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Une imagination liturgique à l’œuvre : J.R.R. Tolkien (2/4)

Professeur de littérature anglaise à la Franciscan University de Steubenville après un doctorat à l’université de Notre Dame, le Dr. Ben Reinhard publie cette année un brillant essai The High Hallow, Tolkien’s Liturgical Imagination dans lequel il analyse l’œuvre de J.R.R. Tolkien sous le prisme de la liturgie, pour faire émerger une caractéristique spécifique de son imagination catholique. Nous remercions le Dr. Reinhard pour la série exclusive d’articles qu’il a bien voulu nous consacrer – une première en langue française.

Lire  la première partie de l’article (1/4)

L’imagination liturgique : tentatives de définition

Avant que nous n’essayions de comprendre comment l’imagination liturgique opère dans la vie et les œuvres de J. R. R. Tolkien, il sera cependant bon d’expliciter ce qu’est une imagination liturgique. L’expression est employée dans les œuvres de Philip Mairet et Conrad Pepler, deux contemporains et concitoyens de Tolkien. Mairet, helvéto-britannique, fermier, journaliste et psychologue, explora le concept d’imagination chrétienne dans Real Life is Meeting. Mairet fonde son étude de l’imagination sur une conception thomiste et plus large du terme. Pour lui, comme pour saint Thomas, l’imagination est un réservoir d’images – de « sensations éthérées » – qui forment la toile de fond de notre expérience quotidienne.[1]voir Real Life is Meeting, p53. Toutes les informations qui nous viennent des sens – tout ce que nous voyons, goûtons, entendons, sentons – y est conservé. Mais Mairet donne à l’imagination plus de poids que les études néo-scolastiques classiques : dans sa conception, l’imagination définit en grande partie ce que nous sommes capables de penser, désirer et créer. L’imagination peut même « contrôler une personne, qu’elle le sache ou non…

L’imagination pense ou désire pour nous, selon son mode propre, à chaque fois que nous cessons de penser ou de désirer consciemment. »[2]Ibid. En raison de son pouvoir créateur, Mairet observe qu’il est naturel que chaque religion cherche à former l’imagination de ses fidèles à travers « le culte public et le cérémonial » – le renouvellement liturgique de son mythe fondateur. Mais ce qui peut être dit de toute religion est particulièrement vrai du christianisme, puisque son « mythe sacré est… aussi une histoire réelle… puisque le drame de l’Évangile s’est réellement déroulé… il peut toucher l’esprit qui le reçoit à des degrés plus profonds et plus élevés de conscience que l’intellect, il peut influencer les niveaux auxquels nous rêvons. »[3]Real Life is Meeting, p54.

Mairet avance ainsi que l’imagination peut être façonnée jusqu’à recréer habituellement – et même inconsciemment – dans l’esprit des trames liturgiques. Dans les années qui suivirent, Conrad Pepler, religieux dominicain anglais et ami de Mairet, rendit explicite ce qui était implicite dans son œuvre. Pepler observe que les grandes œuvres créatrices du Moyen-Âge – par exemple Pierre le Laboureur[4]Piers Plowman, poème allégorique anglais classique, composé au XIVe siècle par William Langland. – étaient imaginativement orientées autour de l’autel. Une telle production artistique est selon Pepler un réflexe naturel d’une imagination façonnée liturgiquement.  « L’imagination chrétienne, quand elle est entraînée par la liturgie, permet alors à l’homme, à tout moment du jour, de replonger dans le culte habituel qui reflue de sa faculté corporelle intérieure toute orientée vers Dieu. »[5]Conrad Pepler, Sacramental Prayer (St. Louis, MO: Herder, 1959), 20 Il poursuit en établissant la nécessité de « renouveler l’imagination par ce qui relève de la gloire de Dieu » et note que sans cela, toute tentative de ré-évangélisation est condamnée à l’échec.[6]Ibid.

Peut-on parler d’imagination liturgique chez Tolkien ?

Quelle est la pertinence de cette analyse pour notre compréhension de Tolkien ? Même à un niveau superficiel, nous pouvons remarquer quelques analogies entre cette conception de l’imagination et ce que Tolkien nous dit de la genèse de sa propre mythologie : l’affirmation selon laquelle Le Seigneur des anneaux est « fondamentalement religieux et catholique », l’idée que toute sa « perception de beauté dans la majesté et la simplicité » était modelée par la figure de la bienheureuse Vierge Marie, ou l’aveu que « de bien plus grandes choses peuvent colorer l’esprit lorsqu’il traite des sujets inférieurs d’un conte de fées. »[7]Voir les Lettres de J. R. R. Tolkien, Lettres 142 et 213. À mon avis cependant, la meilleure et la plus claire appréhension de son processus créatif se trouve dans le fait que son histoire crût « comme une semence dans l’obscurité, dans le terreau de l’esprit : à partir de tout ce qui avait été vu, pensé ou lu, de ce qui avait été oublié depuis longtemps, en descendant en profondeur. »[8]Cité dans Humphrey Carpenter, Tolkien: A Biography (Boston: Houghton Mifflin, 1977), 126.

Références

Références
1 voir Real Life is Meeting, p53.
2, 6 Ibid.
3 Real Life is Meeting, p54.
4 Piers Plowman, poème allégorique anglais classique, composé au XIVe siècle par William Langland.
5 Conrad Pepler, Sacramental Prayer (St. Louis, MO: Herder, 1959), 20
7 Voir les Lettres de J. R. R. Tolkien, Lettres 142 et 213.
8 Cité dans Humphrey Carpenter, Tolkien: A Biography (Boston: Houghton Mifflin, 1977), 126.
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