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Trisomique… et religieuse ?

Marie-Ange de Saint-Chamas, un destin particulier pour une vie remplie d’amour et de joie sous le regard de Dieu : Choisie pour l’éternité, le beau livre de Raphaëlle Simon aux éditions Artège, nous fait découvrir les petites sœurs Disciples de l’Agneau et nous introduit dans le regard d’amour porté par Dieu sur les plus humbles de ses enfants.

Un bébé particulier

Lorsque le septième enfant s’annonce chez les Saint-Chamas en novembre 1967, toute la famille accueille avec joie la petite dernière, prénommée Marie-Ange en souvenir d’une cousine religieuse, rappelée à Dieu quelques mois auparavant à l’âge de 29 ans.

Le beau bébé dort beaucoup… vraiment beaucoup, il semble à sa mère moins tonique que les précédents, elle pressent une différence. En fait la gynécologue avait repéré dès la naissance – mais pas avant – la trisomie de Marie-Ange. Elle n’avait rien dit, préférant informer d’abord son père, qui n’en parla pas tout de suite non plus. C’est finalement presque contraint que le docteur dut expliquer à sa mère pourquoi son bébé se nourrissait avec tant de difficulté.

C’est dire si la naissance d’un enfant trisomique était vécue comme un choc dans une famille pourtant profondément croyante, à peine dix ans après la grande découverte du professeur Lejeune. Les enfants et la marraine de Marie-Ange seront peu à peu informés, dans une grande discrétion.

La petite dernière grandit d’abord dans le cocon familial, entourée et protégée par les siens. Elle grandit doucement au milieu des nombreuses activités du couple formé par Marie-Françoise et Jean, tous deux très impliqués dans la vie associative et même politique. Les grands frères et sœurs quitteront un à un le nid, tandis que Marie-Ange s’affirme peu à peu comme dotée d’un caractère ouvert et conciliant, mais capable de terribles caprices, suivis d’attendrissantes réconciliations. Elle devient progressivement autonome pour les gestes de la vie, commence à maîtriser un vocabulaire de plus en plus riche. Ses parents n’ont pas attendu pour se mettre en relation avec le service du professeur Jérôme Lejeune à l’Hôpital des Enfants malades, où Marie-Ange est confiée aux soins de son bras droit, le docteur Marie-Odile Réthoré. Vers l’âge de 5 ans elle commence sa scolarité dans une petite école de quartier. Sa mère la confie aussi à une éducatrice originale, Jeanne Bour, qui a proposé d’elle-même ses services – « un peu la vielle dame, comme dans Babar, » diront les frères et sœurs. Avec celle-ci, Marie-Françoise de Saint-Chamas se préoccupe de la formation chrétienne de sa dernière, s’appuyant notamment sur les livres originaux de Noëlle Le Duc. Cette dernière, consacrée de l’Institut Notre-Dame-de-Vie, a élaboré un parcours de catéchèse relationnelle et biblique. Elle cherche à introduire progressivement les enfants dans le mystère de Dieu et dans une amitié personnelle, fidèle à la spiritualité carmélitaine de son fondateur, le père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus. Les petits sont ainsi mis en présence du Créateur et Sauveur, et apprennent à se tourner vers lui spontanément, par des actes de foi, d’espérance et de charité. Marie-Ange fait sa première communion à 8 ans, à l’été 1976. Cette première démarche de foi étonne certains proches et membres de la famille… Le cas de Marie-Ange pose déjà la question de la vie spirituelle des personnes handicapées, et ce n’est pas terminé.

« Elle est comme moi, elle ressemble à Bécassine »

Lorsque Marie-Ange grandit, ses parents se rendent compte que le milieu familial, si protecteur, doit être encore élargi afin de permettre à Marie-Ange de trouver d’autres stimulations pour progresser. Ils ont entendu parler d’un centre original fondé en 1957 à l’est de Paris par le père Henri Bissonnier, un prêtre ayant fait comme jeune séminariste l’expérience de la faiblesse et de la dépendance. La Glanée est une communauté de vie et d’épanouissement pour des personnes handicapées de 14 à 20 ans, dont les activités visent à favoriser l’autonomie, le développement intellectuel mais aussi la formation morale et spirituelle des jeunes filles accueillies. Lorsqu’elle y arrive pour la première fois, en 1981, et rencontre sa première compagne, Marie-Ange s’écrie : « Elle est comme moi, elle ressemble à Bécassine. » Cette réaction pleine de vie et spontanéité, bien typique de son caractère ouvert, nous montre le regard qu’elle portait sur son handicap. Elle appelait ainsi spontanément toute personne porteuse de la trisomie « une amie à moi. » Les éducateurs de la Glanée étaient en effet convaincus de la nécessité de ne pas faire de la maladie un tabou mais d’en parler spontanément et sans complexe avec les jeunes filles. Quelques années plus tard, au beau milieu d’un rassemblement de sa compagnie de guides versaillaises, Marie-Ange lâche à voix haute : « Je sais que je suis handicapée, mais je m’en fous ! »

