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Aux sources du déploiement du culte chrétien

Sacramentaire de Drogon
Protégés par le secret de la discipline de l’arcane, les rites chrétiens du premier millénaire ne nous sont connus qu’à travers les premières sources écrites complètes, remontant au haut Moyen-âge, les Sacramentaires.

 

Extrait d’un article du P. A. Molien, de l’Oratoire, « Aperçu général des cérémonies du culte », paru dans La Vie Spirituelle 49 (octobre 1923), pp. 30-44.

Nos premières sources : les Sacramentaires

Le travail d’élaboration liturgique se devine en examinant de près les plus anciens sacramentaires, appelés léonien, gélasien, grégorien, que nous devons faire un peu connaître. Le sacramentaire ou Liber Sacramentorum, comme on lit en tête des recueils gélasien et grégorien, était le livre du célébrant, prêtre ou évêque et ne contenait que ce qu’il devait réciter : oraisons, préface, canon de la messe. Ce qui devait être lu ou chanté par les autres ministres était écrit dans d’autres recueils : antiphonaire, lectionnaire, évangéliaire, etc.

Le Sacramentaire léonien

Le sacramentaire léonien est le plus ancien de tous, l’original remonterait à l’époque de saint Léon (440-461), de. Félix III (526-530); on ne peut le faire descendre plus bas que saint Grégoire (+604). Il nous est connu par un manuscrit du VIe ou Vile siècle qui se trouve à la bibliothèque du chapitre de Vérone. Malheureusement il lui manque les trois premiers mois de l’année et une partie d’avril, par conséquent ce qui serait plus important, le temps du Carême et de Pâques. C’est moins un livre liturgique officiel qu’un recueil de pièces fait assez maladroitement par un particulier. Ainsi, il y a jusqu’à douze messes pour un seul saint, les préfaces sont des plaidoyers pour les uns, des réquisitoires contre les autres, contre les ascètes par exemple, comme on verra plus loin; elles renferment des allusions aux malheurs des temps, par exemple au siège de Rome par les Goths en 537, où les habitants virent moissonner par l’ennemi le fruit de leurs travaux. On y a entassé sans beaucoup d’ordre des pièces très diverses d’ordre et de facture. Il représente toutefois la forme la plus ancienne de la liturgie romaine, c’est un arsenal où puiseront les générations futures, notre missel actuel n’a pas moins de 175 pièces qui lui sont empruntées et toutes ses préfaces ont été éliminées. Il y a dans ses oraisons de la précision, de la vigueur, de l’originalité.

Le sacramentaire gélasien

Dans le gélasien, nous avons bien un livre romain vraiment liturgique, mais qui a subi plus d’une retouche dans le sens gallican. Le plus ancien manuscrit connu provient de la Gaule, où il fut copié sans doute pour l’abbaye de Saint-Denis, à la fin du VIIe ou au commencement du VIIIe siècle (Mgr Duchesne dit entre 628 et 731 parce qu’on y trouve certaines fêtes antérieures à 628 et qu’on n’y trouve pas encore les messes des jeudis de Carême instituées par Grégoire II (715-731). Il est beaucoup mieux ordonné que le léonien et divisé en trois livres : 1° la messe et les autres offices de l’année ; 2° messes pour le propre des saints ; 3° messes votives avec un certain nombre de messes pour les jours de la semaine. L’attribution à saint Gélase (491-496) n’est pas autrement fondée. Le Liber Pontificalis lui accorde seulement des formules analogues à celles qu’on trouve dans un recueil de ce genre, et Walfrid Strabon (IXe siècle) dit seulement qu’il a mis en ordre des pièces composées par d’autres ou par lui-même : cela a suffi sans doute pour qu’au IXe siècle, époque où il était très répandu en Gaule, on lui donnât le nom de Gélase, ne fût-ce que pour le distinguer du sacramentaire envoyé par le pape Hadrien et que l’on appelait grégorien. Il reste là-dessus bien des incertitudes. Son contenu aussi est trop mélangé pour qu’on puisse reconstruire avec ces éléments les pratiques romaines d’un âge plus reculé.

