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Ce que le chrétien apprend aux pieds de l’ermite…

Qui est « un moine », auteur de L’Ermitage ou des Portes du silence, deux trésors de spiritualité monastique et chrétienne récemment réédités ? Rencontre avec le père Étienne Chenevière, moine cistercien français et figure éminente mais discrète de vie monastique fidèle, tiraillé entre l’attachement à la règle au milieu des bouleversements de l’après-guerre, et son attrait pour une vie plus érémitique.

 

Enfance et formation

Lucien Chenevière est né en 1906 à Vitré. Comme tant d’hommes de sa génération son père, officier, mourut au front lors de la Première Guerre Mondiale. Jeune veuve, sa mère prit alors le parti de revenir chez ses parents à Saint-Aubin-du-Cormier (Ille-et-Villaine), avec ses deux petits enfants. Lucien y fréquenta l’école publique quelques temps, avant de rejoindre en octobre 1918 le Collège séraphique de La Mézière, une institution tenue par les frères franciscains. C’est dans le cadre de cette scolarité qu’il fut envoyé une année complète en Hollande. En août 1923, il entra au noviciat franciscains, bientôt interrompu cependant par son service militaire, effectué au sein des forces françaises occupant la Ruhr (Allemagne).

Trappiste

À son retour de l’armée, Lucien avait changé d’idée : il demanda à entrer dans l’abbaye cistercienne de la stricte observance (autrement dit : trappiste) de La Trappe (Soligny, Normandie). Il y prit l’habit le 11 avril 1930 en tant que novice de chœur, et reçut le nom de frère Étienne. Il y fit profession solennelle le 29 avril 1935, et fut ordonné prêtre le 21 décembre de cette même année. Au monastère, le père Étienne remplit d’abord les emplois de chantre et de maître des convers. En 1936, ses supérieurs décidèrent de l’envoyer poursuivre des études à Rome. Il apprit à y connaître la figure spirituelle du père Marie-Joseph Cassant (aujourd’hui bienheureux), au sujet duquel il écrivit un premier ouvrage (L’âme cistercienne du Père Marie-Joseph Cassant, Bellegarde, 1938).

De retour à La Trappe, il enseigna la théologie jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, qui le vit mobilisé comme sous-officier dans un régiment d’artillerie. À l’instar de nombreux religieux de sa génération, le moine habitué aux solitudes de La Trappe se vit bientôt prisonnier, en Autriche puis en Allemagne (près de Francfort), « une captivité qu’il vivra comme un séjour au désert »[1]Jean-François Holthof, ocso, dans sa Préface à L’ermitage, 3e édition, Ad Solem, 2005. Libéré en 1945, il revint à La Trappe, où il exerce la fonction de sous-prieur et de maître des études. Les élections du 7 novembre 1945 pourvurent enfin à la charge de père abbé de La Trappe, vacante depuis 1939 : le père Étienne fut élu supérieur de l’abbaye mère de la réforme trappiste.

L’abbatiat tourne court : le temps des épreuves et de la fécondité

Plein d’énergie, dom Étienne Chenevière entreprit de remettre en ordre de marche son abbaye éprouvée par la guerre et la captivité d’un certain nombre de religieux, dans le sens d’un retour graduel à l’observance stricte de la règle. Comme en d’autres lieux cependant, la guerre avait fait des ravages non seulement matériels mais aussi spirituels… Pour dom Étienne, les années passées dans la promiscuité des Stalag et Oflag n’avait pas émoussé son désir d’intériorité et de silence, mais il ne put convaincre tous les moines de la communauté de revenir avec lui à la rigueur de la règle cistercienne primitive. On lui reprocha bientôt son gouvernement autoritaire. D’après certains témoignages, dom Étienne s’était montré un enseignant et formateur ouvert et constructif, mais après-guerre un maître plus strict et plus étroit. Il faut dire aussi que le contexte avait radicalement changé, en particulier – les témoignages abondent[2]On pourra consulter Paul Vigneron, Histoire des crises du clergé français contemporain, ou encore Jean-Pierre Dickès, La blessure – dans les communautés religieuses.

