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Les écrans : menace pour la liberté et la vie privée

Il n’y a qu’un problème. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour[1]Antoine de Saint-Exupéry, Lettre au Général X..

L’avalanche virtuelle provoquée par les écrans nous submerge et semble près d’anéantir toute vie sociale et spirituelle. Et pourtant qui peut prétendre se passer totalement des écrans ? La solution est sans doute à chercher dans une approche à la fois résolue et raisonnée. Xavier Lanne exerce une activité professionnelle dans la cyberdéfense, il a également travaillé dans le domaine de l’intelligence artificielle : il nous propose ici une réflexion et des solutions concrètes pour un usage raisonné du numérique. Il publie en ce moment chez Téqui L’intimité assiégée – Revoir nos pratiques numériques à l’heure du transhumanisme et de l’Intelligence Artificielle.

 

Connaître le caractère addictif du numérique ne suffit pas à s’en protéger

Comme l’affirmait Tim Kendall, ancien directeur de la monétisation chez Facebook et ancien président de Pinterest, connaître le caractère addictif du numérique ne suffit pas à s’en protéger. « Je travaillais sur ces outils très addictifs, témoigne-t-il, et le soir quand je rentrais chez moi, je tombais dans mon propre piège. Pourtant, j’avais des enfants qui méritaient tout mon amour…[2]Netflix, Derrière nos écrans de fumée, 2020. » Il ne suffit pas de connaître les dangers liés aux outils numériques ; on en triomphe efficacement en acquérant des habitudes appropriées.

Notre série d’articles ne cherche pas seulement à soulever des problèmes ou à donner des solutions d’ordre général. Le but est de proposer des solutions concrètes, pour la vie de tous les jours, afin d’acquérir une liberté intérieure face aux dangers que peut présenter la technologie. Comme l’outil ne peut par lui-même nous aider, un usage raisonné permettrait de se tracer à soi-même des limites au quotidien, dans chaque situation.

Il n’existe pas de solution facile qui nous dispenserait d’une ascèse éclairée. Nous essaierons ici de proposer une vision humaine et responsable de la technologie, ainsi que certains moyens concrets qui permettent d’incarner les principes moraux auxquels nous sommes attachés.

Écrans : une menace pour la liberté et la vie privée

Plusieurs problèmes peuvent être évoqués quand nous parlons des technologies numériques aujourd’hui.

 

D’abord, les mécanismes addictifs intrinsèques à certains outils enferment beaucoup de personnes dans un environnement virtuel. Ainsi, il peut arriver que nous utilisions le smartphone ou l’ordinateur par impulsion plus qu’un exercice de la raison. De la même manière, les messages que nous écrivons sont moins le fruit d’une réflexion qu’une réaction émotionnelle face aux notifications émises par l’appareil. Notre comportement, et au bout du compte notre état d’esprit, épouse le rythme des notifications et se calque sur le modèle fourni par les outils numériques. Lionel Dricot témoigne ainsi, après avoir pris de la distance avec le réseau social Twitter, que sa pensée était déformée par le fonctionnement même du site : « j’ai réalisé avec effroi que je pensais en threads[3]Twitter imposant une limite de quelques centaines de caractère par Tweet, la seule manière de développer l’idée est de répartir la réponse sur plusieurs tweet. Le premier tweet sera par … Continue readingTwitter. Mon esprit était en train de diviser mon idée en blocs de 280 caractères. »[4]Lionel Dricot (Ploum), Email, mon amour !, 30 juin 2020.

Ensuite, les techniques de captage de l’attention, visant à retenir les utilisateurs le plus longtemps possible sur les plateformes, ont changé notre manière de prendre connaissance des réalités de ce monde. Ainsi, on regarde la météo sur son téléphone plutôt que d’observer le ciel, ou d’étendre son bras par la fenêtre pour connaître la température extérieure. Les rumeurs infondées sur les réseaux sociaux sont plus « virales » que la vérité… L’internet – et les réseaux sociaux en particulier – sont le terrain par excellence de la propagation de la post-vérité.

