“ça ne tombe jamais au bon moment !”
Qui peut se vanter de ne jamais avoir eu de problème de serrure, ou perdu ses clefs ? Et surtout, de ne jamais avoir manqué de patience alors que le serrurier est indisponible, pris par des urgences qui mettent en péril l’emploi du temps bien rodé de la journée ? Pas de panique : il y a au Ciel un saint spécialisé dans les serrures, saint qui pourra nous aider à tirer le meilleur même de ces événements contraires.
Vous savez déjà que l’apôtre saint Pierre est le gardien des clefs du Paradis : c’est lui qui en ouvre et ferme les portes aux âmes, selon les paroles d’envoi en mission du Christ : « je te confierai les clefs du Royaume : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les Cieux »[1]Mt 16, 19. À côté du grand saint Pierre, il y a un petit saint au nom obscur, qui était serrurier au Moyen-Age : saint Galmier (en latin Baldomer).
Le serrurier de Lyon
Saint Baldomer est né en France, dans le département de la Loire, le pays du Forez, à la fin du VIe ou au début du VIIe siècle de notre ère. Son prénom, Baldomer, ou Galmier, est une déformation du germain Waldemar.
Ayant développé ses talents manuels, il partit s’installer dans la région lyonnaise pour y travailler en tant que serrurier. Sa conscience professionnelle était animée par sa foi : par son travail, il entendait louer Dieu, le servir et l’aimer, et aider son prochain dans les difficultés qu’entraînaient déjà les problèmes de serrures. Ce petit artisan indépendant ne voulait pas faire fortune : au contraire, plutôt que d’amasser des biens à mettre sous clefs, il préférait dépenser son argent en aumône, et était connu et aimé des pauvres gens du quartier. Près de saint Baldomer, on était sûr de trouver une aide précieuse, un conseil, voire un repas pour les plus nécessiteux.
« Toujours grâces à Dieu ! »
Il y avait cependant un prix à payer pour bénéficier des libéralités du généreux serrurier : il fallait, comme lui, rendre grâces à Dieu, « toujours grâces à Dieu ! » Baldomer encourageait ses proches à remercier Dieu à chaque instant, à tout prendre comme venant de sa bonté, tant les réussites que les échecs, les joies que les peines. Il avait compris l’enseignement de saint Paul, « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu »[2]Rm 8, 28, ce que sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face résuma quelques siècles plus tard : « tout est grâce » !
Et comme il était toujours prêt à aider, toujours d’une humeur joyeuse, les gens se laissaient toucher par sa bonne humeur, son humanité, sa foi : bref ils laissaient leurs cœurs s’ouvrir à la bonté de Dieu et répétaient à la suite du saint : « toujours grâces à Dieu ! »
La prière, source de son action
Si Baldomer pouvait mener ainsi de front vie professionnelle et actions charitables, c’est parce qu’il y avait une autre partie dans sa vie. En plus de la forge et de l’atelier, de l’aide aux démunis, il y avait en premier lieu une vie de foi et de prière intense. C’est dans cette prière, ce contact quotidien avec Dieu, ce temps donné à son Créateur et Sauveur, qu’il puisait la force de faire le bien en toute chose, tant dans son devoir d’état que dans l’aide et l’assistance à apporter à autrui. Parce que la prière le décentrait de lui, pour le tourner vers Dieu, lui faire mieux voire sa volonté, qu’elle le poussait à chercher Dieu parmi ses semblables. Impossible de comprendre les saints sans passer par là ; impossible de marcher sur leurs traces sans donner à la prière la primauté, sans dire comme sainte Jeanne d’Arc « Messire Dieu premier servi » !
Pour nourrir sa prière, il avait pris l’habitude de lire la Bible : quelle meilleur source d’inspiration pour un chrétien que la vie de Notre Seigneur, telle que les Évangiles nous la rapportent, avec les éclairages des autres livres saints ? Connaître la parole de Dieu et la garder, la mettre en pratique : c’est la leçon que Baldomer appliquait au quotidien.
