Fondatrice et présidente d’un comité de lecture suivi par des milliers de parents et de familles, critique de littérature jeunesse, Valérie d’Aubigny est l’auteur de Donner le goût de la lecture aux enfants. À la lecture de son ouvrage, qui nous a passionné, nous avons voulu en savoir plus et lui demander de précieux conseils concernant en particulier la lecture spirituelle : comment donner le goût de lire des livres qui élèvent l’âme ?
Claves : Chère madame, nous avons lu et beaucoup apprécié votre ouvrage, qui fourmille d’encouragements et de clés pour « donner (ou redonner) le goût de la lecture aux enfants de 0 à 16 ans ». Appuyée sur plusieurs études et statistiques, sur les travaux de Michel Desmurget par exemple, vous montrez à quel point la lecture est indispensable dans le développement de l’esprit comme aussi pour la société tout entière.
Peut-on dire qu’il en va de même pour l’âme, et pour l’Église ? La lecture est-elle une clé nécessaire du développement de la vie spirituelle ?
Valérie d’Aubigny : La transmission orale a toute sa place et, par l’écoute, l’adulte, comme l’enfant, entre en contact avec la Parole de Dieu, retient les paraboles et, tous ses sens en éveil, assiste à la liturgie. Mais pour s’approprier cette parole sainte et en faire un rituel, dans la prière, la lectio divina par exemple, il s’appuie plus sûrement sur l’écrit, par le livre, repère et gage d’intériorité.
Si j’en reste à mon sujet qui est l’éveil du goût de la lecture chez l’enfant, dans une optique de formation religieuse, alors oui je tiens le livre pour un moyen de transmission merveilleux, unique et indispensable. Le livre spirituel est en lui-même un objet de transmission. Il peut être repris, parcouru puis approfondi un peu plus tard. Il accompagne l’enfant dans les étapes de son développement. Offert à l’occasion d’une fête religieuse, il en est le souvenir, surtout s’il s’agit de la première Bible.
C : Comment susciter la curiosité des enfants pour les choses de la foi, et leur donner le goût de la lecture spirituelle ?
V d’A : Rien ne remplace l’exemple. Si nos enfants nous voient porter de l’intérêt et donner du temps à une lecture spirituelle, ils seront plus enclins à répondre favorablement à nos pieuses suggestions !
Proposer sans imposer me semble une clé d’appropriation pour que les bonnes habitudes s’ancrent. La liberté du choix s’éduque et se respecte. Si vous le voulez, vous pouvez offrir un éventail de livres adaptés à l’âge de votre enfant et le laisser puiser dans cette sélection ce qui l’attire personnellement.
Pensons aussi aux bandes dessinées, aux Belles histoires, belles vies, aux mangas éventuellement, avec beaucoup plus de mesure en raison de son aspect addictif et la surexpression des sentiments contraire aux nuances…
Un enfant peu lecteur aura besoin de soutien. En lui mettant entre les mains le meilleur des ouvrages, nous, parents, grands-parents, n’aurons fait que la moitié du chemin. Lire à haute voix, alterner lecture offerte et lecture silencieuse, sont de bons moyens qui permettent des échanges, des découvertes communes.
Un livre offert dans un lieu de visite avec les enfants (cathédrale, monastère, lieu de pèlerinage…) gardera l’empreinte d’un moment familial fort.
C : Quels sont les différents genres de la lecture spirituelle enfantine ? Que peut-on proposer aux enfants et aux jeunes pour les aider à approfondir leur foi ?
V d’A : L’éventail est large et mérite d’être présenté pour que les parents puissent varier les genres. Entre récits historiques dans un contexte chrétien (par exemple l’excellente série de Véronique Duchâteau, Le Sable et la Croix, chez Plein Vent) et romans de fantasy, quêtes à l’appui des vertus, (avec la série Orfan de Gaëlle Tertrais chez Emmanuel jeunesse), les vies de saints (celles de Mauricette Vial-Andru ou les rééditions du Père Hünermann chez Salvator, la collection Graines de saints chez Mame, qui est un trésor notamment par les chants qui accompagnent les albums…).
