Née au Danemark en 1882, Sigrid Undset revient vers la Norvège à l’âge de deux ans. Son père Ingwald est un jeune archéologue que sa profession amène à constamment voyager à travers l’Europe mais dont la santé nerveuse fragile vient précocement interrompre la brillante carrière. Sa proximité et le soin qu’il apporte à l’éducation de ses filles marque l’enfance de Sigrid, qui est rapidement attirée par l’archéologie. Sa disparition en 1893 est un choc brutal pour elle : son adolescence est peu heureuse, entre sa mère veuve et démunie et leur autoritaire gouvernante. Portée par l’attrait de la littérature et des arts, Sigrid est une jeune fille renfermée, que sa maîtresse refuse finalement de conduire jusqu’au bout des études. Poussée par la nécessité de subvenir à ses besoins, elle intègre un lycée professionnel puis devient employée de bureau, à 17 ans, pour la firme allemande AEG.
Une secrétaire qui se rêve écrivain
Durant dix ans, Sigrid mène une vie diurne de bureaucrate ordinaire, mais passe ses nuits à lire et écrire. Sa personnalité se construit alors : une jeune femme intelligente et cultivée, qui sait séduire lorsqu’il le faut. Elle perçoit pourtant le caractère éphémère de ses succès et ambitionne de retrouver le monde de l’art et de la recherche, que son père lui avait fait effleurer. À 23 ans elle soumet son premier manuscrit, un roman sur le Moyen-âge danois. L’éditeur Gyldenthal la rabroue sèchement : « ne vous lancez pas dans les romans historiques ; ce n’est pas votre truc. »
En 1907, elle profite d’une campagne des éditeurs norvégiens pour favoriser de jeunes auteurs pour proposer un nouvel essai, le journal désabusé d’un couple déchiré : Madame Martha Oulie. Défendu par un auteur reconnu, son manuscrit est accepté et rencontre auprès du public un succès immédiat : un écrivain est né.
Elle publie rapidement un recueil de nouvelles, dont le succès lui permet de se consacrer pleinement à l’écriture et de voyager en Europe : elle retourne ainsi au Danemark puis découvre l’Allemagne et l’Italie – Rome en particulier, où elle reste neuf mois.
Son œuvre s’étoffe rapidement, principalement orientée dans deux directions : des romans contemporains, dont elle considérera plus tard les premiers comme « licencieux » ; des romans historiques.
« Vacances romaines » et aventures sentimentales
Du côté personnel, Sigrid tombe amoureuse à Rome du peintre Anders Castus Svarstad et se retrouve engagée dans une liaison tumultueuse et difficile avec cet homme nettement plus âgé qu’elle, marié et déjà père de trois enfants. Les amants s’enfuient à Paris où ils vivent ensemble quelques temps, avant qu’elle ne s’éloigne déçue et reprenne le chemin d’Oslo, où elle rentre soigner sa sœur Signe. La liaison reprend pourtant avec Anders, dont elle obtient finalement le divorce et qu’elle épouse, enceinte en 1912. Elle accouche en 1913 à Rome d’un petit garçon. De retour à Oslo, elle reprend son rythme d’écriture soutenu, tout en cohabitant avec les trois enfants du premier lit de son mari, souvent absent et dont elle souffre bientôt de la désinvolture. Le couple s’effondre en 1918 et elle subit la vengeance des enfants d’Anders, qu’elle avait pourtant essayé d’intégrer à son foyer. Elle prend le large avec ses trois enfants : Anders, Charlotte et Hans. Ses romans de cette période sont emprunts des paradoxes de vie d’une femme moderne, dans les épreuves de l’existence, et des remords suscités par des expériences douloureuses. Souhaitant cependant mettre une certaine distance entre sa propre souffrance et la vie de ses héroïnes, elle entreprend de reconstituer celle d’une femme dans la Norvège catholique du XIVe siècle : Kristin Lavransdatter. Sa monumentale trilogie explore successivement les thèmes de l’amour (Partie I : La couronne), de la maternité (Partie II : La maîtresse de maison) et de la fidélité à Dieu dans l’épreuve (Partie III : La croix). Kristin est un brin de femme à la volonté de fer, à laquelle l’auteur finit par s’identifier, au terme des deux ans qu’elle consacre à la rédaction du roman, de 1920 à 1922. Elle est finalement touchée par sa propre héroïne, dont la spiritualité profondément chrétienne permet de surmonter les terribles épreuves de vie. À travers elle, c’est Sigrid qui est touchée par la grâce divine.
