Une question aussi vieille que l’homme, à l’origine du questionnement religieux : pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? Contrairement aux réponses partielles et insatisfaisantes des paganismes, le christianisme éclaire en vérité le dessein de Dieu pour la création. Dieu a créé le monde pour sa gloire, par amour. Expliquons et contemplons…
Créés pour sa gloire
Ramène mes fils des pays lointains
et mes filles de l’extrémité de la terre,
tous ceux qui portent mon nom,
que j’ai créés pour ma gloire, que j’ai formés et que j’ai faits[1]Is 43, 7-8..
Dès l’Ancien Testament apparaît le paradoxe du dessein divin : par la bouche des prophètes, Dieu affirme que c’est pour sa gloire qu’il a créé l’univers, comme c’est encore pour sa gloire qu’il use de miséricorde envers sa création rebelle.
À cause de mon nom, je retiens ma colère,
et à cause de ma gloire, je patiente avec toi,
pour ne pas t’exterminer.
Voici, je t’ai fondu, mais sans obtenir l’argent ;
je t’ai éprouvé au creuset de l’affliction.
C’est pour l’amour de moi, pour l’amour de moi que je le fais ;
car comment mon nom serait-il profané ?
Je ne donnerai pas ma gloire à un autre[2]Is 48, 11-13.
Or l’affirmation selon laquelle Dieu crée et gouverne l’univers pour sa propre gloire paraît scandaleuse dans le contexte d’anthropocentrisme contemporain : l’homme qui se prend pour le centre du monde ne comprend pas que Dieu ait pu le créer en lui assignant une fin qui le dépasse. On accuserait presque le Créateur d’égoïsme…
Il ne s’agit pourtant pas d’une lubie vétérotestamentaire, puisque le Catéchisme de l’Église Catholique l’affirme encore avec force : « C’est une vérité fondamentale que l’Écriture et la Tradition ne cessent d’enseigner et de célébrer : ” Le monde a été créé pour la gloire de Dieu ” (Cc. Vatican I : DS 3025) »[3]Catéchisme de l’Église Catholique, n°293.
Créés pour sa gloire ou par amour ?
Lorsqu’on explore les raisons de la création par Dieu, on entend cependant plutôt que le Créateur aurait fait naître le monde par amour : n’ayant aucun besoin de créer, son œuvre – qui ne lui apporte rien par elle-même – ne peut être expliquée que comme une émanation purement gratuite de sa bonté.
Alors sommes-nous créés pour sa gloire ou par amour ? Ce qui paraîtrait facilement contradictoire doit être réuni en contemplant la sublimité du dessein divin.
Le Catéchisme cite ainsi saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin : « Dieu a créé toutes choses, non pour accroître la Gloire, mais pour manifester et communiquer cette gloire[4]Saint Bonaventure, Sentences 2, 1, 2, 2, 1. » ; « C’est la clef de l’amour qui a ouvert sa main pour produire les créatures[5]Saint Thomas d’Aquin, Sent. 2, prol.. »
Créer pour sa gloire ou par amour : deux intentions qui semblent être réunies en Dieu. Pour le comprendre, revenons à la notion de « gloire » appliquée en Dieu.
Qu’est-ce que la gloire de Dieu
Le mot « gloire » désigne pour saint Thomas d’Aquin la connaissance de l’excellence de quelqu’un. Il distingue la gloire objective (le fondement) et la gloire formelle (sa reconnaissance) : « Il y a donc dans la notion de gloire deux éléments importants : d’un côté l’excellence elle-même, et particulièrement la bonté, la magnificence d’un être ; et de l’autre, la connaissance de cette excellence par les autres, connaissance qui va engendrer la louange »[6]Abbé Jean de Massia, « La gloire de Dieu et la gloire des saints » in Tu Es Petrus XXI, pp. 42-62.. Or Dieu est l’unique Être subsistant par lui-même, infiniment parfait : il est à la fois gloire objective (en tant que perfection suprême) et formelle (étant le seul à se connaître comme tel). La gloire lui appartient par excellence puisqu’il est la Bonté par essence et que lui seul se connaît parfaitement.
