Dans la liturgie traditionnelle, on ne dit plus le mot « Alléluia » depuis la fin des 1res vêpres de la Septuagésime jusqu’à la Vigile Pascale. D’où vient cette tradition, appelée le “Clausum Alleluia” ?
Le silence du peuple exilé loin de sa patrie
Le martyrologe nous l’annonce : « Dimanche de la Septuagésime, où l’on dépose le Cantique du Seigneur qui est l’Alléluia ». L’Alléluia est par excellence le chant d’allégresse de l’Église et des chrétiens, une acclamation de louange et donc de joie. Un chant proprement “pascal”, qui accompagnera la victoire du Christ sur le démon et l’ouverture des portes du paradis. Or, comme le dit le psaume, « comment pourrions-nous chanter le cantique du Seigneur sur une terre étrangère[1]Ps 137, 4 ? »
Le temps de la Septuagésime a malheureusement disparu du nouveau calendrier. Plus qu’un “pré-carême”, ce temps revêt une signification toute particulière que nous avons exposée ici. Signalons simplement ici que la Septuagésime (70) évoque les 70 années d’exil du peuple hébreu, lors de la captivité babylonienne. Ce temps liturgique symbolise ainsi l’Église qui n’est pas du monde, qui est en marche vers sa vraie patrie, et le silence de l’Alléluia pendant cette période nous rappelle que « nous sommes des exilés, qui pleurent et qui gémissent dans cette vallée de larmes » (Salve Regina)[2]Source : https://www.introibo.fr/La-Septuagesime.
Un silence magnifié par la liturgie
À la fin des premières vêpres de la Septuagésime, on fait l’adieu de l’Alléluia (Clausum Alleluia) : deux chantres chantent en conclusion de ces vêpres, sur le ton de Pâques :
℣. Benedicamus Domino, alleluia, alleluia.
Et on y répond :
℟. Deo gratias, alleluia, alleluia.
Après ce renvoi, l’Alléluia disparaît de la liturgie jusqu’à Pâques.
- Au cours de la messe, il est remplacé par le Trait.
- Aux offices, l’Alléluia qui termine chaque Deus, in adjutorium est remplacé par Laus tibi, Domine, Rex æternæ gloriæ (Louange à toi, Seigneur, Roi d’éternelle gloire).
Il faudra attendre le Samedi Saint pour rompre ce silence : après le graduel de la messe de la Vigile Pascale, le prêtre chante trois Alléluia, sur un ton de plus en plus élevé, repris à chaque fois par les fidèles, comme pour inviter le peuple chrétien à se réjouir de la délivrance accomplie par la mort et la résurrection de Jésus.
Traditions populaires
La cérémonie liturgique du Clausum Alleluia a donné naissance à certaines traditions populaires originales et incarnées, comme celle de l’enterrement de l’Alléluia, durant laquelle on portait en procession, d’une manière solennelle, une représentation de l’Alléluia (le mot inscrit sur une planche ou un parchemin, voire parfois symbolisé par un mannequin dans un cercueil) pour le mettre en terre :
Quand, au XIe siècle, ce cri d’allégresse fut interdit à partir de ce jour, la piété chrétienne prit en affection l’acclamation joyeuse, comme elle eut fait d’une personne chère, dont elle eût éprouvé de la peine à se détacher. Au moyen âge, ce congé fut même dramatisé en bien des endroits. On alla jusqu’à coucher un mannequin, appelé Alléluia, sur une civière et à le porter en cortège à sa sépulture provisoire[3]Chanoine Robert Lesage, Cérémoniaire de Paris, 1952. »
Autre expression liturgique originale : “Fouetter l’Alléluia” :
Cette expression désignait autrefois une cérémonie qui se faisait aussi dans quelques diocèses, le samedi veille du dimanche de la Septuagésime. Un enfant de chœur lançait dans l’église une toupie autour de laquelle était écrit alléluia en lettres d’or, et, le fouet à la main, il la poussait le long du pavé, jusqu’à ce qu’elle fût tout à fait dehors. L’Église alors, comme une mère complaisante, faisait dans sa liturgie la part de la récréation des jeunes clercs[4]Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française P. Bertrand, 1842 (p. 33-34).
Références[+]
↑1 | Ps 137, 4 |
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↑2 | Source : https://www.introibo.fr/La-Septuagesime |
↑3 | Chanoine Robert Lesage, Cérémoniaire de Paris, 1952 |
↑4 | Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française P. Bertrand, 1842 (p. 33-34). |