Crise spirituelle et conversion
Elle traverse alors une crise spirituelle profonde, après s’être accrochée à l’espoir de fonder une famille avec un digne époux, elle se retrouve à la tête d’un foyer de trois enfants dont le dernier est handicapé, avec un père alcoolique, tourmenté et immature. Déçue par les conseils des pasteurs protestants, elle découvre en 1920 l’œuvre apostolique des dominicains pour la Norvège. Elle y fait l’expérience d’une liberté chrétienne profonde qui lui semble apte à rendre l’énergie de ses ancêtres. Cette joie de survivre envers et contre tout est bien celle de Kristin. Entre 1924 et 1925, Sigrid se convertit finalement au catholicisme, religion largement minoritaire dans le pays, communauté de fidèles pauvres et déconsidérés mais dont elle apprécie la charité active. Sa conversion amène infailliblement son divorce.
Ayant retrouvé avec son héroïne la foi catholique de ses ancêtres, Sigrid a retrouvé la force et une raison de vivre : elle tient son foyer et continue son œuvre, qui se construit en une profonde cohérence. Après la trilogie de Kristin, elle se lance dans un cycle masculin avec Olav Audunssøn, qui paraît finalement en 1927. La préparation de son travail littéraire est l’occasion d’une étude en profondeur de la doctrine et de la théologie catholique. Notre auteur, qui se prépare à entrer dans le tiers-ordre de saint Dominique sous le nom de sœur Octave, aura même un débat animé avec le célèbre archevêque luthérien d’Uppsala Nathan Söderblom – futur prix Nobel lui aussi – sur les conceptions catholique et protestante des rapports entre la nature et la grâce. Sigrid y tient le haut du pavé, exposant et défendant avec brio la vision si bien équilibrée de saint Thomas d’Aquin. Elle multiplie dans le même temps les études et essais, didactiques ou polémiques, à visée apologétique. Profondément thomiste, elle développe une spiritualité intellectuelle mais très personnelle, attachée à redéfinir son idéal de vie en se conformant à la grâce divine.
Succès littéraire et action politique
Le jury Nobel lui fait enfin justice et récompense en 1928 son œuvre en pleine élaboration. L’argent du prix lui permet de créer deux fondations ayant pour but de venir en aide aux parents d’enfants atteints d’un handicap mental et pour soutenir la scolarisation des enfants pauvres dans les écoles catholiques.
Le succès littéraire est également au rendez-vous : Undset, qui continue à écrire abondamment, règne sur la littérature norvégienne en plein renouveau ; elle se fait de plus en plus connaître à l’étranger, bien que ses œuvres – malgré quelques traductions – demeurent encore confidentielles en France. Les années 1930 sont également celles de son opposition au national-socialisme, avant même l’importation de l’idéologie en Norvège par l’ancien ministre Vidkun Quisling. Ses écrits seront interdits et font l’objet d’autodafés. Le coup d’état de 1940, parallèle à l’invasion des ports norvégiens le 8 avril, plonge le pays dans l’occupation et la collaboration. Sigrid Undset sait alors qu’elle fait partie des premières cibles du nouveau régime, et suit sans illusion le mouvement d’exode vers la Suède, traversant les montagnes en traîneau puis à skis. Entrée en contact avec la résistance norvégienne de l’extérieur et le roi exilé en Angleterre, elle poursuit son exil vers l’est, traversant l’URSS puis le Pacifique, pour parvenir aux Etats-Unis en 1941. Elle entreprend depuis New-York une résistance médiatique active : grâce à sa maîtrise de l’anglais, auréolée du prestige du Nobel, l’écrivain fait connaître aux Américains sa patrie par des conférences, des émissions et des publications.
Hiver norvégien
De retour au pays après 1945 elle remet de l’ordre dans son domaine et ses affaires personnelles. Elle est décorée en 1949, année de son 65e anniversaire, de la plus haute distinction nationale, la Grand Croix de l’Ordre de Saint-Olaf. Affaiblie par la maladie, elle s’efforce de continuer à écrire, exprimant par les lettres la mystique profonde qui était devenue le cœur de sa vie : Catherine de Sienne est l’une de ses dernières œuvres. Elle meurt en 1949 à Lillehammer.