Enrichissons aussi nos bibliothèques familiales d’essais ou de livres spirituels issus de la tradition comme l’Imitation de Jésus-Christ (très belle réédition chez Mame en 2023) ainsi que « d’essentiels de la Foi catholique » rédigés par des prêtres missionnaires soucieux d’évangéliser par des ouvrages digestes, afin d’étancher la soif spirituelle de jeunes qui n’ont pas été catéchisés… Vous le voyez, le choix est large. De beaux livres de prières existent aussi, sans oublier de mentionner de précieux livres documentaires, alternant une iconographie évocatrice, une courte biographie, un coup de projecteur sur un haut fait ou sur un aspect de la foi, une vertu par exemple ou un sacrement.
Beaucoup de jeunes sont attirés par le genre du témoignage. Si le style n’est pas toujours parfait, la profondeur d’une histoire vécue porte et ouvre les cœurs. Elle renvoie à sa propre expérience.
Je viens d’achever un excellent album Pour de vrai, c’est quoi la mort ? écrit par Inès d’Oysonville, mère de famille, pour donner les mots du deuil aux 4-7 ans (Artège-Le Senevé).
Certains éditeurs catholiques soutiennent la foi des jeunes par des ouvrages de qualité depuis des années. C’est le cas de Téqui avec les collections Petits pâtres et Sentinelles et bien d’autres belles maisons encore. Pardon à celles que je ne cite pas ! Vous pouvez retrouver toutes nos propositions sur 123loisirs.com dans la rubrique Religion-Spiritualité, où depuis 2000, des comités de lecture successifs mettent en lumière, aux côtés de livres profanes, classés par âge, le meilleur de ces maisons d’édition engagées. Soutenons par nos achats les éditeurs et auteurs, les illustrateurs de qualité qui mettent leur talent au service de la transmission de la foi. C’est une belle mission.
C : La lecture peut-elle être un moyen d’encourager les enfants à la prière ? Quels livres peuvent y contribuer ?
V d’A : Pour soutenir la prière familiale, il existe des supports qui conviennent largement, du plus grand au plus petit de la famille, ce sont ceux qui restent au plus proche des paroles de l’Évangile, sans simplification ni paraphrase car les mots s’ancrent et trouvent des résonances tout au long de la vie.
Pour ce qui est de la prière personnelle de votre enfant, si le livre comporte des illustrations, faites en sorte qu’elles soient les plus belles possibles, avec des visages reflétant l’intériorité, notamment la figure du Christ, noble, et pas infantilisée comme c’est le cas parfois. Nous sommes de chair, petits et grands, nous avons besoin de beau pour nous élever et tourner notre âme vers le Créateur.
C : Comment introduire les enfants à la lecture de la Bible ? Y a-t-il des titres qui peuvent leur donner envie de mieux connaître la Parole de Dieu ?
V d’A : Trois ouvrages me viennent à l’esprit, ce sont des intemporels. Jésus de Nazareth en deux tomes, par le Père André Sève, illustrés par Loÿs Pétillot qui sont « La vie et le message du Christ dans une grande fresque », aux éditions du Triomphe. Pour les plus jeunes, à lire sur les genoux des parents et à garder comme un trésor, L’Histoire sainte, de Marie Tribou, dans la collection Miche de Pain (Elor). Les livres cartonnés de Maïte Roche (Mame) sont des intemporels tout comme les numéros innombrables de la revue Petit Berger que l’on peut encore se procurer pour les 3-5 ans.
C : Quels sont les freins ou les obstacles que les parents peuvent rencontrer lorsqu’il essaient d’encourager leurs enfants à nourrir leur foi par la lecture ?
V d’A : Dans le contexte particulier du livre religieux, les parents rencontrent les mêmes obstacles que pour la lecture profane. Quels sont-ils ?
