Les sacramentaux font partie de l’héritage de piété populaire et traditionnelle de l’Eglise, à travers des gestes simples, ils nous mettent en contact avec la grâce divine, reçue et communiquée par les rites liturgiques. Nous présentons aujourd’hui un exemple de bénédiction très connue et pratiquée autrefois (et jusqu’à aujourd’hui heureusement) : la bénédiction de saint Blaise.
Qui est saint Blaise
Saint Blaise fait partie d’un groupe de saints particulièrement célèbres et aimés des anciens, en raison de l’efficacité de leur invocation : les quatorze « saints secourables ». Il s’agit de saint Georges et saint Eustache, saint Vit et saint Christophe, saint Gilles et saint Cyriaque, saint Erasme et saint Blaise, saint Pantaléon et saint Achace, saint Denis de Paris et sainte Marguerite, sainte Catherine d’Alexandrie et sainte Barbe.
Les détails de sa vie sont considérés aujourd’hui comme peu connus, bien que les récits anciens (notamment la Légende Dorée de Jacques Voragine[1]Voir dans la traduction de T. de Wyzewa, Paris, Perrin et Cie., 1910, pp. 139-142. soient particulièrement prolixes à son sujet). Derrière le caractère merveilleux des récits médiévaux rapportés au sujet du saint, on admirera surtout comment la piété chrétienne a su conserver de lui et lui attribuer tout ce qui pouvait renforcer son identification au Christ[2]Notre source principale : Mgr Paul Guérin (dir), Vies des saints par les Petits Bollandistes, tome 2, Paris, Bloud et Barral, 1876, pp. 226-230..
L’hagiographie telle qu’elle nous est parvenue
Originaire de Sébaste, dans la province ancienne d’Arménie (aujourd’hui Sivas, en Turquie), Blaise s’était d’abord adonné à l’étude puis à la pratique de la médecine, tout en étant reconnu par tous comme un homme de Dieu. C’est à ce titre qu’il fut choisi par le peuple chrétien de sa ville comme évêque. Ressentant cependant bientôt un appel divin, il se retira sur un montagne, nommée Argée, où il vécut quelques temps dans une caverne sauvage où les bêtes des environs venaient l’honorer et recevoir sa bénédiction, afin d’être guéries de leurs maux. Lorsqu’elles le trouvaient en prière, elles n’osaient l’interrompre mais attendaient patiemment qu’il sorte de l’oraison pour se manifester et le solliciter. Dans ces descriptions anciennes de la jeunesse de Blaise on reconnaît bien sûr l’idéal d’un retour à l’état antélapsaire (l’état de l’Eden avant la chute du péché originel) en lequel nos premiers parents vivaient en harmonie avec toute la nature. Cependant Blaise n’était pas tant conforme au premier Adam, celui qui fut complice de la faute, qu’au second Adam, celui qui nous en délivre.
Agricola, gouverneur romain de la province de Cappadoce et d’Arménie, venu à Sébaste, y entrepris de persécuter les fidèles du Christ, sur ordre de l’empereur Licinius. Afin de renouveler le cheptel d’animaux sauvages disponibles pour le supplice des jeux, il envoya ses gens quérir des lions et autres bêtes féroces dans les lieux reculés. Arrivés au mont Argée, ils poussèrent jusqu’à la caverne de Blaise, qu’ils trouvèrent entouré d’un grand nombre de lions, tiges, ours, loups et autres animaux dangereux, qui lui tenaient paisiblement compagnie. Entrant dans la grotte, ils trouvèrent le saint ravi dans la méditation des mystères divins. De retour à la ville, ils instruisirent le gouverneur de leur découverte, et celui-ci les renvoya vers lui, avec mandat d’amener. « Soyez les bienvenus » les accueillit Blaise « il y a longtemps que je soupire après votre arrivée ; allons, au nom de Dieu ». Le gouverneur l’interrogea et, surpris de la liberté de ton de ses réponses, le fit frapper de nombreux coups de bâton, supplice que le saint supporta dans la joie et la constance. Une fois ramené à la prison, Blaise reçut plusieurs visites : celle d’une veuve pauvre, dont il avait sauvé l’unique cochon de l’attaque d’un loup, qui lui offrit son assistance et lui porta chaque jour de la nourriture et des chandelles, celle de malades venant pour être guéris, parmi lesquels un jeune garçon qui avait avalé une arête de poisson, se l’était coincée dans la gorge, et était à toute extrémité. Blaise pria le Seigneur de lui donner la santé ainsi qu’à tous ceux qui seraient un jour travaillés d’un mal semblable.
Quelques jours plus tard, Agricola fit amener le prisonnier une seconde fois : le trouvant plus résolu qu’auparavant, il le fit attacher à un poteau et fouetter, sans faire pourtant diminuer sa foi ni sa joie de pouvoir souffrir et offrir par amour. On raconte que son retour en prison fut suivi de femmes pieuses qui récoltaient les gouttes de sang qui coulaient de son dos. Ces femmes furent sommées de cesser et menacées de tourments identiques car elles refusaient de sacrifier aux dieux de Rome. Ayant finalement fait mine d’accepter, elle jetèrent les idoles dans l’eau du lac, ce qui mit le gouverneur dans une telle furie qu’il les soumit à des tourments terribles par le fouet et le feu, dont elles ressortirent indemnes, avant d’avoir la tête tranchée devant leurs enfants.
