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Les trois tentations du Christ

Le mont de la tentation
En ce dimanche, le début du Carême évoque le début de la vie publique de Jésus, mais aussi, subtilement, le début de l’histoire de l’humanité. Tout homme est affronté à l’épreuve de la tentation, et à la traversée du désert, ce dont Jésus a voulu faire lui-même l’expérience.

Jésus va au désert, là où Adam et Eve ont été chassés pour avoir écouté le serpent. À son tour il va entendre le diable, qui apparaît ici, pour la première fois dans l’Évangile, comme il était apparu la première fois dans la Genèse. Saint Ambroise souligne qu’« il faut se souvenir comment le premier Adam fut chassé du Paradis dans le désert, pour remarquer comment le second Adam [le Christ] revint du désert au paradis »[1]Saint Ambroise, Commentaire sur Luc 4,7.. Et Jésus retrouvera la tentation à l’autre bout du Carême, car elle reviendra à l’agonie, dans le Jardin des Oliviers, qui n’est pas sans évoquer, lui aussi, le Jardin d’Éden.

Conduit par l’Esprit

On lit en Mt 4,1 : « Alors Jésus fut conduit en haut dans le désert par l’Esprit, pour être tenté par le diable ». Qui est cet Esprit qui conduit Jésus ? Pour saint Grégoire le Grand : « Il en est qui se demandent par quel esprit Jésus fut conduit au désert, à cause de ce qui suit dans le texte : “Le diable le transporta dans la cité sainte” (Mt 4,5), et encore : “Il le transporta sur une très haute montagne” (Mt 4,8). Mais en vérité, et sans hésitation possible, on doit en bonne logique accepter de croire que Jésus fut conduit au désert par l’Esprit-Saint, en sorte que son propre Esprit le conduisît là où devait le trouver l’esprit malin pour le tenter »[2]Saint Grégoire le Grand, Homélies sur les Évangiles, 16,1.. Jésus et son Esprit sont un seul Dieu. L’Esprit est l’amour mutuel du Père et du Fils. C’est cet esprit d’amour pour son Père et pour nous qui anime Jésus et le conduit au combat. Ainsi, librement, consciemment, volontairement, Jésus part affronter le tentateur, pour démasquer ses ruses et nous montrer comment en triompher. C’est bien l’Amour (ou l’Esprit) qui pousse Jésus à cet affrontement.

La tactique du diable

De manière exemplaire, Jésus est soumis à trois épreuves, dans une logique exhaustive et progressive. Selon saint Thomas d’Aquin, « dans les trois tentations, il y a eu la matière de tous les péchés (…) le plaisir de la chair, l’espoir de la gloire, et la soif du pouvoir »[3]Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa Pars, q. 41, a. 4, ad 4m..  

Satan ne propose pas directement le mal, ce serait trop grossier. Il prétend proposer ce qu’il y a de meilleur. Et aussi ce qu’il y a de plus concret, le pouvoir et le pain. Dostoïevski résumait les trois tentations en trois mots : le pain, le pouvoir, la paix[4]Retrouvez ici le commentaire de cet évangile par l’abbé Jean de Massia, à partir des Frères Karamazov de Dostoïevski. On les retrouve dans le procès de Jésus, pour montrer qu’il en est vainqueur : la foule a toujours pour motivation première le pain ; le Sanhédrin veut le pouvoir ; et Pilate veut la paix.

Et, comme le montre encore saint Thomas, il y a une progression dans la tactique du diable, car il « s’efforce d’amener d’un péché à un autre »[5]Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa Pars, q. 41, a. 4, ad 3m. : du désir de la nourriture à celui de la gloire, et du désir de la gloire au désir de tenter Dieu. C’était déjà la tactique pour le Péché Originel : d’abord un désir anodin de nourriture (manger le fruit défendu) mais motivé par un désir de gloire (l’ouverture des yeux) et cela débouchant sur l’orgueil suprême qui consiste à se faire son propre dieu.

Il y a ici un avertissement à destination des personnes qui se pensent spirituelles, si elles commencent à négliger la fidélité dans les petites choses. Or, plus on est saint, plus on est éprouvé, comme le soulignait saint Hilaire en écrivant : « les tentations du diable s’acharnent surtout contre les sanctifiés »[6]Saint Hilaire, Commentaire sur Matthieu 3,1.. Le danger, c’est que si on consacre chaque jour du temps à la prière, et qu’on s’applique généreusement aux œuvres de charité, on peut penser que les efforts de mortification sont secondaires, voire qu’ils relèvent du scrupule. Mais c’est souvent par-là que le tentateur insinue son poison. Saint Philippe Néri l’avait bien noté : « celui qui s’applique à satisfaire sa gourmandise ne sera jamais un saint ». Car l’homme ne vit pas seulement de pain, mais d’abord de la Parole de Dieu. On voit que Jésus n’a pas cédé, même pour une aussi petite chose qu’un morceau de pain.

Bataille de citations

Il y a un détail étonnant à première vue : les trois citations de l’Ancien Testament faites par Jésus, en réponse au diable, viennent du Deutéronome mais suivent l’ordre inverse du texte : Dt 8,3 ; puis 6,16 ; puis 6,13. Mais en réalité, chaque référence correspond à un événement de l’Exode, dans l’ordre exact.

– Dt 8,3 = Ex 16 = la manne ;

– Dt 6,16 = Ex 17 = l’eau ;

– Dt 6,13 = Ex 32 = le veau d’or ;

On comprend par là qu’à travers les trois tentations Jésus, nouveau Moïse, revit trois des épreuves principales du peuple au désert : le manque de pain, le manque d’eau, et le manque d’un dieu visible et proche.

On observe aussi qu’il n’a pas répondu au diable par des actes de puissance, mais par des citations de l’Écriture sainte. Là encore il s’agit d’un acte de réparation, car le premier exégète de l’Histoire fut le serpent, avec les conséquences que l’on sait sur Adam et Eve, et donc sur notre condition humaine. Origène a souligné que le serpent est vraiment le prototype de tous ceux qui interprètent abusivement l’Écriture, car il pratique la citation tronquée. En effet, le diable dit à Jésus que les anges le porteront, de peur qu’il ne heurte son pied contre la pierre. Mais il se garde bien de citer la suite de ce verset, où on peut lire : « tu marcheras sur l’aspic et sur le basilic  ; et tu fouleras aux pieds le lion et le dragon » – donc le diable. Antidote au démon, la liturgie nous propose justement, dans le trait de la messe du premier dimanche du Carême, l’intégralité de ce psaume 90.

En ce début de Carême, pour lutter contre les tentations, même bénignes, et pour tenir nos résolutions, même les plus modestes, unissons donc la force de la prière et la puissance de l’Écriture, spécialement par la méditation des psaumes.

Références

Références
1 Saint Ambroise, Commentaire sur Luc 4,7.
2 Saint Grégoire le Grand, Homélies sur les Évangiles, 16,1.
3 Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa Pars, q. 41, a. 4, ad 4m.
4 Retrouvez ici le commentaire de cet évangile par l’abbé Jean de Massia, à partir des Frères Karamazov de Dostoïevski
5 Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIIa Pars, q. 41, a. 4, ad 3m.
6 Saint Hilaire, Commentaire sur Matthieu 3,1.
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