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L’athéisme et ses conséquences logiques

Dans son ouvrage Soyez rationnel, devenez catholique, Matthieu Lavagna montre que l’homme raisonnable a toutes les bonnes raisons de croire en l’existence de Dieu. Avant de passer aux preuves positives, il déblaie le terrain en envisageant les conséquences logiques de l’athéisme.
Outre l’argumentation positive pour l’existence de Dieu (à partir des effets créés on remonte à la personne du Créateur, à l’intérieur de nous-mêmes on découvre une trace de notre auteur), il est également possible de déployer une apologétique « négative » ou encore par l’absurde.

L’orphelin cosmique

Qu’implique la vision du monde qui découle de l’athéisme ? La société contemporaine entend souvent proposer de répondre aux questions existentielles en voulant se passer de Dieu. Les conclusions sont souvent terribles : « Vous n’êtes que le fruit d’un produit accidentel de la nature. Votre existence n’a pas de raison d’être et vous êtes voués à disparaître dans le néant. »

L’homme perdu dans un monde sans Dieu se retrouve comme un « orphelin cosmique »[1]expression de William Lane Craig, The Son Rises, The Historical Evidence for the Resurrection of Jesus, Wipf & Stock Publishers, 2000, chap. I. : en se débarrassant de la transcendance, il pensait écarter l’obstacle ultime à ses désirs. Au lieu de cela, le « meurtre de Dieu » (expression de Nietzsche) le rend orphelin.

Or l’homme est limité par sa condition humaine mortelle. Sans espérance d’une vie au-delà de la mort, son horizon ultime est la décomposition biologique dans un cercueil froid, sa vie lui apparaît comme « une étincelle dans l’immense obscurité de l’univers qui apparaît, vacille, puis disparaît définitivement. » Le cosmos qui nous entoure finira lui-même par se refroidir et s’éteindre (c’est l’hypothèse de la mort thermique inévitable de l’univers), et nous partageons son sort inévitable. L’homme sans Dieu est condamné à attendre ce sort inévitable, et sa vie est dénuée de toute signification ultime. L’absence de transcendance fait de la vie de l’homme une tragédie : son cri existentiel se perd dans un univers froid et silencieux. Pour s’en sortir, Freud rejetait tout questionnement philosophico-religieux dans le domaine de la névrose : « Quand on commence à se poser des questions portant sur le sens de la vie et de la mort, on est malade, car tout ceci n’existe pas de façon objective[2]Cité dans Guillaume Bignon, La foi a ses raisons, BLF Éditions, 2018, p. 62..» Les conclusions logiques de l’athéisme ont été tirées par les philosophes existentialistes du XXe siècle : dans Huis Clos, Jean-Paul Sartre compare la vie humaine à un enfer, dans L’existentialisme est un humanisme il enfonce le clou : « Si Dieu n’existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite[3]31. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, 1946.. » Pour Albert Camus, « Si nous ne pouvons affirmer aucune valeur, tout est possible et rien n’a d’importance. Point de pour ni de contre, l’assassin n’a ni tort ni raison. On peut tisonner les crématoires comme on peut se dévouer à soigner les lépreux. Malice et vertu sont hasard ou caprice.[4]32. Albert Camus, L’homme révolté, Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1959, p. 15. » On retrouve l’intuition de Dostoïevski : « si Dieu n’existe pas, tout est permis.[5]Fédor Dostoïevski, Les frères Karamazov. »

Une vie sans Dieu : une vie sans morale

La conséquence profonde, que ces auteurs n’ont pas toujours tirée, est que la vie sans Dieu est privée de toute signification objective : si chaque individu retourne au néant après sa mort, quel sens donner à sa vie ? Quels que soient les événements de l’existence, le sort final est le même : tout se finit dans le néant. Il n’y a alors finalement aucune différence fondamentale entre vivre sa vie comme Hitler ou comme mère Teresa, le destin ultime étant absolument décorrélé du comportement concret.