Cette gloire intrinsèque de Dieu, en quelque sorte interne, est appelée kâbôd Yehôvâh dans l’Ancien Testament et assimilée à une lumière éblouissante[7]Abbé Jean de Massia, ibid., p. 44.. Avec la Révélation trinitaire du Nouveau Testament, la gloire de Dieu se dévoile un peu plus en resplendissant sur le visage du Fils, image éternelle du Père. Cette gloire qu’est Dieu lui-même se manifeste toutefois encore comme étant possédée infiniment et éternellement, source de béatitude inamissible. Sa Révélation fait éprouver par opposition le caractère entièrement libre et gratuit de la création.
Le seul motif qui L’a déterminé à l’œuvre de la création, c’est sa bonté, qu’Il voulait répandre sur les êtres qu’Il allait produire. Car Dieu, souverainement heureux en Lui-même et par Lui-même, n’a besoin de rien, ni de personne, comme le proclame David en ces termes:[58] J’ai dit à mon Seigneur, Vous êtes mon Dieu, et Vous n’avez pas besoin de mes biens[8]Catéchisme du Concile de Trente, Partie II, chapitre V..
Quelle est la fin de la création ?
Ayant posé ce préambule, nous pouvons revenir à notre question initiale : quel est le but, la fin de la création ? Pourquoi Dieu crée-t-il ? En philosophie, la « fin » peut être considérée sous deux aspects : par rapport à l’agent (ex : l’horloger fabrique une montre pour gagner sa vie) et par rapport à l’œuvre elle-même (ex : la montre a pour fin d’indiquer l’heure). Cette distinction joue aussi pour la question de la création.
Peut-on dire, du côté de Dieu, qu’il est lui-même la fin de l’acte de création ? La question est délicate, car on ne peut pas assigner de « fin » à Dieu au sens où son action serait dépendante d’une cause externe. On peut cependant parler de fin au sens où Dieu agit toujours en Sagesse, et donc n’agirait pas « sans raison » ou sans but. « Dieu a créé le monde selon sa sagesse (cf. Sg 9, 9). Il n’est pas le produit d’une nécessité quelconque, d’un destin aveugle ou du hasard. Nous croyons qu’il procède de la volonté libre de Dieu qui a voulu faire participer les créatures à son être, sa sagesse et sa bonté : ” Car c’est toi qui créas toutes choses ; tu as voulu qu’elles soient, et elles furent créées ” (Ap 4, 11) »[9]Catéchisme de l’Église Catholique, n°295..
« Tout a été créé par lui et pour lui »[10]Col 1, 16. : Dieu a tout fait pour lui-même. En effet, si l’on remonte à la définition du bien, puisqu’il est « ce que tous désirent », la fin ultime est le bien absolu, de qui tous les autres découlent. Or Dieu étant l’agent suprêmement libre, son acte de création est mû par un amour infini : il crée par pure et absolue bonté, son action ne peut avoir pour but que le bien absolu. « Rien d’autre n’a mû Dieu si ce n’est sa bonté, qu’il a voulu communiquer à d’autres réalités selon le mode de l’assimilation à lui »[11]Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, II, 46..
Du côté des créatures, on peut encore dire que la cause finale de la création est la bonté de Dieu : saint Thomas affirme en effet que la fin de l’agent et du patient sont identiques, sous des rapports différents. Pour le Créateur, la « fin » est donc la bonté divine à communiquer, tandis que pour ses créatures, la fin est cette même bonté à recevoir et à manifester. La création est en effet un miroir dans lequel se reflète de manière multiple la bonté de Dieu : cette finalité ne contrevient pas au bien propre des créatures. Ordonnées à Dieu, elles cherchent concomitamment leur propre bien, qui est inclus et finalisé par le bien suprême de l’univers.
il n’appartient pas au premier agent, qui est pur agent, d’agir pour acquérir une fin ; il veut seulement communiquer sa perfection, qui est sa bonté. Et chaque créature entend obtenir sa propre perfection, qui est une ressemblance de la perfection et de la bonté divines. Ainsi donc la bonté divine est la fin de toutes choses[12]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Pars, q. 44, a. 4.
Tant du côté du Créateur que de la créature, la fin de la création est donc Dieu, qui agit par pure et absolue bonté, que les créatures sont ordonnées à recevoir et manifester.
