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De l’Ancien Testament à Paray-le-Monial : la dévotion au Sacré-Coeur

1675 – 2025 : Cette année jubilaire coïncide avec le 350ème anniversaire des apparitions du Sacré-Coeur à Paray-le-Monial. Le Saint-Père a proposé aux catholiques de placer ce mystère au coeur de leur contemplation et de leur prière en publiant en octobre dernier une longue encyclique intitulée Dilexit nos. 

Après avoir proposé une introduction et un guide de lecture de l’encyclique, nous revenons sur les beaux approfondissements de la IVème partie, qui déploie l’histoire de la dévotion du Sacré-Coeur dans l’Ecriture et chez les saints.

Durant toute cette année Claves proposera un approfondissement spirituel et dogmatique, chaque premier vendredi du mois, sur le thème du Sacré-Coeur. 

Le cœur divin dans l’Ancien Testament

Le thème du cœur n’est pas absent de la Bible, ni même de l’Ancien Testament. Parmi les thèmes qui se rapportent à la dévotion au Sacré-Coeur, on trouve notamment celui de l’eau vive, dont Jésus annonce qu’elle coulera de son cœur (Jn 7, 37). L’eau vive, symbole de vie et de renouveau au milieu du désert, annoncée par les grands prophètes (Is 12, 3 ; Ez 36 ; Ez 47) et son aspersion constitue le rite central de la fête des tentes (« soukkot », en souvenir des quarante années passées au désert). Dans les prophéties eschatologiques, les temps messianiques sont annoncés comme le jaillissement d’une source (Za 12-13). « Tout s’accomplira dans la fontaine débordante de la croix » écrit le pape, qui relève que les premiers chrétiens ont vu l’accomplissement de cette promesse, noté par saint Jean, dans le coté transpercé du Christ. Ce thème de l’eau vivifiante donnée gratuitement et en abondance se retrouve dans la finale de l’Apocalypse (Ap 22). Le côté transpercé, comme siège de l’amour de Dieu, est également évoqué par les prophètes (Is 43, 4 ; 49, 15 ; 54, 10 ; Jr 31, 3 ; So 3, 17 ; Os 11…). 

Résonances patristiques

Ce double thème du cœur ouvert et de l’eau vive jaillissante se retrouve chez les Pères de l’Eglise, qui s’écrient avec saint Ambroise : « Bois le Christ car Il est le rocher d’où l’eau a coulé, bois le Christ car Il est la source de la vie ; bois le Christ car Il est le fleuve dont le jaillissement réjouit la cité de Dieu ; bois le Christ car Il est la paix ; bois le Christ car de son sein coulent des fleuves d’eau vive »[1]S. Ambroise, Expl. Ps. 1, 33 : PL 14, 983-984.. Pour saint Augustin, le cœur sacré du Christ est un lieu de rencontre avec le Seigneur qui personnalise la grâce, le lieu secret de la sagesse éternelle. Pour saint Bernard, le symbolisme du côté transpercé manifeste l’amour du Cœur de Jésus, révélant sa miséricorde : « Ils lui ont percé les mains et les pieds, et ils lui ont perforé le côté. À travers ces fissures, je peux boire le miel du rocher et l’huile de la pierre la plus dure, autrement dit goûter et voir comme est bon le Seigneur […]. Le fer a transpercé son âme, et son cœur s’est fait proche : il n’est plus incapable de comprendre mes faiblesses »[2]Sermones in Cant. 61, 4 : PL 183, 1072..

Le Sacré-Coeur dans la scolastique médiévale

Pour Guillaume de Saint-Thierry (1085-1148), entrer dans le cœur de Jésus, c’est entrer dans l’amour : « Ton cœur, Jésus, est la douce manne de ta divinité (cf. He 9, 4) que tu conserves en toi dans le vase d’or de ton âme qui dépasse toute connaissance »[3]Id., Meditativae Orationes 8, 6 : PL 180, 230.. Saint Bonaventure (vers 1217-1274) réunit quant à lui deux lignes spirituelles fécondes sur la complémentarité desquelles le pape insiste : pour le Docteur Séraphique, le cœur de Jésus est la source des sacrements et de la grâce, mais aussi le lieu d’une relation directe au Christ. « Lève-toi donc, âme amie du Christ et sois la colombe qui fait son nid dans le mur d’une grotte, sois le moineau qui a trouvé une maison et ne cesse de la garder, sois la tourterelle qui cache les petits de son chaste amour dans cette ouverture sacrée »[4]Saint Bonaventure, Opusculum 3, Lignum vitae, 30, in Opera Omnia, Quaracchi 1898, t. 8, pp. 79-80.

Diffusion et structuration de la dévotion au Cœur du Christ

C’est d’abord dans le milieu monastique que se développe la dévotion au cœur blessé où réside l’amour du Christ. Côté féminin s’illustrent sainte Lutgarde, sainte Mechtilde, sainte Gertrude dans le monde germanique, sainte Angèle en Italie, sainte Julienne en Angleterre. Sainte Catherine de Sienne voit le cœur ouvert du Christ comme lieu d’une rencontre possible, réelle et personnelle avec le Seigneur : « J’ai voulu que vous voyiez le secret de mon cœur, en vous le montrant ouvert afin que vous voyiez que je vous aimais plus que ne pouvait le montrer la souffrance finie »[5]Le Dialogue, ch. 75, Paris 1999, p. 126..

