1675 – 2025 : Cette année jubilaire coïncide avec le 350ème anniversaire des apparitions du Sacré-Coeur à Paray-le-Monial. Le Saint-Père a proposé aux catholiques de placer ce mystère au coeur de leur contemplation et de leur prière en publiant en octobre dernier une longue encyclique intitulée Dilexit nos.
Après avoir proposé une introduction et un guide de lecture de l’encyclique, nous revenons sur les beaux approfondissements de la IVème partie, qui déploie l’histoire de la dévotion du Sacré-Coeur dans l’Ecriture et chez les saints.
Nous continuons aujourd’hui avec saint Claude de la Colombière, la dévotion au sein des Jésuites, saint Charles de Foucauld, sainte Thérèse de Lisieux et le thème de la consolation.
Durant toute cette année Claves proposera un approfondissement spirituel et dogmatique, chaque premier vendredi du mois, sur le thème du Sacré-Coeur.
Le Coeur du Christ, fournaise ardente
À Paray-le-Monial, le Christ se donnait en montrant ses souffrances certes, mais aussi comme le Christ ressuscité : de ses blessures transfigurées jaillit le feu du vivant. Le message du Sacré-Coeur est une expression intégrale du mystère pascal : « Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi, tout éclatant de gloire avec ses cinq plaies brillantes comme cinq soleils, et de cette sacrée humanité sortaient des flammes de toutes parts, mais surtout de son adorable poitrine qui ressemblait une fournaise; et s’étant ouverte, me découvrit son tout aimant et tout aimable Cœur qui était la vive source de ces flammes ». (Autobiographie, n. 55, p. 71.)
L’autre saint de Paray : Claude de la Colombière
La Révélation de cet amour ne fut pas faite à Marguerite-Marie seule mais également – quoiqu’indirectement – à son confesseur Claude de la Colombière. De certaines expressions qui auraient pu sembler volontaristes ou doloristes, saint Claude appelle à un abandon qui remplit la vie de paix, de sécurité et de résolutions. Ces sentiments transparaissent dans son admirable et célèbre prière : « Pour moi, mon Dieu je suis si persuadé que vous veillez sur ceux qui espèrent en vous, je suis si persuadé qu’on ne peut manquer de rien quand on attend tout de vous, que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci, et de me décharger sur vous de toutes mes inquiétudes […]. Jamais je ne perdrai mon espérance, je la conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de vains efforts pour me l’arracher »[1]Sermon sur la confiance en Dieu, Œuvres du R.P. de La Colombière, t. 5, Lyon 1852, p. 100.. Le jésuite ajoute à l’expérience spirituelle de Marguerite-Marie sa science concrète, tirée notamment des Exercices Spirituels.
Le cœur où l’amour se fait pauvre : Charles de Foucauld
La dévotion au Sacré-Coeur fut « involontairement remodelée » par deux grandes figures françaises du XIXème siècle, sur lesquelles le pape arrête un instant sa méditation : Charles de Foucauld et Thérèse de l’Enfant-Jésus. Le premier découvrit une image du Sacré-Coeur lors d’une visite faite au Saint Sacrement avec sa cousine Mme de Bondy, éveillant en lui la conscience de l’amour et de la miséricorde sans limites du Christ. Lorsqu’il désirera être ermite, ce sera « sous le nom du Sacré-Coeur ». Son amitié avec le cœur de Jésus n’a rien d’une dévotion intimiste, elle nourrit la vie de pauvreté par laquelle il désire se configurer au Christ.