Le seul motif qui L’a déterminé à l’œuvre de la création, c’est sa bonté, qu’Il voulait répandre sur les êtres qu’Il allait produire[13]Catéchisme du Concile de Trente, Partie II, Chapitre 5.
Le Catéchisme réaffirme ces vérités en citant le Concile Vatican I : « Dans sa bonté et par sa force toute-puissante, non pour augmenter sa béatitude, ni pour acquérir sa perfection, mais pour la manifester par les biens qu’il accorde à ses créatures, ce seul vrai Dieu a, dans le plus libre dessein, tout ensemble, dès le commencement du temps, créé de rien l’une et l’autre créature, la spirituelle et la corporelle »[14]DS 3002, cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n°293..
La place du Verbe
Le Catéchisme ajoute cependant que dans le plan éternel de Dieu, le mystère du Christ apporte la « lumière décisive sur le mystère de la création »[15]Catéchisme de l’Église Catholique, n°280. car « dès le commencement, Dieu avait en vue la gloire de la nouvelle création dans le Christ. » Ainsi « les lectures de la Nuit Pascale, célébration de la création nouvelle dans le Christ, commencent par le récit de la création »[16]Catéchisme de l’Église Catholique, n°281.. Les Pères de l’Église abondent dans le même sens, Dieu nous a créés pour « faire de nous ” des fils adoptifs par Jésus-Christ : tel fut le dessein bienveillant de Sa volonté à la louange de gloire de sa grâce ” (Ep 1, 5-6) : ” Car la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu : si déjà la révélation de Dieu par la création procura la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe procure-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu ” (S. Irénée, hær. 4, 20, 7) »[17]Catéchisme de l’Église Catholique, n°294..
Ainsi l’histoire du salut, qui commence avec la création, culmine dans le Christ, en qui se dévoile le visage de Dieu, et qui révèle ainsi la fin en vue de laquelle Dieu créa le ciel et la terre. En effet, puisque Dieu crée pour sa gloire à manifester et à communiquer, la grâce d’adoption qui fait de nous des fils en Jésus joue un rôle déterminant et central dans le plan d’amour divin. « La fin ultime de la création, c’est que Dieu, ” qui est le Créateur de tous les êtres, devienne enfin ‘tout en tous’ (1 Co 15, 28), en procurant à la fois sa gloire et notre béatitude ” »[18]Catéchisme de l’Église Catholique, n°294..
Conclusion
Admirer les raisons pour lesquelles Dieu a créé le monde n’est pas parvenir à un dernier mot qui résumerait ou comprendrait l’action divine : il s’agit pour nous de contempler l’immense diversité des motifs qui font admirer l’œuvre divine, tout en demeurant bien conscients que jamais nous n’en pourrons épuiser la richesse. Reconnaître que Dieu a tout créé avant tout pour sa propre gloire, c’est se souvenir de notre place et de notre rôle dans l’univers : nous sommes faits et députés pour adorer notre Souverain Maître.
Références[+]
↑1 | Is 43, 7-8. |
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↑2 | Is 48, 11-13 |
↑3 | Catéchisme de l’Église Catholique, n°293. |
↑4 | Saint Bonaventure, Sentences 2, 1, 2, 2, 1. |
↑5 | Saint Thomas d’Aquin, Sent. 2, prol. |
↑6 | Abbé Jean de Massia, « La gloire de Dieu et la gloire des saints » in Tu Es Petrus XXI, pp. 42-62. |
↑7 | Abbé Jean de Massia, ibid., p. 44. |
↑8 | Catéchisme du Concile de Trente, Partie II, chapitre V. |
↑9 | Catéchisme de l’Église Catholique, n°295. |
↑10 | Col 1, 16. |
↑11 | Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, II, 46. |
↑12 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Pars, q. 44, a. 4. |
↑13 | Catéchisme du Concile de Trente, Partie II, Chapitre 5. |
↑14 | DS 3002, cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n°293. |
↑15 | Catéchisme de l’Église Catholique, n°280. |
↑16 | Catéchisme de l’Église Catholique, n°281. |
↑17, ↑18 | Catéchisme de l’Église Catholique, n°294. |