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Un script pour Hollywood : la vie de sainte Thérèse

Sous le chaud soleil de Castille, une enfant marche d’un pas décidé, entraînant avec autorité son petit frère, qu’elle tient fermement par la main. Teresa de Ahumada, qui deviendra Thérèse de Jésus, carmélite d’Avila, sainte, docteur de l’Église et réformatrice, marche vers son destin.
 

Journaliste, femme de lettres, écrivant dans Marianne, Paris-Soir, contribuant à la fondation de Marie-Claire, on n’attendait pas Marcelle Auclair dans le genre hagiographique. Et pourtant c’est avec un brio incontestable qu’elle dresse en 1950, dans une œuvre qui a fait date, un magistral portrait de sainte Thérèse d’Avila, rien de moins que « la biographie parfaite », dira André Maurois.

 

Sept décennies plus tard, le style et le contenu du livre n’ont pas pris une ride : ils font pénétrer sans détour ni retard dans l’atmosphère si particulière de la vie de Teresa de Ahumada. Tenant tant du hidalgo que de l’ermite, la réformatrice du Carmel est une femme au caractère si trempé qu’elle ne laisse indifférent aucun de ses contemporains : il n’est pas jusqu’à la cour de Rome ou celle du roi d’Espagne, le pieux Philippe II, où ses aventures ne soient objet d’étonnement, d’admiration et de controverse. Le récit de Marcelle Auclair, littéraire et enlevé, fait suivre pas à pas les tribulations humaines et spirituelles de la jeune fille au tempérament de feu, de la castillane à la voix chaude et à l’humour pétillant, de la mystique et guide spirituelle profonde. Avis aux producteurs, réalisateurs et scénaristes : le script d’un long-métrage haletant est déjà prêt, il se déroule, plein de rebondissements et d’inattendu, coloré par une plongée dans le contexte de l’Espagne du siècle d’or, au long des nombreuses péripéties de la vie personnelle de la sainte, et de son œuvre de fondation et de réforme du carmel déchaussé.

 

Le défi était pourtant de taille : raconter la vie de Teresa de Ahumada, c’est aborder une personnalité aux facettes multiples et contrastées, qui se déploie dans deux directions au premier regard opposées – une vie intérieure sans cesse approfondie, jusqu’à la grâce insigne du mariage spirituel, et une activité extérieure débordante, changeant littéralement la physionomie spirituelle de la péninsule ibérique, et bientôt de l’Europe occidentale. L’unité de la grande Thérèse se retrouve finalement dans l’image qui demeure d’elle comme un héritage spirituel commun, légué à l’Église et à l’humanité, celle de la Madre – une véritable mère. C’est cette postérité si riche de la sainte d’Avila que voulut mettre en avant Paul VI lorsqu’il fit de la fondatrice la première femme docteur de l’Église. En effet, grâce aux instances répétées de ses directeurs spirituels, qui lui firent consigner par écrit le déroulé exact de sa vie et de son chemin spirituel, nous disposons aujourd’hui d’un matériau unique, une véritable plongée dans l’intériorité de l’une des plus grandes mystiques.

 

Le tour de force de Marcelle Auclair est ainsi de réussir à mêler dans son admirable biographie la tonalité de la Vie de la Madre et celle du Livre des fondations. La première est une œuvre au ton résolument spirituel, où elle s’efforce de retracer les étapes de son cheminement intérieur. Le Livre des fondations est au contraire le récit épique, presque picaresque, des tribulations de la réformatrice du Carmel, promenant ses premières filles de ville en ville dans des chariots bâchés, investissant de nuit des bâtiments à moitié abandonnés pour y implanter des couvents de déchaussées (on nommait ainsi les religieuses qui aspiraient à vivre à nouveau selon l’ancienne règle du Carmel, incluant parmi de nombreuses austérités le fait de ne porter que des sandales).

 

Le propos vivant et coloré de la biographie se rapproche très heureusement du propre style de sainte Thérèse, femme de lettres et de tête, qui mène ses œuvres comme ses affaires, d’une main de maître mais parfois selon un ordre propre à elle, suivant l’inspiration et la pensée du moment.

Il en résulte un récit aussi agréable que nourrissant au point de vue spirituel, une plongée historique dans les paradoxes du siècle d’or espagnol et une invitation à suivre la Madre sur le chemin de sainteté qu’elle indique résolument à ses filles et au monde. Le parfum de l’ensemble est comme biblique, et l’on ne peut s’empêcher en refermant le volume de penser à la parfaite illustration que cette vie fournit à la grande exaltation inspirée de la femme forte : « Qui peut trouver une femme forte ? Son prix l’emporte de loin sur celui des perles… »[1]Pr 31, 10-31.

Extrait (Marcelle Auclair, La vie de sainte Thérèse d’Avila, Paris, Seuil, 1960, p. 91).

Un jour de l’année 1553, en traversant l’oratoire, Teresa de Ahumada vit un buste, un Ecce Homo, qu’on venait d’y déposer. ‘Il représentait de si édifiante façon un Christ couvert de plaies que dès le premier regard je fus toute troublée du sentiment de ses souffrances pour nous. Mon cœur se brisa de remords en songeant à mon ingratitude pour ces plaies. Je me jetais à genoux devant lui, en larmes, et le suppliai de me fortifier une fois pour toutes, afin de ne plus l’offenser désormais.’

Il lui était souvent arrivé, après la communion, de s’imaginer être aux pieds de Jésus, comme Marie-Madeleine, et de pleurer, mais elle avait tôt fait d’oublier ces élans de repentir : ‘Il me manquait sans doute de mettre ma confiance tout entière en Sa Majesté, et de perdre celle que j’avais en moi-même.’ Cet Ecce Homo aux chairs grises, sur lequel s’étalent en rouge des blessures béantes, ou encroûtées, cette face ruisselante du sang qui jaillit sous la couronne d’épines, ce douloureux regard de verre, lui révélèrent ses limites : elle ne vit de recours qu’en Dieu, elle ne se relèverait point qu’il ne lui ait répondu.

Tel fut le premier tressaillement, Jésus, après avoir donné tant de coups de heurtoir en vain, pénètre ‘ce cœur dur’. Elle va découvrir que son amour ‘est au-dessus de toutes les jouissances de la terre, au-dessus de toutes les délices’.

 

 

 

Références

Références
1 Pr 31, 10-31
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