À la Glanée Marie-Ange progresse à grands pas dans l’affirmation de sa personnalité comme dans le développement de son autonomie personnelle. Elle s’adapte bien à la vie communautaire et s’y épanouit très vite. Elle apprend à tempérer son fort caractère au contact de l’équipe d’éducateurs rassemblée par le père Bissonnier. Parfois mise au régime – à la soupe – à la Glanée au retour de périodes de réjouissances familiales, notre gourmande se renfrogne. Lorsque quelques mois plus tard on lui propose d’envoyer une carte postale de Dordogne à sa directrice, Marie-Ange ne choisit pas la photo d’un beau paysage mais… d’un bol de soupe.

La Glanée représente une nouvelle étape dans la vie spirituelle de Marie-Ange. Le père Bissonnier – convaincu de la présence du Christ dans toutes les âmes – s’y appuie sur la connaissance psychologique de la personne handicapée pour développer une catéchèse qui rejoigne les jeunes filles là où elles en sont, selon leurs modes propres de fonctionner, et leur faire connaître et vivre la Révélation comme une relation er personne à personne. La continuité est pleine avec la méthode de Noëlle Le Duc à laquelle sa mère l’avait initiée. Marie-Ange sera ainsi confirmée en 1983, à 15 ans.

« On verra ce que le bon Dieu veut… »

Les années à la Glanée ont vu Marie-Ange gagner beaucoup en autonomie. Elle y a pris de l’assurance, du sérieux, sans perdre sa joie de vivre, notent les rapports d’évolution périodiquement transmis à Jean  de Saint-Chamas. Elle s’y est fait de nombreuses amies. Les responsables du centre reprochent cependant une certaine omniprésence du cadre familial, jugeant qu’elle « manifeste des désirs trop conformes à ceux de ses parents. » Cette question va croiser celle du chemin vocationnel de Marie-Ange.

Parmi les amies de la Glanée, Véronique est de trois ans plus âgée qu’elle. Lorsqu’à vingt ans elle doit quitter le centre, sa décision est sans appel : « c’est religieuse que je veux être. » Véronique n’en démord pas, elle a reçu l’appel du Seigneur, elle l’a entendu parler dans son cœur : « viens et suis-moi. » Son chemin croise alors celui de Line Rondelot, celle qui deviendra mère Line, la fondatrice et première supérieure des petites sœurs Disciples de l’Agneau. Longtemps impliquée dans la catéchèse des personnes handicapées, celle-ci à l’intuition de la formation d’une communauté accueillant les plus petits. En 1985 Véronique, encouragée par le père Bissonnier, rejoint Buxeuil, le premier lieu d’implantation de la (toute) petite communauté.

Lorsque Marie-Ange approche de ses vingt ans, ses parents se posent la question de son avenir. Alors qu’ils semblent se décider pour un foyer établi dans le Vaucluse, l’intéressée se pose elle aussi la question du futur. Ayant vu ses frères et sœurs quitter successivement le nid, elle s’imaginait parfois déjà mariée. Ainsi, à sa mère, lors d’une promenade : « À quel âge peut-on se marier ? » Et de répondre aux prudentes conditions posées par Marie-Françoise : « On verra ce que le bon Dieu veut… »

Rien ne laisser toutefois présager la décision dont les Saint-Chamas font part à la fin de l’été 1987 à la Glanée : Marie-Ange rejoint la petite communauté de Buxeuil, autour de Mère Line et de Véronique.

Et la réaction n’est pas enthousiaste du côté des éducateurs : « nous n’avons jamais entendu évoquer son désir de vocation », elle ne serait « pas encore capable de choix… », « nous regrettons que cette décision de la vie de Marie-Ange se fasse sans elle. » Les responsables du centre craignent une décision imposée par des parents craignant de disparaître un jour sans avoir trouvé de point de chute pour leur petite fille handicapée. Le son de cloche n’est pas plus réjouissant du côté des frères et sœurs, qui ont l’impression de voir Jean et Marie-Françoise chercher à « caser » absolument la petite dernière. Face à ces nombreuses oppositions, son père répond posément mais fermement, d’autant plus convaincu que les premières impressions et mois de vie de communauté à Buxeuil sont une illumination pour Marie-Ange, qui a déclaré en posant ses valises : « Je reste ! »

