« Comportons-nous en tout comme il convient à des ministres de Dieu » demande aujourd’hui saint Paul. Non pas une fois comme ça en passant, mais en tout. Quelle exigence, quelle attente ! Et nous, Corinthiens du XXIe siècle, sommes-nous au niveau ? Avons-nous cette obsession d’être représentants de Dieu en tout ? Dans les joies et les épreuves, la santé et la maladie ? Est-ce seulement possible ?
Trois tentations
Regardons tout de suite le Christ Jésus dans l’Évangile. Il vient de jeûner pendant 40 jours au désert, mangeant et buvant très peu (ou même rien). L’Évangile dit sobrement : « il eut faim. » Pourtant, après ces jours de pénitence ardue, sa faiblesse n’engendre aucune faute, aucune compromission avec la tentation. Le démon vient essayer de le faire tomber, trois fois, par trois portes d’entrée de sa nature humaine : son corps d’abord qui est le centre naturel de ses désirs, de tous ses appétits sensibles. Jésus a faim, mais il sait pourquoi il jeûne : « l’homme se nourrit surtout de la Parole de Dieu. » Sa charité, son amour de Dieu et du prochain qui résume toute la Parole de Dieu, lui fait supporter avec enthousiasme le poids de la faim. Le diable ne peut rien contre une volonté si aimante.
Il revient alors à la charge plus subtilement, pour (si cela était possible[1]NDLR : en réalité, pour saint Thomas d’Aquin et pour toute la tradition de l’Église le Christ, puisque la cime de son âme est dans la vision béatifique, ne pouvait avoir la foi, qui … Continue reading) attaquer maintenant la foi, mettre le doute dans l’esprit de Jésus. C’est son intelligence, siège de la vertu de foi, que Satan vient mettre à l’épreuve : « jette-toi en bas, puisque tu as confiance en Dieu, que tu crois que ton heure n’est pas venue, jette-toi du haut du temple ! Dieu t’empêchera de mourir puisque tu as une si grande foi ! » Satan essaye de faire pécher Jésus par l’esprit, contre la foi. Il voudrait amener Jésus à douter de Dieu en l’obligeant à faire sa volonté propre. Mais c’est peine perdue : « tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ! »
Alors Satan tente le tout pour le tout. Il comprend que Jésus est solidement ancré dans la charité et dans la foi, qu’il ne vacillera pas facilement. C’est alors la tentation des saints qu’il lui lance : l’orgueil de se maîtriser soi-même, de maîtriser les choses de Dieu ; l’orgueil de se sentir puissant face à Dieu et non plus avec Dieu. Satan essaye ici de déraciner la présence trinitaire de Dieu au fond de l’âme humaine de Jésus, par la grande tentation spirituelle de l’orgueil : le blasphème, le sacrilège, l’idolâtrie. « Détourne-toi de Dieu, et tourne-toi vers moi, le prince de ce monde. Adore-moi, mon ami ! » C’est le plus grand péché possible, celui du damné qui se choisit seul plutôt que soumis à Dieu. Cette fois c’en est trop : « arrière Satan, tu n’adoreras que Dieu seul ! » Jésus sort vainqueur absolu de ce duel contre Satan. Il ne montre aucun signe de faiblesse dans cet épisode. En toute chose, en tout point, il s’est montré digne Fils de son Père éternel.
Où est notre force ? Constance et persévérance
Et nous, mes amis ? Qu’est-ce qui nous permet de tenir bon, de nous comporter en tout, toujours et partout, comme des ministres de Dieu ? Quelle vertu le Christ nous montre-t-il dans le désert ? C’est la vertu de force. Mais plus précisément, ce sont deux vertus, à l’intérieur de la vertu de force : la constance et la persévérance. Deux vertus, qu’il nous faut bien connaître afin de pouvoir les obtenir, les conserver et les augmenter en nous. Elles sont complémentaires et agissent en même temps, l’une vers l’intérieur, l’autre vers l’extérieur. La constance aide à surmonter tout obstacle extérieur à nous quel qu’il soit, petit ou grand. La persévérance nous aide en même temps intérieurement à tenir et à poursuivre le bien dans la durée. Si je suis constant, je ne me laisse pas désarçonner dans ma vie quotidienne par les difficultés et les soucis extérieurs : égalité d’humeur, égalité de caractère, égalité de comportement, égalité de sentiments, égalité de joie, etc. On dit d’un homme constant que rien ne semble jamais l’atteindre. Mais attention, la constance ne suffit pas. Il faudra recommencer demain matin, puis le surlendemain, et ainsi de suite, jusqu’à la mort. Cette capacité, ce dynamisme intérieur pour reprendre le métier à tisser tous les jours, c’est la persévérance qui l’assure. Constance et persévérance sont des parties de la vertu de force, qui nous donne l’assurance pour surmonter les obstacles. Mais ces deux vertus magnifiques précisent l’objet de la force : l’obstacle quotidien (constance) et la durée dans le temps (persévérance).
