Saint Romuald fait partie de ces saints qui ne sont pas nés saints mais le sont devenus, de ces hommes à notre mesure qui décidèrent un jour de prendre leur envol, de tout quitter et de suivre le Christ. Quel fut son parcours ?
Faux départ et vraie conversion
Il naquit vers 950 dans la ville de Ravenne, en Italie du nord. Issu de la famille ducale des Honesti, sa famille est catholique en apparence, mais ses parents semblent plus intéressés par les trésors terrestres que par ceux du Royaume des Cieux : ils donnent à Romuald une éducation molle, paresseuse, qui n’élève pas l’âme de cet enfant du Bon Dieu. Le jeune Romuald s’en rendait d’ailleurs compte : de temps en temps, pendant les parties de chasse, une nostalgie le prenait : il était fait pour autre chose, il voulait servir Dieu, faire enfin quelque chose de grand ! Mais ces idées restaient lettres mortes : pour agir, il aurait fallu changer tant de choses, renoncer à tant de facilité, et après tout, le monde n’est-il pas présent pour que nous en profitions ?
Ce qui fit la bascule dans le cœur de Romuald, c’est son père. Ou plutôt, un péché de son père. Un jour, pour régler un différend et s’assurer la pleine propriété d’un pré, Serge défia son opposant en duel, et le tua sous les yeux de Romuald, témoin forcé de la scène. Ce fut un choc terrible : le jeune homme de vingt ans ressentit toute l’injustice du comportement paternel, toute la malice de cette acquisition de terres au prix de la vie d’un homme, et résolu de partir quarante jours au monastère faire pénitence pour ce père oublieux de son âme. C’est ainsi qu’il se présenta au monastère bénédictin de saint Apollinaire, près de Ravenne.
Seconde conversion au monastère
En arrivant à Saint-Apollinaire, l’objectif de Romuald était clair : passer quarante jours à faire pénitence pour le péché de son père, ni plus, ni moins. Mais Dieu avait d’autre plans, et entendait utiliser ce mouvement de bonne volonté pour convertir tout de bon le jeune homme. C’est par l’intermédiaire d’un moine que se fit le travail : à force de prière et de conversation spirituelle, Romuald se laissa conquérir par la grâce, il donna libre cours à son désir de grandeur au service de Dieu : tant et si bien qu’à la fin des quarante jours, il demandait à devenir moine bénédictin.
Les moines de Saint-Apollinaire l’accueillirent avec joie, et il passa trois ans au milieux d’eux. Il avait le zèle des recommençants et des nouveaux convertis, il brûlait de servir Dieu jusque dans les moindres détails. Il était bien tombé : le monastère avait été réformé récemment par saint Mayeul de Cluny : s’y trouvait des moines remplis de bonne volonté. Toutefois, certains furent agacés par la fougue de Romuald, sa présence et son entrain devenaient pesants pour ceux dont l’élan était moins radical. Au bout de trois ans, saint Romuald demanda ainsi la permission de quitter le monastère pour rejoindre un ermite solitaire du nom de Marin. Le père abbé lui en donna l’autorisation.
L’apprentissage de la vie érémitique
Auprès de Marin, c’est une toute autre vie qui commence. Il y a certes des liens entre la vie d’un moine et celle d’un ermite : toutes deux sont un détachement radical du monde pour se donner à Dieu. Et il est vrai que les ermites sont les ancêtres des moines : les premiers anachorètes, retirés au désert comme saint Antoine, attirèrent autour d’eux des disciples, des gens voulant marcher sur leur traces, ce qui mena à l’établissement de communauté qui devinrent peu à peu, avec l’élaboration de règles pour gérer la vie commune, les premiers monastères de Lérins, Ligugé, et plus tard du Mont Cassin avec Saint Benoît.