Ce qui est vrai au niveau personnel peut être élargi à l’objectivité de la morale en elle-même : sans Dieu, les valeurs morales n’existent pas, elles ne sont que l’expression de goûts personnels ou les produits de l’évolution sociobiologique. Sans transcendance, aucune autorité ne peut être invoquée pour discerner entre bien et mal, aucune obligation objective ne saurait s’imposer. Dans l’hypothèse matérialiste, aucune morale n’est fondamentalement cohérente : le bien et le mal pourraient-ils émaner des atomes ? Qui pourrait alors réellement condamner la guerre, le viol, l’oppression comme des maux objectifs ? Richard Dawkins, biologiste britannique, fervent défenseur de la théorie de l’évolution, admet lui-même cette triste implication de l’athéisme qu’il soutient : « Il n’existe au niveau le plus élémentaire ni conception, ni dessein, ni mal, ni bien. Rien sinon l’indifférence aveugle… Nous sommes des machines à propager l’ADN.[6]Richard Dawkins, River Out of Eden: A Darwinian View of Life, New York: Basic, 1996, p. 133. » Sartre confirme : « il ne peut pas y avoir de bien a priori puisqu’il n’y a pas de conscience infinie et parfaite pour le penser ; il n’est écrit nulle part que le bien existe, qu’il faut être honnête, qu’il ne faut pas mentir ; puisque précisément, nous sommes sur un plan où il y a seulement des hommes. En effet, tout est permis si Dieu n’existe pas et par conséquent, l’homme est délaissé, parce qu’il ne trouve ni en lui, ni hors de lui, la possibilité de s’accrocher.[7]Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme. »

Justice et injustice

L’athéisme pose encore la question de la justice et de l’injustice. Sans Dieu, la notion de justice immanente et objective est privée de son fondement : les crimes les plus atroces de ce monde (viol, pédophilie, meurtre) resteront impunis ; les actes altruistes et désintéressés perdent également leur valeur. « Celui qui ne croit ni à la rétribution du bien, ni à la punition du mal, admet difficilement la cruauté de l’athéisme. Tout sentiment humain perd sa raison d’être. Plus rien ne fait obstacle au mal profond qui habite l’homme. Certains tortionnaires communistes ont dit : “Il n’y a pas de Dieu,

ni d’au-delà, ni châtiment pour le mal. Nous pouvons agir comme bon nous semble.” J’en ai même entendu un dire : “Je remercie Dieu, en qui je ne crois pas, de ce que j’ai vécu jusqu’à ce moment présent où je peux exprimer tout le mal qu’il y a dans mon cœur.” Cela s’est traduit par des brutalités et des tortures inimaginables infligées sur des prisonniers[8]Richard Wurmbrand, Tortured for Christ, London: Hodder & Stoughton, 1967, p. 34.. »

Si Dieu n’existe pas, les pires crimes de l’histoire de l’humanité resteront à jamais sans conséquences : les victimes auront le même sort que les bourreaux, Staline et Soljenitsyne termineront de la même manière. De la même manière, les actes les plus désintéressés perdent toute valeur : le sacrifice du père Maximilien Kolbe, qui prend la place d’un père de famille polonais à l’entrée du bunker de la mort d’Auschwitz n’a aucun sens si l’athéisme est vrai, il devient la chose la plus stupide du monde. Comment expliquer et justifier un acte qui s’oppose à l’instinct de survie inscrit en nous par l’évolution ? « Il n’y a aucune raison objective qui explique pourquoi l’homme devrait agir moralement, sauf si cela lui est bénéfique dans sa vie sociale ou si cela lui fait “se sentir bien”. Il n’existe aucune raison objective pour laquelle l’homme devrait faire quoi que ce soit, sauf si cela lui procure du plaisir[9]Stewart C. Easton, The Western Heritage, 2nd ed., New York: Holt, Rinehart & Winston, 1966, p. 878. » explique l’historien athée Stewart Easton. Dans son optique l’univers reste indifférent devant l’acte le plus vertueux de tous : le père Kolbe et son bourreau sont destinés au même sort.

L’homme seul face à son désespoir

L’alternative est grave, les pôles sont diamétralement opposés : si Dieu existe et a créé le monde par amour, nous pouvons vivre dans l’espoir d’une vie éternelle et d’une justice objective ; dans l’hypothèse athée, nous devons nous résoudre au désespoir et à l’indifférence froide d’un accident cosmique. « Un athée lucide ne peut pas échapper au désespoir[10]André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme, Albin Michel, 2006, p. 60. » conclut André Compte-Sponville. Et Francis Schaeffer va jusqu’à dire : « Si Dieu est mort, l’homme est mort aussi[11]37. Cité dans William Lane Craig, Foi raisonnable, éd. La Lumière, 2008, p. 109. 37. Cité dans William Lane Craig, Foi raisonnable, éd. La Lumière, 2008, p. 109.. »

Quelles options demeurent alors pour l’homme placé dans cette alternative ?

– Face à l’absurdité d’une vie sans Dieu, pourquoi ne pas mettre fin dès maintenant à la torture existentielle ? Contrairement à ce que l’on peut penser, l’option du suicide n’est pas aussi délirante qu’il y paraît. Elle fut sérieusement envisagée, comme un problème philosophique, par Albert Camus : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie[12]Albert Camus, Le mythe de Sisyphe.. » Il ajoute même : « Tous les hommes sains [ont] songé à leur propre suicide. » Pourquoi continuer à vivre une vie dépourvue de sens ?