La dévotion se structure et prend une dimension liturgique à partir du XVIIème siècle, avec notamment l’influence de saint Jean Eudes, qui fait approuver pour la Normandie une fête du Cœur adorable de Notre-Seigneur. Saint François de Sales prend appui sur ce thème pour adoucir l’atmosphère rigoriste de la morale enseignée alors : « nous nous logerons pour jamais dans le côté percé du Sauveur ; car, sans lui, non seulement nous ne pouvons, mais quand nous pourrions, nous ne voudrions rien faire »[6]Saint François de Sales, Lettre à la Baronne de Chantal, 24 avril 1610 : Œuvres complètes, Annecy, Monastère de la Visitation, t. 14, p. 289.. Il parle dans ses sermons de « ce cœur très adorable et très aimable de notre Maître tout ardent de l’amour qu’Il nous porte, cœur auquel nous verrons tous nos noms inscrits »[7]Saint François de Sales, Sermon pour le deuxième dimanche de Carême, 20 février 1622, Œuvres complètes, t. 10, pp. 243-244. et insiste sur la dimension personnelle de l’amour du cœur du Christ : « Oui, ma très chère fille, Il pense en vous ; et non seulement en vous, mais au moindre cheveu de votre tête : c’est un article de foi et n’en faut nullement douter »[8]Saint François de Sales, Lettre à la Sœur de Blonay, 18 février 1618, Œuvres complètes, t. 18, pp. 170-171.. L’évêque de Genève fait le lien entre la dévotion et la sanctification de la vie ordinaire, invitant les âmes à « marcher invariablement en esprit de simplicité, abandonnant et remettant toute leur âme, leurs actions et leurs succès au bon plaisir de Dieu, par un amour de parfaite et très absolue confiance, se délaissant à la merci et au soin de l’amour éternel que la divine Providence a pour elles »[9]Saint François de Sales, Entretien XII, De la simplicité et prudence religieuse, Œuvres complètes, t.6, p. 217.. Il prend pour symbole de l’ordre de la Visitation, qu’il fonde avec sainte Jeanne de Chantal « un unique cœur percé de deux flèches enfermé dans une couronne d’épines »[10]Saint François de Sales, Lettre à la Mère de Chantal, 10 juin 1611, Œuvres complètes, t. 15, p. 63.. 

D’Annecy à Paray

À partir de décembre 1673, cette spiritualité salésienne influence les événements de Paray-le-Monial. Jeune religieuse de la Visitation, Marguerite-Marie Alacoque reçoit une déclaration d’amour : « Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes, et pour toi en particulier, que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande par ton moyen et qu’il se manifeste à eux pour les enrichir de ses précieux trésors que je te découvre »[11]Sainte Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, n. 53 : Vie et œuvre de la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, Paris 1915, p. 69.. 

Le noyau du message de Paray-le-Monial est l’amour débordant mais méconnu du Sacré-Coeur : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour »[12]Sainte Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, n. 92, p. 102.. Jésus demande à Marguerite-Marie son cœur, qu’elle le supplie de prendre, se voyant « comme un petit atome qui se consommait dans cette ardente fournaise »[13]Sainte Marguerite-Marie, Autobiographie, n. 53, p. 69-70..

À partir des événements de Paray, la dévotion au Sacré-Coeur prendra une dimension nouvelle. Au cœur de cette rencontre divine, le binôme de Marguerite-Marie et de Claude de la Colombière, que nous présenterons le mois prochain. 

Références

Références
1 S. Ambroise, Expl. Ps. 1, 33 : PL 14, 983-984.
2 Sermones in Cant. 61, 4 : PL 183, 1072.
3 Id., Meditativae Orationes 8, 6 : PL 180, 230.
4 Saint Bonaventure, Opusculum 3, Lignum vitae, 30, in Opera Omnia, Quaracchi 1898, t. 8, pp. 79-80
5 Le Dialogue, ch. 75, Paris 1999, p. 126.
6 Saint François de Sales, Lettre à la Baronne de Chantal, 24 avril 1610 : Œuvres complètes, Annecy, Monastère de la Visitation, t. 14, p. 289.
7 Saint François de Sales, Sermon pour le deuxième dimanche de Carême, 20 février 1622, Œuvres complètes, t. 10, pp. 243-244.
8 Saint François de Sales, Lettre à la Sœur de Blonay, 18 février 1618, Œuvres complètes, t. 18, pp. 170-171.
9 Saint François de Sales, Entretien XII, De la simplicité et prudence religieuse, Œuvres complètes, t.6, p. 217.
10 Saint François de Sales, Lettre à la Mère de Chantal, 10 juin 1611, Œuvres complètes, t. 15, p. 63.
11 Sainte Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, n. 53 : Vie et œuvre de la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, Paris 1915, p. 69.
12 Sainte Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, n. 92, p. 102.
13 Sainte Marguerite-Marie, Autobiographie, n. 53, p. 69-70.
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