Trisomique et religieuse

Le 22 août 1987, fête du Cœur Immaculé de Marie, Marie-Ange entre avec les petites sœurs Disciples de l’Agneau dans la troisième période de sa vie. Son épanouissement montrera bientôt aux siens qu’ils avaient tort de craindre une violence faite à son discernement : c’est de plain-pied que la petite dernière entre dans la vie religieuse et que sa vocation s’y approfondit. Ses frères et soeurs se rallieront peu à peu à la vocation de Marie-Ange, qui sait les conquérir par son légendaire humour. Lorsqu’on lui annonce une nouvelle naissance parmi les descendants du professeur Lejeune elle demande tout de go : “Ah, est-ce qu’elle est trisomique ?” Et lorsqu’on lui répond par la négative : “Dommage, elle ne pourra pas entrer dans la communauté…”

Car elle aussi a entendu l’appel du Seigneur. Revoyant Véronique alors qu’elle était encore pensionnaire à la Glanée, elle s’était faite questionner : « Est-ce que tu as entendu l’appel de Jésus ? Non. Alors ça ne peut pas marcher. » Mais Marie-Ange avait demandé : « Jésus, appelle-moi », « Parle, Seigneur, Marie-Ange écoute. » Et le Seigneur a parlé : « ça y est, il m’a appelée. »

À Buxeuil, puis au Blanc, où les sœurs iront plus tard s’installer au large et au vert, la vie spirituelle de Marie-Ange s’approfondit. Elle manifeste en particulier un grand amour pour la sainte Écriture, recopiant des pages et des pages dans ses carnets et apprenant par cœur les psaumes que chantent (très faux) les petites sœurs lors de leur office choral. La trouvant un jour en vacances occupée à copier la généalogie du Christ (au début de l’évangile de saint Matthieu), sa mère lui suggère de passer sur ces longues listes de noms biscornus : « mais Maman, c’est ma famille, mon histoire ! » Marie-Ange s’épanouit aussi dans l’adoration eucharistique : « je vais dans le tabernacle (sic) prier Jésus pour qu’il nous rassemble dans son amour, » écrit-elle.

En sa courte vie, dont la plus grande partie se déroulera finalement dans le giron du divin maître, Marie-Ange manifeste la prédilection de Dieu pour les plus petits, la beauté et grandeur d’âme des personnes handicapées, peu à peu reconnue par l’Église, conformément aux intuitions du professeur Lejeune :

C’est la faculté de former des concepts qui est atteinte dans leur intelligence, ce qui leur rend la communication difficile ; mais Dieu ne se communique pas par voie de concepts. La vie spirituelle, si on prend soin de l’éveiller et de la cultiver, leur est même plus accessible que bien d’autres activités.

« C’est le corps qui est handicapé, non le cœur ; l’âme n’est handicapée que par le péché ; les trisomiques sont capables d’une constance et d’une fidélité que d’autres n’ont pas » ajoute le généticien. « Ils sont transfigurés quand ils pénètrent dans une église » constate le docteur Réthoré.

Cette vocation si particulière sera peu à peu reconnue et accompagnée par l’Église : les archevêques de Tours puis de Bourges, les pères abbés et moines de Fontgombault (notamment don François de Feydeau, qui suit de près la communauté et aide à son installation au Blanc, près de l’abbaye). L’écho de cette petite voie se fait entendre jusqu’à Rome, où les dicastères commencent à prendre en compte le caractère propre de cette vie consacrée. Le pape Jean-Paul II, grand défenseur de la vie et de la fragilité, le confirmera à plusieurs reprises par la parole et par les actes. Lui qui avait rencontré une première fois Marie-Ange en lui donnant la sainte communion au Bourget, en 1980, la verra plus longuement en 1997 lors de son passage sur la tombe de son ami le professeur Lejeune. « Faut pas pleurer, » lui dira-t-il simplement alors que Marie-Ange ne peut retenir ses larmes au moment de lui transmettre un mot de la part de la communauté.

« Parce que j’étais petite, il a plu à Dieu de me choisir » chante l’Église dans l’office de la Sainte Vierge. Cette vocation d’humilité vécue profondément et jusqu’au bout par Marie-Ange, qui fait la spiritualité des petites sœurs Disciples de l’Agneau, montre la condescendance d’amour de notre Dieu pour ses enfants les plus faibles, ceux qui n’ont pas peur d’étaler leur simplicité et leur dépendance. À travers ces personnes handicapées, c’est sur nous-mêmes et notre vocation propre de chrétiens que nous en apprenons, grâce au destin de Marie-Ange et au magnifique livre de Raphaëlle Simon.

Pour aider les petites sœurs Disciples de l’Agneau

Le beau reportage de Marc Jeanson sur la vie de la communauté

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