L’amour miséricordieux contemplé dans le Sacré-Coeur par Thérèse de l’Enfant-Jésus
La « dévotion qui inonde la France au XIXème » siècle touche la petite Thérèse par l’intermédiaire de son confesseur l’abbé Pichon. À 15 ans elle dit que le cœur de Jésus « battait à l’unisson du [sien] », à 17 ans qu’il « est à [elle] seule, comme le [sien] est à lui seul »[2]Id., Lettre 122, à Céline,14 octobre 1890, p. 431.. « J’ai besoin d’un cœur brûlant de tendresse » s’écrie-t-elle dans ses poésies (Id., Poésie 23, “Au Sacré Cœur de Jésus”, juin ou octobre 1895, pp. 690-691.). « Depuis qu’il m’a été donné de comprendre aussi l’amour du Cœur de Jésus, je vous avoue qu’il a chassé de mon cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m’humilie, me porte à ne jamais m’appuyer sur ma force qui n’est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d’amour »[3]Id., Lettre 247, à l’abbé Maurice Bellière, 21 juin 1897, pp. 603-604. écrit-elle à Maurice Bellière, l’un de ses « petits frères », séminariste. La spiritualité de Thérèse va contre toute interprétation doloriste : « Comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant. […] C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour »[4]Id., Lettre 197, à Sœur Marie du Sacré-Cœur, 17 septembre 1896, pp. 552- 553. écrit-elle à sa sœur Marie. Le texte de l’encyclique commente en note « cela ne veut pas dire que Thérèse n’a pas offert des sacrifices, ses douleurs et ses angoisses pour s’associer à la souffrance du Christ, mais lorsqu’elle a voulu entrer dans le vif du sujet, elle a veillé à ne pas donner à ces offrandes une importance qu’elles n’avaient pas »[5]Dilexit nos, note 134.. Contemplant la miséricorde divine dans le Sacré-Coeur de Jésus, la carmélite de Lisieux illustre ainsi l’inlassable mouvement du pardon divin (rencontré en particulier dans le sacrement de pénitence) : « Regarde un petit enfant, qui vient de fâcher sa mère […] s’il vient lui tendre ses petits bras en souriant et disant : “Embrasse-moi, je ne recommencerai plus”. Est-ce que sa mère pourra ne pas le presser contre son cœur avec tendresse et oublier ses malices enfantines ?… Cependant elle sait bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, s’il la prend encore par le cœur jamais il ne sera puni »[6]Id., Lettre 191, à Léonie, 12 juillet 1896, pp. 542-543.. Elle écrit de la même manière ailleurs « Je ne crois pas que le cœur de l’heureux père puisse résister à la confiance filiale de son enfant dont il connaît la sincérité et l’amour. Il n’ignore pas cependant que plus d’une fois son fils retombera dans les mêmes fautes, mais il est disposé à lui pardonner toujours, si toujours son fils le prend par le cœur »[7]Id., Lettre 258, à l’abbé Maurice Bellière, 18 juillet 1897, p. 615.
Les résonances chez les autres saints
La spiritualité de la compagnie de Jésus et des Exercices Spirituels propose une « connaissance intérieure du Seigneur, afin de l’aimer et le suivre davantage »: saint Ignace propose au retraitant d’entrer dans le Coeur de Jésus, pour faire goûter avec le coeur le message des évangiles. Il termine ses contemplations au pied du crucifix en s’adressant au Seigneur « comme un ami parle à son son ami ou un serviteur à son Seigneur ».
Cette expérience est poursuivie par une longue chaîne de jésuites: François de Borgia, Pierre Favre, Alonso Rodriguez, Alvarez de Paz, Vincenzo Caraffa… Pour eux, la promotion et la propagation de la dévotion à son divin Coeur est un « très doux fardeau » confié par le Seigneur à la Compagnie[8]23 Congrégation générale de la Compagnie de Jésus, Déc. 46, 1 : Institutum Societatis Iesu, 2, Florence, 1893, p. 511., consacrée solennellement en 1891.
Cette dévotion se retrouve dans l’itinéraire spirituel de nombreux saints. Saint Vincent de Paul recommande aux Filles de la Charité de « faire tout ce qu’elle[s] peu[ven]t pour mettre [leur] coeur en état d’être uni à celui de Notre Seigneur. » Au XXème siècle, l’amour du Coeur Sacré se retrouve chez saint Padre Pio, sainte Teresa de Calcutta, sainte Faustine. Saint Jean-Paul II fera le lien entre la profession de la miséricorde divine et la dévotion au coeur du Christ : « nous approcher du Christ dans le mystère de son cœur nous permet de nous arrêter sur ce point […] de la révélation de l’amour miséricordieux du Père, qui a constitué le contenu central de la mission messianique du Fils de l’homme »[9]Dives in misericordia (30 novembre 1980), n. 13 : AAS 72 (1980), p. 1219.
