1675 – 2025 : Cette année jubilaire coïncide avec le 350ème anniversaire des apparitions du Sacré-Coeur à Paray-le-Monial. Le Saint-Père a proposé aux catholiques de placer ce mystère au coeur de leur contemplation et de leur prière en publiant en octobre dernier une longue encyclique intitulée Dilexit nos.
Nous offrons ici une introduction et la première partie d’un guide de lecture de ce texte. Durant toute cette année Claves proposera un approfondissement spirituel et dogmatique, chaque premier vendredi du mois, sur le thème du Sacré-Coeur.
Dilexit nos : les cinq parties de l’encyclique
La réflexion du Saint-Père se déploie au long de cinq chapitres. Le premier revient sur le thème du coeur, à partir de souvenirs personnels et de certains éléments philosophiques. Le second relit les évangiles sous l’angle du coeur pour contempler les gestes et paroles où se manifeste l’amour du Sacré-Coeur. Le troisième chapitre invite à la vénération de ce mystère en en donnant les raisons traditionnelles et en répondant à certaines objections. Le quatrième chapitre part du thème du coeur ouvert et de l’amour qui donne à boire pour revenir sur l’histoire de la spiritualité du Sacré-Coeur, en puisant en particulier chez de nombreux saints. Le cinquième chapitre se veut plus pratique et fait le lien entre cette dévotion et l’engagement des chrétiens dans la charité concrète.
Nous entrerons dans la lecture de l’encyclique avec ce premier article, qui reprend l’enseignement des deuxième et troisième chapitres.
Regards évangéliques
Le coeur du Christ s’exprime et se manifeste profondément dans les gestes et les paroles du Sauveur : c’est la conviction profonde du Saint-Père, pour qui le Sacré-Coeur, symbolisant le centre de sa personne, d’où jaillit l’amour, est le noyau vivant de l’évangile. Jésus s’y montre attentif et ouvert à ceux qu’ils ne considère plus comme esclave mais comme amis. À travers lui, c’est la miséricorde du Père qui se faire connaître. L’encyclique cite ainsi le regard porté par le Christ sur le jeune homme riche (n°39) : « lorsqu’Il t’appelle, te convoque pour une mission, Il commence par te regarder » ; l’attention à la solitude de Nathanaël sous le figuier (Jn 1) ; la connaissance intime de nos intentions et de nos bonnes actions avec l’obole de la veuve ou la foi du centurion. Jésus manifeste en outre par ses paroles que nos angoisses ne le laissent par indifférent (n°44), en particulier lorsqu’il fait face à la mort et à la souffrance de ses amis. Cet amour trouve sa plus haute expression dans la croix, « parole d’amour la plus éloquente » (n°46), fondant la conviction fondamentale de saint Paul : « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2, 20).
Le sens de la dévotion au Sacré-Coeur
S’appuyant sur le magistère antérieur, le pape développe les linéaments de la dévotion au Sacré-Coeur, qui n’est pas adoré en tant qu’organe séparé mais uni inséparablement à la personne du Verbe (la partie désignant le tout), comme représentant Jésus tout entier avec l’union intime de son amour humain et divin, comme « signe ou symbole naturel de son immense charité »[1]Pie XII, Haurietis Aquas, 15 mai 1956, I.. À travers son image, c’est donc au Christ vivant dans sa divinité et son humanité que s’adresse notre adoration, c’est vers lui seul que nous sommes orientés. Ainsi « personne ne doit penser que cette dévotion pourrait nous séparer ou nous éloigner de Jésus-Christ et de son amour » (n°51).
L’image du Sacré-Coeur est donc particulière parmi les autres représentations, puisqu’elle a été choisie par l’Eglise pour représenter l’amour humain et divin de Jésus, « l’amour divin du Christ uni pour toujours et inséparablement à son amour humain » (n°60) et le centre le plus intime de sa personne. Puisque « nous ne devons pas en rester au doigt qui montre la lune » (n°57), cette image invite à aller au-delà : elle nous met face au Christ, Dieu fait homme, voulant entrer dans notre condition. Elle nous invite à « contempler l’infini dans le fini »[2]Benoît XVI, Angélus du 1er juin 2008.
Répondant ainsi à de nombreuses objections modernes, le pape affirme que la fidélité à l’évangile ne réside pas dans une « dévotion plus abstraite » (n°58) car c’est dans cette proximité physique que Dieu a voulu se révéler.
Le Sacré-Coeur chez les Pères : contempler l’Incarnation et la Trinité
Le pape note que cette dévotion rejoint les nombreuses affirmations de la réalité concrète de l’Incarnation et des affections humaines du Seigneur chez les Pères de l’Église : saint Basile, saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, saint Augustin, saint Jean Damascène… Comme l’ont affirmé les anciens conciles (Ephèse, Constantinople II), l’adoration unique rendue à la personne du Christ englobe donc inséparablement ses deux natures.
La contemplation du Sacré-Coeur est également proprement trinitaire, puisqu’elle invite à l’union à lui, qui se présente comme le chemin vers le Père : « En moi une eau vive murmure et dit au dedans de moi : Viens vers le Père »[3]Saint Ignace d’Antioche, Ad Rom., 7 : PG 5, 694.. Son coeur humain est parfaitement orienté vers le Père, « tourné vers le sein du Père » (Jn 1, 18) auquel il adresse une prière et louange incessante. Ce coeur est aussi le « chef d’oeuvre de l’Esprit-Saint », qui aide à saisir la richesse du signe du côté transpercé du Christ, d’où est issue l’Eglise. C’est l’Esprit qui, dans le coeur du Christ, provoque une attirance permanente vers le Père (n°76) et nous fait participer à sa relation à lui, car « le Christ ne désire pas que nous nous arrêtions à Lui » (n°77).
Le magistère récent
Ainsi pour les pontifes récents (Léon XIII, Pie XI, Pie XII, Jean-Paul II, Benoît XVI), la dévotion au Sacré-Coeur synthétise notre culte envers Jésus-Christ et répond admirablement au besoin de notre siècle en réaffirmant la miséricorde infinie de Dieu, au milieu d’un monde qui cherche à se construire sans lui. Le pape souligne avec Pie XII que ce culte, qui ne provient pas d’une révélation privée, est pour toute l’Église, il contient un message fort qui doit être encore enrichi et renouvelé par la méditation de l’évangile. Il correspond providentiellement aux besoins d’un monde sécularisé, ou seule semble admise une religiosité privée et désincarnée, où se répand une forme de dualisme qui ignore la vérité du salut dans la chair, où l’Eglise est vite contaminée par la maladie de l’activisme. La dévotion au Sacré-Coeur permet de revenir à un synthèse incarnée de l’évangile, à redécouvrir dans le coeur du Christ que Dieu est amour, pour redire en vérité : « Coeur sacré de Jésus, j’ai confiance en vous. »