Sa prière était si recueillie, si contemplative, si régulière, qu’elle finit par attirer l’attention sur l’humble et pieux jeune homme. Vivence, père abbé du monastère de Saint-Just, à Lyon, entra un jours dans une église, et il y vit prier Baldomer. Le serrurier était vêtu très simplement, sans parure ni rien qui puisse attirer le regard, et à cette humilité d’apparence se joignait la ferveur de la prière confiante au bon Dieu. Vivence fut frappé de ce spectacle, de cette prière, et il résolut de le rencontrer personnellement. Quand ce dernier eut fini ses prières, le père abbé vint le trouver et le questionner. Au bout de quelques temps de discussion, Vivence fut convaincu qu’il avait devant lui un saint homme, une âme contemplative : il fallait tout faire pour que Baldomer aille plus avant dans le service de Dieu. Aussi lui proposa-t-il de revenir avec lui, et de s’installer au monastère de Saint-Just. Là, il pourrait profiter du rythme des offices tout en poursuivant son activité de serrurerie.
De serrurier à sous-diacre, et à prêtre… ?
Baldomer avait accepté de suivre Vivence. Il est vrai, au départ, l’idée de rejoindre le monastère lui paraissait incongrue : il s’estimait si peu digne d’être avec des religieux, si bas ! Son humilité l’empêchait de reconnaître les qualités et talents que le Bon Dieu lui avait donnés, en particulier pour la prière. Une fois sur place, il put mener une vie où la prière avait de fait la première place dans l’emploi du temps, et la serrurerie continuait de lui apporter des ressources tant pour lui que pour les pauvres.
Ce changement de lieu ne changea rien à son naturel : il se fit tout à tous, serviable, souriant, dans l’humilité et le silence, dans le recueillement et la proximité avec Dieu. Ces belles qualités, qui auraient dû le faire disparaître aux yeux des hommes, attirèrent au contraire les regards : après un père abbé, c’est un évêque qui remarqua l’excellence chrétienne de Baldomer. Monseigneur Gaudry, évêque de Lyon, fut si touché à la vue de tant de vertus, qu’il lui demanda de devenir sous-diacre. Pour l’évêque, c’était un premier pas vers le sacerdoce. Pour Baldomer, c’était une surprise : jamais il n’avait brigué l’honneur de la prêtrise, et comme au père abbé, il commença par refuser. Toutefois Monseigneur Gaudry était persuadé de son choix : il fit tant et si bien qu’il convainquit Baldomer, qui reçut effectivement l’ordre du sous-diaconat.
Il se contenta en revanche de cet échelon dans les ordres sacrés : il refusa toujours de devenir diacre puis prêtre : sa vocation n’était pas là, le Bon Dieu ne pouvait pas le considérer à ce point, lui le dernier des hommes ! Cette fois, il eut gain de cause : ni monseigneur Gaudry ni son successeur, Monseigneur Vivence, le père abbé qui l’avait repéré, ne revinrent à la charge. Et saint Baldomer put mener une vie chrétienne dans son office de sous-diacre, au service de Dieu, des prêtres et diacres, et au service de son prochain !
Mort, miracles et pèlerinages
Saint Baldomer rendit son âme à Dieu vers l’an 650. Sa réputation de sainteté s’était, malgré lui, étendue de plus en plus : tant il est vrai que les chrétiens sont « la lumière du monde » et « le sel de la terre », comme nous y exhorte le Christ dans le sermon sur la montagne[3]Mt 5, 13. Très vite, on vint en pèlerinage dans l’église de Saint-Just, les gens se recueillirent sur la tombe de ce simple artisan, de cet ami des pauvres, de cet humble travailleur et bourreau de prière, qui avait toujours un sourire et une oreille à donner à ceux qui étaient dans le besoin. Et des miracles se produisent en nombre, ce qui entretint les foules pèlerines jusqu’au XVIe siècle.
Ce qui fit tomber saint Baldomer dans l’oubli, c’est la Réforme protestante et les Guerres de religion qui s’ensuivirent. L’église Saint-Just fut détruite en 1562. Les reliques furent brûlées, détruites, dispersées : de saint Baldomer aujourd’hui, il ne reste qu’une partie, un bras, dans l’église de Saint-Galmier, en Lyonnais : c’est la paroisse natale de notre saint, qui prit son nom français par la suite.
La basilique Saint-Just a été reconstruite depuis lors, elle est desservie aujourd’hui par des prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre : n’hésitez pas à aller y invoquer saint Baldomer : bien que ses reliques ne soient plus là, cela ne l’empêchera pas d’être attentif à vos prières… surtout si vous avez des problèmes de serrures ou de clefs !