De la consolation à la componction
Cette dévotion prend une coloration particulière avec le thème de la consolation : lorsqu’il contemple le Coeur blessé et ouvert du Christ, qui conserve même dans la gloire du Ciel les signes du don total, le croyant est appelé à réagir à cette douleur et à cet amour en consolant le Sacré-Coeur. Pour Pie XI, le mystère de la Rédemption transcende les distances de temps et l’espace[10]n°153 et Pie XI, Miserentissimus Redemptor, 1928., et nos actes offerts en réparation parviennent jusqu’au coeur blessé de Jésus, participant du réconfort apporté à Gethsémani par l’ange de Dieu. Les fidèles comprennent en effet que la Passion n’est pas un simple fait du passé mais un événement qui transcende l’histoire, auquel on peut donc participer par la foi. Cette invitation devient une nécessité lorsque l’on considère notre péché, notre insuffisance devant l’abondance de l’amour du Christ. C’est de la souffrance de contempler ce qu’il a enduré pour nous, de la reconnaissance de nos servitudes, que naît le désir de consoler le Christ, dont le coeur garde dans l’éternité sa blessure comme un constant souvenir. C’est dans cette blessure, ajoute Pie XI, que tout aimant Dieu et contemplant le Christ trouve la guérison. Ce désir de consolation augmente la componction du croyant, qui n’est pas un sentiment rabaissant mais une « piqûre qui brûle et guérit » en conduisant à « nous repentir d’avoir attristé Dieu par le péché » : elle est ce « miracle de la tristesse, de la bonne tristesse, qui conduit à la douceur. » Finalement, consoler le Coeur du Christ nous console aussi : la douleur y cède la place à une confiance totale, et ne reste plus que la gratitude, la tendresse et la paix. Cette componction vraie soulage l’âme de ses fardeaux, agit dans la blessure du péché pour que nous recevions la caresse du Seigneur. La consolation reçue de Dieu invite ainsi à consoler autrui : « consolez mon peuple, je suis son berger »[11]Is 40, 1..
Compléter ce qui “manque” aux épreuves du Christ
Et puisque ceux qui ne vivent pas en accord avec leur foi « crucifient pour leur compte le Fils de Dieu » (He 6, 6), saint Paul appelle à endurer nos souffrances pour les autres : « je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ » (Col 1, 24). Dans sa souffrance, le Christ s’unissait aussi aux souffrances de ses disciples dans l’histoire. Les séparations temporelles ne bornent ainsi pas les liens de l’amour ni l’unité du mystère pascal, qui se décline en deux aspects en nous permettant de vivre avec lui ce que le Christ voulut vivre par avance de blessures et de consolation. Il nous permet ainsi d’être unis à sa Passion pour faire avec lui l’expérience de la joie de la résurrection.
Références[+]
↑1 | Sermon sur la confiance en Dieu, Œuvres du R.P. de La Colombière, t. 5, Lyon 1852, p. 100. |
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↑2 | Id., Lettre 122, à Céline,14 octobre 1890, p. 431. |
↑3 | Id., Lettre 247, à l’abbé Maurice Bellière, 21 juin 1897, pp. 603-604. |
↑4 | Id., Lettre 197, à Sœur Marie du Sacré-Cœur, 17 septembre 1896, pp. 552- 553. |
↑5 | Dilexit nos, note 134. |
↑6 | Id., Lettre 191, à Léonie, 12 juillet 1896, pp. 542-543. |
↑7 | Id., Lettre 258, à l’abbé Maurice Bellière, 18 juillet 1897, p. 615. |
↑8 | 23 Congrégation générale de la Compagnie de Jésus, Déc. 46, 1 : Institutum Societatis Iesu, 2, Florence, 1893, p. 511. |
↑9 | Dives in misericordia (30 novembre 1980), n. 13 : AAS 72 (1980), p. 1219. |
↑10 | n°153 et Pie XI, Miserentissimus Redemptor, 1928. |
↑11 | Is 40, 1. |