement de l’alliance, procède selon ses instructions à la construction de la Demeure. Les chapitres 35 à 39 en font le récit, mais Moïse commence cette fois en établissant la durée du travail à accomplir : « Tu travailleras six jours, mais le septième sera pour vous un jour consacré ; un jour de repos complet en l’honneur de Yahwé » (Ex 35, 2). Au chapitre 39 la fin de l’œuvre est rapportée dans les termes même employés par la Genèse pour conclure le récit de la Création. Comparons Gn 2, 1 (« Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et toute leur armée ») avec Ex 39, 32 (« Ainsi fut achevé tout l’ouvrage de la Demeure, de la tente de réunion »). Comparons Gn 1, 31 (« Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici cela était très bon ») et Gn 2, 2-3 (« Et Dieu eut achevé le septième jour son œuvre qu’il avait faite, et il se reposa le septième jour de toute son œuvre qu’il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour et le sanctifia »)  Ex 39, 43 (« Moïse examina tout l’ouvrage, et voici, ils l’avaient exécuté ; ils l’avaient fait comme Yahweh l’avait ordonné. Et Moïse les bénit. ») La durée de construction du Temple par Salomon est exactement de sept ans : « La quatrième année, au mois de ziv, furent posés les fondements de la maison de Yahweh ; et la onzième année, au mois de bul, qui est le huitième mois, la maison fut achevée dans toutes ses parties et telle qu’il convenait. Salomon la construisit dans l’espace de sept ans. » (1R 6, 37-38) ; la conclusion de la construction rappelle encore celle de la Création : « Ainsi fut achevé tout l’ouvrage que le roi Salomon fit dans la maison de Yahweh » (1R 7, 51).
2 Ps 78, 69
3 On peut ajouter à cela que ce temple de la création n’est pas situé en un lieu anodin : le Jardin d’Eden est au sommet d’une haute montagne, puisqu’y prennent leur source les quatre fleuves qui irriguent le monde. De la même manière le temple où Dieu désire résider est situé sur la montagne de Jérusalem, et le prophète Ézéchiel décrira comment dans les derniers temps il s’en épanchera une eau vive qui abreuvera jusqu’aux lieux les plus arides (Ez 47). Saint Jean a certainement vu cette source coulant du côté du temple dans le sang et l’eau jaillissant du côté transpercé du Seigneur.  De même, Le Jardin ou le temple de la création n’est accessible que par l’Est, puisque c’est là que se placent après la chute originelle les anges qui en condamnent l’accès : or c’est par l’Est que se faisait l’entrée de la tente de la rencontre et plus tard du temple de Jérusalem, c’est de l’Est que le prophète Zacharie prédit le retour du messie ; c’est naturellement vers l’Est – le côté où se lève la lumière du Christ ressuscité – que sont orientées nos églises chrétiennes et que nous célébrons les saints mystères.
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