Dénoncé au chapitre général de 1949, dom Chenevière fut conduit à remettre sa charge et à quitter le monastère. On lui confia pour un temps une charge discrète et peu engageante d’aumônier d’un couvent de religieuses près de Laval, où il demeura huit ans. Il mit à profit le temps dont il y disposa pour rédiger une introduction à la vie spirituelle, évidemment publiée de manière anonyme quelques années plus tard (Les Portes du Silence, Directoire spirituel, 1970).

Les dernières expériences : l’attrait du silence

De plus en plus reconnu comme directeur et prédicateur, il fut appelé par un certain nombre de communautés à venir prêcher des retraites et exercices spirituels. Parmi les nombreux lieux ainsi visités, il hésita même à demander l’entrée dans la Chartreuse de la Valsainte (Suisse), sans jamais pouvoir franchir le pas.

En 1957, il fut appelé à la maison générale de l’ordre, à Rome, en tant que maître des études. Il quitta cependant cette charge en mai 1958 en raison de différences de vues avec l’abbé général, et fit encore un essai de vie religieuse hors de la réforme cistercienne (dans un ermitage camaldule de Frascati, en Italie). Certainement, dom Étienne conservait au cœur cet attrait profond pour le silence et la vie d’intimité avec le Christ, qui transparaît à travers ses œuvres, qui semble avoir guidé sa vie depuis les premiers instants : de l’ordre de saint François à La Trappe, et jusqu’à cette expérience d’ermitage. Son expérience de vie anachorétique lui fournira la matière d’un magnifique ouvrage de spiritualité monastique et chrétienne : L’ermitage.

Cependant, après un an de vie érémitique et une prise d’habit chez les Camaldules (16 juillet 1958) il demanda à réintégrer La Trappe, son abbaye mère (février 1959). Ses notes de l’époque laissent transparaître deux motifs pour ce revirement : d’une part la crainte de se voir confier une responsabilité, voire une charge abbatiale, en raison de son expérience, alors qu’il n’aspirait qu’à la solitude du désert, d’autre part sa difficulté à voir se dessiner une spiritualité propre aux Camaldules, forme dérivée et plus érémitique de la vie bénédictine, certainement moins profondément imprégnée par une tradition religieuse que l’ordre de Cîteaux (mais peut-on donner un « contenu » à l’expérience du désert ?).  Sa demande de revenir aux lieux de sa première profession fut toutefois rejetée par son abbé. Orienté vers l’abbaye Notre-Dame de Grâce de Bricquebec (Manche), il y fit transférer en 1960 son vœu de stabilité. Il put y mettre une seconde main à son ouvrage sur le bienheureux père Cassant et enseigna la philosophie.

Dernières missions et retour vers le Père

À nouveau appelé à Rome de 1964 à 1966, au service de l’abbé général, il dut revenir à Bricquebec en raison de difficultés de santé. Partiellement remis, il fut envoyé à l’abbaye Sainte-Marie du Désert (Haute-Garonne), où il écrivit une biographie du fils spirituel du père Cassant, Dom André Malet (Toi seul me suffis, Westmalle, 1970). Après quelques visites à des couvents d’Algérie et de Madagascar, il dut revenir en France à la suite d’un deuxième accident grave de santé. Il rendit son âme à Dieu à Toulouse, le 21 septembre 1972.

 

Lisez aussi : La voie de l’intimité, la vie du père Jérôme Kiefer

Sources :

– Guérout, Gérard : Dom Étienne Chenevière, in : COCR 36 (1974), pp. 248–256.

– L’abbaye Notre-Dame de la Trappe, Amis du Perche, (2001), pp. 135–137.

– Jean-François Holthof, ocso, Préface à L’ermitage, 3ème édition, Ad Solem, 2005.

Références

Références
1 Jean-François Holthof, ocso, dans sa Préface à L’ermitage, 3e édition, Ad Solem, 2005
2 On pourra consulter Paul Vigneron, Histoire des crises du clergé français contemporain, ou encore Jean-Pierre Dickès, La blessure
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