Le carême : être constant et persévérant – ni mou, ni entêté
L’exhortation de saint Paul aujourd’hui est en faveur de la constance et de la persévérance. C’est la marque du chrétien, du fidèle saint. Le carême est le temps particulièrement choisi pour exercer ces vertus. Pour avancer dans le bien, vers le but qu’est Dieu, en toute sécurité et à grands pas, le saint doit avancer constamment quels que soient ses changements d’humeur, de caractère, de comportement, ses changements physiques et psychologiques aussi. Il doit triompher chaque jour des obstacles qui viennent du monde et du démon.
Au contraire, l’homme pécheur tombera toujours dans l’un des deux vices extrêmes au milieu desquels se tient la vertu : par défaut, le vice de l’inconstance ; par excès celui de l’opiniâtreté. L’inconstance nous fait abandonner sans motif raisonnable la poursuite d’un bien. Si nous ne commençons jamais à agir, si nous n’osons jamais choisir, nous sommes inconstants au sens propre. Parfois, nous avons commencé à agir, nous avons pris une bonne résolution, lancé un projet ; mais dès les premières difficultés, nous avons abandonné. Alors on parle de mollesse. Si Jésus avait été inconstant ou mou, il aurait succombé à la tentation de transformer les pierres du désert en pain, et même, il n’aurait jamais réussi à jeûner quarante jours.
Par excès, nous guette le vice de l’opiniâtreté, qui porte l’homme à rester attaché plus que de raison à sa manière de voir ou d’agir. On l’appelle souvent l’entêtement. C’est celui qui persévère dans un projet idiot malgré les corrections que lui apportent ses proches ou les contrariétés. L’entêté est aussi celui qui prend une résolution difficile et s’acharne à la tenir en concentrant toute son attention dessus, ne s’apercevant pas qu’en même temps il manque de charité, de délicatesse, de douceur, de patience et bien souvent d’humilité envers d’autres ou envers lui-même. Si Jésus avait été opiniâtre, il aurait tenu tête au démon en discutant sans fin avec lui, en s’agaçant, en perdant la paix intérieure… Il serait au bout du compte tombé dans l’orgueil le plus total, en pensant certainement avoir bien agi.
Où trouver cet équilibre ?
L’homme persévérant et constant se tient parfaitement au milieu de ces deux excès de mollesse et d’entêtement. Comment trouver cet équilibre dans nos vies quotidiennes, particulièrement dans le Carême ? Il y a plusieurs choses à faire :
D’abord, prier Dieu dans le silence de notre chambre : c’est là, à genoux devant le maître, que nous pouvons entendre sa volonté, son désir à lui, les résolutions, les projets qu’il aimerait nous voir mener avec délicatesse et humilité.
Puis, il faut prévoir les obstacles et fortifier son âme à l’avance. Il faut réfléchir avant d’agir, et trouver d’avance des remèdes aux tentations qui ne manqueront pas d’arriver. Il faut aussi laisser notre imagination à sa juste place : les difficultés qu’elle envisage sont souvent exagérées. Dans la réalité, les difficultés ne se présentent jamais ensemble, mais l’une après l’autre, même si elles volent parfois en escadrilles. On pourra donc dans la réalité les affronter paisiblement une par une. Ne laissez pas votre imagination courir, mes frères, elle empêche votre volonté d’agir !
Pour conserver l’humilité enfin, il est fondamental de demander conseil, et de demander pardon à ses proches et à Dieu à chaque fois que l’on s’est laissé aller à la mollesse ou à l’entêtement.
Si nous pratiquons cela, si nous posons des actes avec méthode, alors nous serons meilleurs ministres du Christ dans quarante jours. Notre vertu sera remarquée des hommes, et parce qu’elle sera pétrie dans l’humilité, elle les tournera vers Dieu. Laissons saint Bernard conclure : « la persévérance, c’est la plénitude des forces, le couronnement des vertus, la racine du mérite, la source de la récompense. »
Références[+]
↑1 | NDLR : en réalité, pour saint Thomas d’Aquin et pour toute la tradition de l’Église le Christ, puisque la cime de son âme est dans la vision béatifique, ne pouvait avoir la foi, qui est inhérente à la condition de ceux qui sont encore en chemin vers la béatitude. Cf. Somme Théologique, IIIa Pars, q. 7, a. 3. |
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