Le sacramentaire grégorien

L’origine du sacramentaire grégorien a été également fort discutée surtout au siècle dernier, niais on ne conteste plus guère aujourd’hui l’attribution à saint Grégoire le Grand (590-604), qui selon l’expression de Jean Diacre (872) a retranché beaucoup du recueil gélasien, changé certaines choses, ajouté quelques-unes. Le grand pape y a mis ainsi la marque de son génie, de l’ordre et de la discrétion, une seule collecta pour chaque messe, les préfaces et variantes du canon très nombreuses dans le gélasien sont réduites à celles de notre missel, sauf une ou deux exceptions. Ce sacramentaire ne contient que les messes des jours de grande fête ou de station solennelle, c’est le livre du pape pour les cérémonies qu’il préside ordinairement. Aussi, quand le pape Hadrien l’eut envoyé à Charlemagne (entre 784 et 795), fut-il trouvé insuffisant et en le copiant (les exemplaires furent tout de suite très nombreux) on y ajouta. De sorte que le mot sacramentaire grégorien peut désigner : 1° le recueil fait par saint Grégoire lui-même ; 2° le livre envoyé 200 ans plus tard par Hadrien à Charlemagne et qui contient des fêtes ajoutées pendant cette période comme celle de saint Grégoire lui-même, certaines fêtes de la sainte Vierge ; 3° le même livre avec les additions postérieures faites en Gaule, sans doute par Alcuin. Mgr Duchesne pense qu’il n’existe plus un exemplaire pur de tout mélange et de tout complément.

IXe siècle : les choses se fixent

Le plus fort du travail est fait au IXsiècle ; on a trouvé la formule définitive, l’attitude à prendre pour la réciter, le geste convenable pour la souligner et la faire valoir ; l‘attitude, on prie debout ou à genoux, incliné ou prosterné tout à fait, mains jointes ou étendues. Tout cela est bien réglé selon les temps et aussi les formules. Au temps pascal, pour marquer la joie et rappeler la résurrection de Notre-Seigneur, on récite debout ce que durant le Carême on dit à genoux. On se met à genoux pour marquer la crainte, le respect, la soumission, la pénitence… On reste debout pour l’évangile, le canon, etc.

Pour donner à la parole toute sa valeur et l’animer, on y joint les gestes : le signe de croix, est de tous le plus employé, le plus important, le plus expressif ; après, il y a les inclinations, les génuflexions, quelquefois les prostrations, l’encensement, le baiser de paix… Le prêtre étend les mains sur l’hostie, lève les yeux au ciel en la prenant, en commençant certaines prières, il baise l’autel, etc… Dans les sacrements et les bénédictions il y a les exorcismes, l’imposition des mains, l’onction, l’emploi de divers éléments, l’eau, la cendre, le sel, l’huile, le vin, etc.

La signification symbolique des cérémonies

Il fallait énumérer ces diverses cérémonies, ne fût-ce que pour donner une idée de leur nombre, de leur variété, attirer sur elles l’attention de l’esprit. Elles ont pour but, selon saint Thomas, d’exciter la dévotion, d’instruire, d’entraver la puissance du démon. Toutes ne l’atteignent point de la même façon ; si l’on y regarde bien, on peut les diviser en trois catégories :

1. Pour la convenance du sacrifice

Celles qui ne tendent qu’à entourer le sacrifice de plus de respect ou de convenance : le prêtre doit marcher les yeux baissés, il met la main gauche sur la poitrine lorsqu’il se signe, se tourne vers le peuple pour saluer et bénir…

2. Pour exprimer le sentiment religieux

D’autres sont vraiment des actes du culte et, l’expression de sentiments religieux : inclinations, génuflexions… Elles peuvent être accomplies ailleurs… on s’incline devant ceux qu’on respecte, on se prosterne devant un grand de la terre, elles prennent un sens religieux du fait de leur présence à la messe, dans les sacrements elles traduisent le sentiment religieux déjà existant et le développent.

3. Des gestes à signification symbolique

Enfin quelques-unes ont un but spécial, elles ont été inventées pour leur signification symbolique, elles doivent nous rappeler les mystères de la foi, de la vie chrétienne : mélange de vin et d’eau à l’offertoire, extension des mains sur les espèces à Hanc igitur, fraction de l’hostie consacrée pour marquer la séparation par la mort du corps et de l’âme de Notre-Seigneur, le mélange des espèces pour signifier la résurrection… À cette catégorie appartiennent les signes de croix, les lumières, l’encens, etc…

Évidemment, une telle classification ne peut avoir rien d’absolu, il ne faut pas restreindre à une catégorie ce qui convient à deux ou même peut rentrer dans les trois. L’esprit de système ici est tout à fait déplorable. Le Moyen-Âge, sans y penser, avait son système : il voulait voir des symboles partout, dans la liturgie tout avait une signification mystique. Ses auteurs ne sont jamais en peine d’en trouver, et Dieu sait s’ils ont eu l’imagination féconde : ils n’ignorent rien, ne doutent de rien, le moindre geste a tout de suite trois ou quatre raisons d’être. Il y en a tant qu’il n’est guère possible que chacun n’en trouve pour tout ce qui lui plaira. Durand de Mende (1230-1296) est sans doute le principal représentant de cette école[1]Durand de Mende ou Guillaume Durand (1230-1296) est un des auteurs liturgiques les plus célèbres du Moyen-Âge. Né à Puimisson près de Béziers, il fut élève de Henri de Suse († 1272), … Continue reading. Amalaire, Honorius d’Autun, Jean Beleth, Bérold, Innocent III, le précédent où le continuent avec aussi peu de critique.