Ayant renoncé à ébranler la foi de Blaise, Agricola le fit jeter dans le lac où avaient été perdues ses précieuses idoles. Mais le saint fit le signe de la croix et marcha sur les eaux sans s’y enfoncer puis, assis au milieu du lac, convia les infidèles – en un sermon improvisé – à entrer dans l’eau pour éprouver la justice de leurs propres divinités. Soixante-huit osèrent et finirent noyés, pendant que le prélat regagnait la terre éclatant de lumière, à la confusion des païens. Confus et hors de lui le gouverneur lui fit trancher la tête. Au moment de mourir, Blaise invoqua une dernière fois le Seigneur en lui demandant d’assister tous ceux qui imploreraient un jour son secours : Jésus lui apparut alors pour confirmer « je t’accorde ce que tu me demandes ». Blaise mourut ainsi le 3 février, sans doute en l’an 316, sous l’empereur Licinius.
L’héritage de saint Blaise
On le représente parfois avec un peigne de fer, l’un des instruments de son supplice, ou encore une bougie roulée, car il aurait demandé à la mère de l’enfant délivré en prison de son arête d’offrir chaque année un cierge à sa mémoire. La coutume que nous présentons ci-dessous fait mémoire de cet épisode. Le corps de saint Blaise fut pieusement recueilli par une femme nommée Hérissée, qui l’ensevelit au même lieu, d’où plusieurs reliques ont été rapportées jusqu’en France à l’époque des croisades. Sa tête serait ainsi conservée à Montpellier, d’autres ossements à Mende ou encore à Metz, Paris (église Saint-Jean-en-Grève, proche de l’Hôtel de ville, aujourd’hui disparue).
En Allemagne et dans les pays nordiques, la messe de saint Blaise est encore une célébration très populaire, appelée « Blasiusmesse » (en norvégien « Blåsmesse ») ou encore « messe du vent », en raison d’une proximité avec le mot ancien « blas » désignant le vent. Dans les calendriers anciens, ce jour était marqué par un cornet dans lequel on soufflait, et les marins scandinaves craignaient ce jour comme particulièrement venteux. On y considérait que le vent de la saint Blaise présageait les conditions de navigation de l’année commençante.
La bénédiction des gorges
L’héritage liturgique de saint Blaise demeure notamment dans la bénédiction des gorges. Le ministre en est le prêtre, revêtu du surplis et de l’étole violette ou rouge (l’évêque revêtirait par-dessus la chape de même couleur). Il bénit deux cierges en prononçant la formule ci-dessous, que l’on dispose en forme de croix en les liant par un ruban couleur de sang, et les asperge d’eau bénite. Les fidèles désirant être bénis s’approchent ensuite et se mettent à genoux devant l’autel (ou à la sainte table) : le ministre tient les deux cierges autour de leur gorge, sous leur menton, en disant la formule :
Per intercessiónem sancti Blásii, Epíscopi et Mártyris, líberet te Deus a malo gútturis, et a quólibet álio malo. In nómine Patris, et Fílii, et Spíritus Sancti[3]« Par l’intercession de saint Blaise, Évêque et Martyr, que Dieu vous libère de tout mal de gorge, et de tout autre mal. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. ».
Ce rite est réputé protéger des diverses maux de gorge : toux, coqueluche et autres affections. Cette dévotion était chère à saint François de Sales.
Le même jour, et par l’intercession du même martyr, peut également être donnée une bénédiction du pain, du vin, de l’eau et des fruits, également adressée contre le mal de gorge[4]Voir les textes ici..
Texte (traduit) de la bénédiction des cierges
Dieu tout puissant et très doux, vous avez créé la diversité de toutes les choses du monde par votre seul Verbe, et qui, pour la renaissance des hommes avez voulu que ce même Verbe, par lequel tout a été fait, s’incarne : Vous êtes grand et immense, terrible et digne d’être loué, et faites des merveilles : Pour la confession de votre foi, le glorieux Martyr et Pontife Blaise, ne craignant aucun type de supplice, a reçu avec félicité la palme du martyre : Et vous lui avez accordé cette prérogative, parmi d’autres grâces, de guérir toutes les maladies de la gorge ; Nous prions en suppliant votre majesté, afin que, ne regardant pas nos fautes, mais apaisé par ses mérites et ses prières, vous daignez bé+nir et sancti+fier cette créature de cire en y infusant votre grâce ; Pour que tous ceux qui de bonne foi auront le cou touché par elle soient libérés par les mérites de sa passion de toute maladie de la gorge, et ainsi, dans votre sainte Église, qu’ils puissent en bonne santé et joyeux vous rendre des actions de grâces, louer votre nom glorieux, qui est béni dans les siècles des siècles. Par Notre Seigneur Jésus-Christ, votre Fils, qui, étant Dieu, vit et règne avec vous dans l’unité du Saint-Esprit, pour les siècles des siècles.
Références[+]
↑1 | Voir dans la traduction de T. de Wyzewa, Paris, Perrin et Cie., 1910, pp. 139-142. |
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↑2 | Notre source principale : Mgr Paul Guérin (dir), Vies des saints par les Petits Bollandistes, tome 2, Paris, Bloud et Barral, 1876, pp. 226-230. |
↑3 | « Par l’intercession de saint Blaise, Évêque et Martyr, que Dieu vous libère de tout mal de gorge, et de tout autre mal. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » |
↑4 | Voir les textes ici. |