Toutefois, la différence est grande entre ces deux styles de vie : alors que les moines cénobites vivent désormais en communauté, dévoués au service de Dieu dans la charité fraternelle et l’obéissance au père abbé, les ermites continuent de rechercher un isolement total, complet, pour pouvoir se livrer entièrement à la prière, à la pénitence, à la mortification. Ce qui ne les empêche pas de venir en aide aux personnes qui sollicitent leurs prières. Le moyen choisi par l’ermite est cependant d’être seul face à Dieu seul. C’est dans ce type de vie que Romuald s’engage alors. Et pendant trois ans, il suivra Marin, priera avec lui, jeûnera, veillera avec lui, déménagera de l’Italie au sud de la France et au nord de l’Espagne. Et puis un jour…
Retour à la vie monacale
Et puis un jour, Romuald quitte son maître. Il est appelé par Dieu à une nouvelle mission : de par sa connaissance vécue de l’ascétisme érémitique et de la vie communautaire, il est l’instrument idéal pour insuffler à l’ordre bénédictin un nouveau souffle de ferveur. Le voilà appelé dans un monastère, puis dans un autre, pour conseiller les communautés, édifier les moines par sa vie de foi, embraser leur zèle pour qu’ils avancent à pas de géant sur la route qui mène à Dieu. Bien malgré lui, Romuald se trouve sollicité de toute part : lui qui avait choisi la solitude d’un ermitage ! Mais c’est pour Dieu : alors il s’exécute, et répond aux sollicitations des divers monastères qui réclament son aide, en France, en Toscane, à Venise !
Obstacles et confiance en Dieu
Il est une personne que ce retour à la ferveur primitive dérange : c’est le diviseur, le prince de ce monde, Satan en personne. Lui qui prétend séparer les hommes de Dieu vit clairement la menace que représentait saint Romuald : à titre personnel Romuald était un ami de Dieu, il refusait donc de se soumettre à Satan ; à titre public : ses conseils, ses exemples, son humilité ne cessaient d’entraîner les âmes vers le Ciel, en les détachant de la terre, de tourner les cœurs vers les réalités qui demeurent alors que Satan tente de les hypnotiser avec celles de ce monde éphémère. Il fallait agir, décapiter cette rébellion : en bon stratège, Satan attaque le chef pour faire fuir les troupes.
La première salve de tentations fut une présentation de tous les biens, honneurs, plaisirs auxquels saint Romuald avait renoncés. Lui, fils de la famille ducale des Honesti, pourrait s’il le voulait avoir tant de biens, et à la place le voilà qui macère son corps, qui se prive de nourriture et de sommeil ; n’est-il pas en train de rater sa vie en poursuivant une chimère au prix de nombreux sacrifices inutiles ? Cette tentation a partie liée avec la troisième que subit Notre Seigneur au début de son ministère, quand le diable l’emmena sur une haute montagne et lui promit les richesses du monde s’il consentait à l’adorer. Prenant exemple sur son Sauveur, saint Romuald tint bon : il se confia entre les mains du Bon Dieu, convaincu avec raison que là où est présente la tentation, est présente aussi (et plus encore) la grâce divine pour lui résister ! Ce fut donc une victoire de l’humble saint sur l’orgueil et le mensonge de l’ange déchu.
Ce dernier ne se tint pas battu pour autant : changeant de stratégie, il mit au point une seconde vague d’assaut. Oubliée, l’évocation des biens matériels ; il s’agissait cette fois de tenter Romuald par la tristesse et la mélancolie. À quoi bon tout ces efforts ? Pécheur il était, pécheur il serait toujours, indigne de comparaître devant la divine majesté. Autant tout arrêter, laisser tomber cette vie : le tentateur voulait insinuer le découragement et le désespoir dans l’âme de son ennemi. Là encore, saint Romuald sortit vainqueur de cette lutte au long cours : non par ses seules forces, mais parce qu’il s’en remit toujours à Dieu !
En parallèle, les fruits de tant d’efforts mûrissaient à foison : toujours plus de moines revenaient au zèle de la vie religieuse, nombre de chrétiens mous et tièdes devenaient fervents ! Saint Romuald eut même la joie de voir son père Serge prendre enfin la vie chrétienne au sérieux : il quitta le monde et ses honneurs, et rejoignit un monastère pour y passer ses derniers jours.