Le régime fleurit encore au XVIIe siècle, et M. Olier ne cherche pas autre chose dans les cérémonies de la grand’messe que des explications mystiques. Inutile de dire que Bossuet est beaucoup plus exigeant. Par réaction contre le symbolisme à outrance, au XVIIIe siècle, quelques-uns ne veulent plus voir qu’une raison à la formation des cérémonies. Claude de Vert, trésorier de l’abbaye de Cluny, esprit original et ingénieux, mais subtil et aventureux, a donné son nom au système qui pour expliquer les cérémonies n’admet que des raisons d’ordre naturel… Vous prétendez, dit-il, que l’encens a été employé pour marquer l’adoration, la prière… point du tout, ce fut pour chasser les mauvaises odeurs dans les assemblées ; de même les cierges n’ont qu’une raison d’être, ils servent à éclairer, on s’en est servi pour cela dans les catacombes et l’on a continué en plein jour ; l’eau est employée pour le baptême, cela provient de l’usage de laver les enfants à leur naissance, etc. Supprimant tout le travail du passé avec son symbolisme quelquefois exagéré, il manque complètement le but en le dépassant, d’un excès il tombe dans un autre plus grave et plus choquant, il saute aux yeux que son système est faux bien que plusieurs de ses remarques soient justes. Le P. Lebrun, de l’Oratoire, dont l’Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cérémonies de la messe suivant les anciens auteurs et les monuments de la plupart des Églises (1716) reste une des meilleures et peut-être jusqu’ici la meilleure, réfute sagement Claude de Vert dans sa préface et fait entrer les études liturgiques dans leur vraie voie. Longuet, mort évêque de Soissons, avait déjà répondu à Claude de Vert : Du véritable esprit de l’Église dans l’usage des cérémonies ou réfutation de D. de Vert (1709, 2e édition, 1732) fait voir mieux encore les exagérations de cette école et sa fausseté. Du reste, il faut être aveuglé par l’esprit de système pour nier que, dans l’ancienne loi, bien des choses avaient été prescrites par Dieu pour leur signification mystique ; l’Église en a gardé, en a imaginé d’autres.

Références

Références
1 Durand de Mende ou Guillaume Durand (1230-1296) est un des auteurs liturgiques les plus célèbres du Moyen-Âge. Né à Puimisson près de Béziers, il fut élève de Henri de Suse († 1272), enseigna le droit à Bologne. Nommé auditeur de Rote par Clément IV, il fut envoyé au concile de Lyon (1274) par Grégoire X, qui le fit gouverneur du patrimoine de Saint-Pierre. Il fut nommé en 1287 évêque de Mende. Il écrivit, outre plusieurs ouvrages de droit, le Rationale divinorum officiorum (1284), que Montalembert appelle le code le plus complet de la liturgie (Préface de Sainte Élisabeth). On peut appeler son Rational l’encyclopédie liturgique du XIIIe siècle. Il réunit en effet les nombreux documents épars avant lui dans une foule d’auteurs, Pères, Docteurs, savants de toutes sortes. Pour donner l’idée de sa vogue au Moyen-Âge et dans les temps modernes, disons que depuis la seconde moitié du XVe siècle jusqu’à la fin du XVIIe il eut plus de 90 éditions, fut traduit dans toutes les langues, sauf en français (il le fut cependant en 1854 par C. Barthélemy, 5 vol. in-8). C’est le premier ouvrage imprimé en caractères de métal à Mayence en 1459. Il reste très utile pour connaître l’ordre et l’économie de la liturgie de son temps. Durand sait beaucoup, mais il ne faut pas lui demander de critique au sens moderne du mot. On y trouve parfois les plus belles choses, mais aussi un symbolisme exagéré, et parfois des considérations extravagantes. On en jugera par les quelques citations que nous avons faites. Pour les juger avec justice, il faut le remettre dans son milieu, au siècle de la Légende dorée, de saint François d’Assise, etc… — Albert le Grand, son contemporain, réagissait déjà contre de telles tendances. Dans son traité De sucrificio Missœ, il décoche plus d’un trait au pieux auteur du Rationale : « De telles explications ne valent rien pour moi. Je ne crois pas cela, et j’en souris. — Je passe de telles explications » etc… (Voir D. L. B., Quest. liturg., t. VI, p. 244). Il a aussi composé pour son église de Mende un Pontifical dont procède directement le pontifical romain encore actuellement en usage. Piccolomini, qui avec Jean Burchard donna au XVe siècle la première édition du pontifical Romain, déclare qu’il a pris pour base le pontifical de Durand en le mettant d’accord avec l’usage du siège apostolique ; il en conserve la division en trois parties, etc. (Voir Batiffol, Éludes de liturgie, p. 10).
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