Enfin, les technologies intrusives portent atteinte à la vie privée, pourtant nécessaire à l’homme. L’être humain a besoin de vie privée pour s’épanouir pleinement, affirmer son individualité, grandir paisiblement et être heureux. Ce sentiment de liberté qui nous pousse à devenir nous-mêmes est ainsi réduit par la crainte omniprésente de l’espionnage des technologies. 

Comment réagir face aux dangers du numérique

Dès 2002, l’Église catholique avait signalé ces dangers dans le texte « Éthique en Internet »[5]« La diffusion d’Internet soulève également un certain nombre de questions éthiques relatives à des thèmes comme la protection de la vie privée, la sécurité et la confidentialité des … Continue reading. Depuis, les technologies ont beaucoup évolué, et nous commençons à avoir un certain recul pour discerner les problèmes auxquels nous devons faire face. Cependant, ces outils sont devenus omniprésents.

Il n’est pas juste de considérer les technologies en elles-mêmes comme mauvaises. Elles ne doivent pas être abandonnées par principe. En revanche, leur utilisation peut donner lieu à toutes sortes d’excès. Car si notre nouvel univers contient une part de virtualité, cela n’efface en rien le bien et le mal réels des actes posés au moyen de ces systèmes numériques. Dès lors, il importe de réfléchir à un usage de ces outils qui soit conforme à la raison. Dit autrement : nous chercherons à faire émerger une forme de « bon sens numérique ».

Si l’intelligence et la volonté sont l’image de Dieu en l’homme, ne pas les honorer rabaisserait les échanges humains à un niveau animal. Au contraire, comme le rappellent les auteurs Roy Baumeister et John Tierny dans leur livre Le pouvoir de la volonté[6]Roy F. Baumeister, John Tierney, Le pouvoir de la volonté, Paris, Flammarion, 2017., la volonté est une faculté qui s’entraîne et s’aiguise à force de pratique. De même, les vertus se cultivent avec des choix répétés d’actions simples dans le but d’agir toujours mieux. À force de répéter ces bonnes actions, ce sont des habitus qui s’installent et qui portent toutes les dimensions de l’individu à être meilleur et lui permettent d’en retenir une certaine satisfaction, qui contribue à son bonheur.

Il semble tout à fait possible de s’arracher du système anxiogène des réseaux sociaux et des messageries instantanées pour apprendre à utiliser ces outils comme tels. En prenant le temps d’adopter des comportements vertueux, nous élevons tous les aspects de nos vies vers le bien et un vrai bonheur.

Dans les prochains articles de cette série, nous proposerons un certain nombre de solutions concrètes et pratiques pour éviter de tomber dans les pièges du monde numérique.

Références

Références
1 Antoine de Saint-Exupéry, Lettre au Général X.
2 Netflix, Derrière nos écrans de fumée, 2020.
3 Twitter imposant une limite de quelques centaines de caractère par Tweet, la seule manière de développer l’idée est de répartir la réponse sur plusieurs tweet. Le premier tweet sera par exemple noté « 1/10 », les tweets suivant se répondront en les notant successivement « 2/10 », « 3/10 », etc.
4 Lionel Dricot (Ploum), Email, mon amour !, 30 juin 2020.
5 « La diffusion d’Internet soulève également un certain nombre de questions éthiques relatives à des thèmes comme la protection de la vie privée, la sécurité et la confidentialité des informations, les droits d’auteur et la loi sur la propriété intellectuelle, la pornographie, les sites incitant à la haine, la diffusion de rumeurs et la diffamation sous couvert d’informations, et bien d’autres encore. »

https://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/pccs/documents/rc_pc_pccs_doc_20020228_ethics-internet_fr.html

6 Roy F. Baumeister, John Tierney, Le pouvoir de la volonté, Paris, Flammarion, 2017.
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