Activités tout azimuts
La vie de saint Romuald était ponctuée d’activité tous azimuts : réformes de monastères, fondations de nouveaux, conseils auprès des puissants, tentatives de fuite dans des lieux déserts pour retrouver le calme et la solitude propices à la prière, puis le voilà nommé père abbé du monastère de Classe ! Il y restera deux ans, avant de remettre sa charge. En l’an 1005, il fonde un monastère au Val di Castro, qu’il quitte en faisant une étrange prophétie : c’est là qu’il achèverait ses jours, sans personne pour le voir mourir.
Parmi ses disciples et émules, certains sont devenus missionnaires : ils parcourent les terres d’Europe de l’est, pour convertir les populations encore rétives au christianisme. Les efforts sont concentrées sur l’actuelle Hongrie, où déjà certains missionnaires ont répandu leur sang pour la foi du Christ. Saint Romuald voudrait rejoindre ces âmes d’élites, il soupire après le martyre : mais il est trop demandé dans les divers monastères de l’Occident chrétien pour pouvoir poursuivre ce rêve. Comprenant que la volonté de Dieu est qu’il fasse du bien là où il est, il se résout à rester dans les terres chrétiennes et à laisser à d’autres la joie de l’évangélisation et la palme du martyre.
Le champ de monsieur Maldoli
Alors qu’il est déjà bien avancé en âge, Romuald se retire dans la chaîne des Apennins, à la recherche d’un lieu calme, d’une solitude. Arrivé dans un champ, il tombe de sommeil, et fait alors un rêve qui a encore des conséquences aujourd’hui. Il voit en effet une échelle, qui relie la terre au Ciel (on se souvient du songe de Jacob dans la Genèse). Autour de cette échelle, montent et descendent sans cesse des moines en prière, moines qui se font les ambassadeurs des hommes auprès de Dieu, et par les prières desquels les grâces divines pleuvent sur la terre. Un détail toutefois : ces moines ne sont pas habillés de noir, contrairement aux fils de saint Benoît : ils ont au contraire un habit blanc immaculé.
Revenant à lui, saint Romuald en est convaincu : c’est un signe de Dieu, les réformes qu’il a proposées toute sa vie durant sont l’occasion de la naissance d’un nouvel ordre religieux. Il faut agir ! Et Romuald d’aller trouver le propriétaire du lieu, Maldoli, d’acheter le champ pour y établir le premier monastère d’un nouvel ordre. Appuyés sur la règle de saint Benoît, les moines y mèneront une vie à mi-chemin entre le cénobitisme et l’érémitisme, sorte de synthèse de la vie de saint Romuald, du couvent à l’ermitage. Les pénitences et austérités y seront particulièrement élevées, pas tant par rejet de la matière que pour s’attacher au Bon Dieu. L’habit des religieux sera blanc. Quant au nom, que les émules de saint Romuald portent encore aujourd’hui, il sera celui du lieu du premier monastère : le champ de Maldoli, en italien “Campo Maldoli”, ce qui a donné l’ordre des religieux camaldules !
Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton maître
Nous arrivons enfin à l’année 1027. Romuald est âgé, sa vie éreintante est sur le point de s’achever. Il n’a eu de cesse, depuis la double conversion de sa jeunesse, de suivre le Christ et de le faire connaître à ceux qui l’entouraient, de prêcher d’abord par l’exemple puis par les conseils, de prier toujours et de ne jamais compter sur ses seules forces.
Sentant sa fin prochaine, il retourne au monastère de Val di Castro et là, un soir, alors qu’il a congédié les moines gardes-malades, il rend son âme à Dieu et entre en Paradis. Au vu de sa vie, nous pouvons supposer qu’il y entendit le Christ lui dire, comme au serviteur fidèle de l’Évangile et comme à nous, si nous suivons leurs exemples : « c’est bien, bon et fidèle serviteur : tu as été fidèle en peu de chose, je t’établirai sur beaucoup : entre dans la joie de ton maître ! » Saint Romuald a été canonisé par le pape Clément VIII en 1595.