C’est la question que se sont très sérieusement posée Jacques Maritain et Raïssa Oumançoff : en 1901, lors d’une promenade au Jardin des Plantes, les jeunes étudiants amoureux se promettent d’aller au bout de leur quête existentielle, ou de la résoudre par l’absurde, dans le suicide.

Avant de quitter le Jardin des Plantes nous prîmes une décision solennelle qui nous pacifia : celle de regarder en face, et jusqu’en leurs dernières conséquences – pour autant que cela serait en notre pouvoir – les données de l’univers malheureux et cruel dont la philosophie du scepticisme et du relativisme était l’unique lumière. […] Que si cette expérience n’aboutissait pas, la solution serait le suicide; le suicide avant que les années n’aient accumulé leur poussière, avant que nos jeunes forces ne soient usées. Nous voulions mourir par un libre refus s’il était impossible de vivre selon la vérité.[13]Raissa Maritain, Les grandes amitiés. 

Une solution aussi radicale répugne cependant à notre nature : beaucoup répondront (heureusement) que même si la vie est vide de sens, se suicider est aller trop loin. Y a-t-il une deuxième option ? La solution la plus courante consiste à éviter tout questionnement pour ne pas se tourmenter de l’absurdité de la vie : à mettre tous les problèmes sous le tapis. La société contemporaine s’échine par tous les moyens à nous faire « penser à autre chose », jusqu’à promouvoir la « défonce » chimiquement pure des drogues dures… Or une telle option ne peut pas rendre l’homme heureux : il demeure éternellement insatisfait face aux plaisirs matériels, qui sont incapables de combler ses aspirations profondes. La société consumériste ne peut qu’enfermer l’homme dans le cercle vicieux de son vide, et le condamner au malheur.

À ce risque que fait réellement courir l’athéisme s’ajoute celui plus large du vide de sens, qui fragilise dramatiquement les personnes et les psychologies, et fait le lit des extrémismes et rend les plus vulnérables face à la radicalisation. En voulant ignorer la question de Dieu et en conduisant les personnes à l’ignorer, on leur fait courir un grand risque : celui de passer totalement à côté du but et du sens de leur existence.

L’unique issue de secours

Un seul chemin s’ouvre pour sortir de cette impasse, celui que suivirent – entre de nombreux autres – les époux Maritain : remettre en question l’athéisme, s’ouvrir à la possibilité de l’existence de Dieu. Cette option n’apparaît finalement pas si déraisonnable : croire en l’existence de Dieu et en sa potentielle révélation est risqué, mais l’enjeu est crucial, trop important pour être mis de côté : la question ne peut être laissée sans investigation.

En argumentant ainsi, nous n’avons certes pas prouvé que Dieu existe, mais nous avons montré que si Dieu n’existait pas, la vie humaine serait une tragédie. À choisir, une personne hésitant sur la question du théisme devrait donc choisir de croire en Dieu : même si l’on est agnostique, il est irrationnel de préférer croire que la vie est absurde, sans justice objective, et que toute l’existence est futile. En l’absence d’arguments solides contre l’existence de Dieu, on a toutes les raisons de parier pour lui et d’en espérer le bonheur. À la suite de Blaise Pascal, gageons qu’il n’y a là rien à perdre tout à gagner.

Références

Références
1 expression de William Lane Craig, The Son Rises, The Historical Evidence for the Resurrection of Jesus, Wipf & Stock Publishers, 2000, chap. I.
2 Cité dans Guillaume Bignon, La foi a ses raisons, BLF Éditions, 2018, p. 62.
3 31. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, 1946.
4 32. Albert Camus, L’homme révolté, Gallimard, coll. « La Nouvelle Revue française », 1959, p. 15.
5 Fédor Dostoïevski, Les frères Karamazov.
6 Richard Dawkins, River Out of Eden: A Darwinian View of Life, New York: Basic, 1996, p. 133.
7 Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme.
8 Richard Wurmbrand, Tortured for Christ, London: Hodder & Stoughton, 1967, p. 34.
9 Stewart C. Easton, The Western Heritage, 2nd ed., New York: Holt, Rinehart & Winston, 1966, p. 878.
10 André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme, Albin Michel, 2006, p. 60.
11 37. Cité dans William Lane Craig, Foi raisonnable, éd. La Lumière, 2008, p. 109. 37. Cité dans William Lane Craig, Foi raisonnable, éd. La Lumière, 2008, p. 109.
12 Albert Camus, Le mythe de Sisyphe.
13 Raissa Maritain, Les grandes amitiés.
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