– La paresse. Lire demande un effort, une décision que l’enfant n’est pas toujours prêt à fournir, surtout s’il possède un smartphone. Il est tellement plus immédiatement distrayant de saisir son téléphone portable pour suivre les réseaux sociaux ou jouer à des jeux à « récompense rapide ».
– L’esprit de contradiction notamment à l’adolescence, peut être une barrière élevée entre le jeune rebelle et ses parents dont il teste la résistance.
– Un point d’attention est la maturité de votre enfant, surtout intellectuelle, ne les surestimez pas mais ne les prenez pas non plus pour des bébés dans vos propositions… C’est un art difficile où l’on n’apprend de ses erreurs ! Là encore, un éventail de proposition peut susciter la curiosité en conduisant le jeune à faire ses propres choix, librement et en fonction de ses goûts ou besoins.
C : La lecture peut être elle porteuse de dangers pour la foi des enfants ? Comment agir pour éviter ces écueils ?
V d’A : Citons d’abord toute une littérature de l’horreur, très angoissante mais addictive, avec des âmes errantes, des cimetières, des revenants… On les repère assez vite. Plus sournoisement, il est à noter que beaucoup de romans, mais aussi de documentaires historiques ou scientifiques, viennent violemment heurter les valeurs chrétiennes, le socle de la foi, la figure des religieux, le rapport à la vie (avortement, suicide…). Ce sont des évocations qui restent ensuite dans l’imaginaire, même si elles sont en second voire en troisième plan dans une intrigue.
Le relativisme est omniprésent, les « déclarations d’athéisme » fleurissent au détour d’un récit héroïque ou d’une biographie. Ici le darwinisme remet en question la tradition biblique de la Genèse et là, l’animal plein de noblesse d’âme se heurte à la médiocrité de l’homme, jusque dans un antispécisme très déstabilisant pour de jeunes consciences. Le genre est une injonction de la société, remise en question pour plus de bonheur, quand donner la vie à des enfants détruit la planète. L’urgence est de développer l’esprit critique des jeunes pour qu’ils repèrent les chausse-trappes et stoppent net un livre qui leur fait du mal.
Ne soyons pas naïfs, ce n’est pas parce que notre enfant a exceptionnellement un livre entre les mains qu’il faut se réjouir benoîtement sans y jeter un œil, voire les deux ! Croisez les sélections, puisez à des sources de confiance, 123loisirs.com peut en être une ou Une Bibliothèque idéale. Que lire de 0 à 16 ans (Critérion, réédition revue et augmentée en 2024). Écoutez votre libraire de confiance, livresenfamille.com par exemple. Ne faites pas vos choix aveuglément. La responsabilité de parents s’exerce prioritairement dans le choix des supports culturels, c’est sa grandeur !
C : Pour finir, quel est l’état de la « littérature jeunesse » catholique aujourd’hui ? Comment voyez-vous le futur de l’édition catholique en France ?
V d’A : Elle est plutôt réjouissante parce qu’elle est multiple et vivante. Les jeunes parents qui sont avides de repères au moment où leurs enfants grandissent, cherchent dans les livres des appuis solides pour évoquer les grands thèmes de la vie. Les auteurs catholiques savent bien qu’en écrivant pour les enfants, ils apportent aussi des mots et des notions aux parents. Si ces parents sont moins nombreux, n’ayant pas toujours baigné dans un univers religieux, ils sont très exigeants sur la doctrine et la beauté des illustrations pour leurs enfants.
Il est difficile de prédire l’avenir car les équilibres financiers sont fragiles mais ce qui donne de l’espérance est la multitude de talents (auteurs, illustrateurs, médias relais) et notamment de nouvelles plumes qui font de leur métier un engagement en choisissant l’édition catholique !
Une autre observation encourageante est la confiance dans l’édition catholique de familles loin de la foi qui, au moment de trouver des réponses en éducation, psychologie ou formation, se tournent « vers les cathos » pour trouver des contenus solides et beaux.