Retrouvez chaque mois la chronique des prêtres de Claves dans France Catholique.
Dans la grande encyclique du 24 octobre dernier, le Saint-Père, à la suite de ses prédécesseurs, invite l’Eglise à contempler avec des yeux nouveaux le coeur de Jésus. Or le grandiose et surprenant mystère du Sacré-Coeur se donne à contempler dans celui de Notre-Dame.
Pourquoi aimer et vénérer le coeur de la Mère de Dieu ? Pourquoi parle-t-on du Coeur « immaculé » de Marie ?
Le Coeur immaculé de Marie, entièrement relatif à Dieu
Au premier abord, le dogme de l’Immaculée Conception et le mystère du Coeur immaculé de Marie semblent des articles de foi « négatifs » : on nie de Marie, et en particulier de son coeur, l’imprégnation de la tâche originelle. Il est vrai qu’en instituant en 1942 une fête du Coeur immaculé de Marie, fixée à l’octave de l’Assomption, Pie XII établit une relation entre la conception immaculée de Notre-Dame, sa préservation de la corruption physique, et la qualité de son coeur, qui symbolise et récapitule toute sa personne.
Mais il faut aller plus loin, car la dévotion au Coeur immaculée de Marie nous dit plus sur elle que le simple fait de sa préservation du péché. Saint Louis-Marie Grignion de Montfort disait que Marie est « toute relative à Dieu » : cette entière relationnalité de Notre-Dame au Seigneur ne peut être comparée à l’union des divines personnes ou de la nature humaine et de la nature divine du Christ, mais elle signifie que son être intime, dans toutes ses opérations, coïncide avec sa relation à Dieu. Autrement dit tout ce que Marie pense, dit et fait, part de Dieu et aboutit en lui. Elle assume entièrement et dans chacun de ses actes intérieurs et extérieurs sa qualité de créature, radicalement dépendante de son Créateur. Cette acceptation simple et humble de Notre-Dame la transfigure et conforme profondément son coeur à celui de Dieu. En effet c’est à son coeur que cette totale relationnalité s’applique particulièrement. Lorsque l’on parle du Coeur immaculé de Marie, il s’agit du coeur au sens spirituel (la partie supérieure de l’être humain, son âme susceptible d’être tournée vers Dieu), mais aussi du coeur de chair, organe et principe de la vie, identifié habituellement comme lieu des affections et des sentiments. Le coeur est physiquement et symboliquement le principe et l’origine de toutes les aspirations et opérations de la personne : il est la condition d’exercice de toute activité organique, et c’est de lui que procèdent au sens spirituel nos bonnes et mauvaises actions (« L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais[1]Lc 6, 45. »). Or c’est justement quant à ses aspirations et à son opération que Marie est entièrement relative à Dieu : toutes ses actions prennent en lui leur origine et leur accomplissement. Cette harmonie totale avec Dieu est donc une harmonie du coeur.
Le coeur de Marie, chemin du coeur de Jésus
Mais la dévotion au coeur de Marie ne peut s’arrêter à une contemplation extérieure. Notre-Dame nous l’a rappelé à Fatima : l’amour de son coeur est un appel et un chemin vers le coeur de Jésus. Si le Sacré-Coeur – le Saint-Père le rappelle – est le symbole et le principe de la miséricorde divine envers l’humanité, le Coeur immaculé de Marie en est l’inséparable et très doux instrument. Le coeur de Marie vit en effet en permanence l’intimité et l’effusion d’amour miséricordieux que nous expérimentons lorsque nous sommes pardonnés par Dieu. N’avons-nous pas déjà fait cette expérience transitoire de joie surnaturelle et incompréhensible dans la confession ? Quant à Marie, elle fait cette expérience en-dehors du péché, en vertu de sa totale relationalité : l’illumination trop éphémère que nous ressentons dans le pardon reçu est permanente en son âme, qui est entièrement transparente à la lumière divine et dont toute l’essence est d’être préservée et purifiée par Dieu : « Je suis l’Immaculée Conception ». Et ainsi paradoxalement, c’est dans l’expérience de notre faiblesse et de la miséricorde gratuite que Dieu nous fait que nous connaissons mieux la grandeur du Coeur de Marie et la nécessité que nous avons d’emprunter ce chemin pour entrer dans celui de l’amour divin. Du fait de notre condition, c’est l’expérience de la séparation et du retour qui nous fait réaliser « la largeur, la hauteur, la profondeur… de l’amour (et donc du coeur) du Christ » (Ep 3, 18). Or la séparation est d’autant plus douloureuse qu’elle semble de notre point de vue irrémédiable, et en réalité elle l’est : nous ne pouvons réparer ce que notre péché a brisé. La première étape de notre conversion consiste à retrouver l’espérance, à réaliser que notre faute peut être pardonnée, que notre peine peut être confiée à un coeur aimant et maternel : elle commence souvent par une confidence faite au coeur bienveillant de Marie, refuge des pécheurs.
C’est du corps de la Vierge bénie que Jésus voulut former tout son corps : c’est de son coeur qu’il voulut recevoir son Sacré-Coeur. C’est aussi ce coeur qui fut transpercé avec le sien par la lance du soldat, conformément à la prophétie de Syméon : transpercé, c’est à dire ouvert, comme pour nous y frayer une voie. Tout comme le chemin de l’Incarnation passe par Marie, le chemin de la Rédemption s’accomplit aussi par elle. C’est le sens de la dévotion à son coeur Immaculé, symbole et récapitulation de sa personne « toute relative à Dieu ».
Se consacrer à Notre-Dame, porter le scapulaire, réciter le chapelet, ne sont donc pas des pratiques périphériques de la foi chrétienne : à travers ces dévotions, Marie nous prend son son aile pour nous protéger et nous porter à son Fils. La transcendance de notre foi, en même temps que sa profonde incarnation, se résume et s’accomplit dans le Coeur immaculé de Marie, image et chemin du Sacré-Coeur de Jésus.