Signe visible et efficace de la grâce, le sacrement rend accessible par la foi une réalité invisible : son rite doit donc témoigner visiblement, sans équivoque possible, de la foi de l’Église – qui ne saurait changer au gré de l’histoire des hommes ou des aspirations des peuples.
Tout sacrement est par essence signe de la foi de l’Église
Les rites sacramentels que l’Église fait utiliser à ses ministres et à ses fidèles ont une portée publique, en tant qu’expression officielle de sa foi. Ils ne sont pas choisis au hasard, ni faits pour être posés sans que soit prise en compte leur signification théologique. Le père Gaillard[1]J. Gaillard, osb, « Les sacrements de la foi », RT, 1959, 5-31 et 270-309. montre ainsi avec saint Thomas que « la foi entre dans la structure du sacrement ». Attention, il s’agit formellement non de la foi du sujet ni de celle du ministre mais de la foi de l’Église[2]Sur cette notion cf. Louis Villette, Foi et Sacrement, T. II, p. 56-72, et Gaillard, loc. cit. p. 21-23., qui est une réalité objective : l’objet divinement révélé, attesté et éventuellement explicité par le Magistère de l’Église selon ses diverses manifestations. Le Catéchisme de l’Église Catholique rappelle ainsi que l’huile (de la confirmation en particulier) est signe d’abondance et de joie[3]Catéchisme de l’Église Catholique, n°1293..
C’est donc objectivement, dans leur ratio elle-même, avant toute intervention du sujet ou du ministre, que les sacrements sont des protestations de la foi chrétienne. Il y a là une exigence de nature, de structure, dont la protestation en acte, dans la célébration ou l’usage du sacrement, ne sera que la conséquence normale : étant donné ce que sont les sacrements dans leur « raison objective », il est requis[4]Attention : « requis » pour l’usage du sacrement normal, légitime, conforme à la nature des choses ; pas nécessairement pour la validité. que celui qui en use ne le fasse qu’en exprimant par ces signes, en prolongeant extérieurement un acte intérieur de Foi.
Remarquons encore que cette raison objective est tout ce qu’il y a de plus essentiel, de plus primitif dans le sacrement, signum rei sanctificantis. L’efficacité ex opere operato, du point de vue de l’analyse conceptuelle, est un surcroît, une vertu surajoutée : c’est le mystère, propre à l’économie chrétienne, entre Pâques et le Retour du Seigneur, de la coopération de nos gestes sacrés avec la toute-puissance de Dieu. Mais il n’y a pas sacrement du tout s’il n’y a pas de signe, et tout signe doit se référer à un objet précis. Or l’objet de nos signes sacrés est exactement celui de notre foi. Il apparaît ainsi en toute évidence que le sacrement, dans son essence même, est tout entier défini et mesuré par la foi. Les sacrements chrétiens sont « les sacrements de la foi », en un sens, somme toute, aussi propre que les formules dogmatiques, les articles du Credo ne sont les formules de la Foi. Verbum fidei. Sacramentum, quasi visibile verbum.
Pour que la parole sacramentelle soit efficace, elle doit signifier l’effet que le Christ produit par le sacrement. Un rite de baptême qui ne mentionnerait pas dans ses paroles essentielles, distinctement, les trois personnes divines, serait invalide, c’est à dire inefficace.
Le lien entre la foi et les sacrements est tel que saint Thomas n’hésite pas à associer ces deux réalités comme constituantes de l’essence de l’Église : « Les Apôtres et leurs successeurs sont les vicaires de Dieu pour le gouvernement de cette Église qui est constituée par la foi et les sacrements de la foi[5]Somme théologique, IIIa, q64, a2 ad3… » Un commentaire autorisé de la somme théologique ajoute : « C’est dans la pratique des mêmes sacrements que les croyants s’unissent et se reconnaissent : c’est ainsi qu’ils professent leur foi d’une façon beaucoup plus expressive qu’en récitant le Credo. (L’administration du baptême, de la confirmation, de l’ordre et la célébration de la messe comportent d’ailleurs la récitation du Credo comme un rite accessoire). Le bon sens populaire en est d’accord, qui ne dit pas : cet homme est catholique, il croit tel ou tel dogme, mais tout simplement : cet homme va à la messe[6]Commentaire de la somme théologique, revue des jeunes, t53 Les Sacrements qq. 60-65, A.-M. Roguet, 1945.. »
Tout rite sacramentel exige d’être signe et protestation de la foi conformément à la nature humaine
L’homme, par sa manière de connaître, ne peut pas saisir directement les réalités surnaturelles, il ne les atteint que par le moyen de « choses » sensibles. Ainsi Dieu s’est révélé progressivement par ses patriarches, ses rois, ses prophètes et enfin par lui-même en la personne de son Fils qui s’est incarné.
Cela explique en quoi il est naturel et nécessaire à l’homme de professer sa foi en la Révélation, connue par le moyen de ces « intermédiaires » entre Dieu, pur esprit, et les hommes, par ces signes sensibles que sont par essence les sacrements et les rites qui les accompagnent.
L’abbé Quoëx dans sa thèse précise que selon saint Thomas : « c’est le régime de la foi au Christ, c’est-à-dire de la foi qui justifie, qui permet de rendre compte, après celle des sacrements antérieurs, de la nécessité des sacrements de l’Église qui découlent de la Passion rédemptrice: “De même que les anciens Pères ont été sauvés par la foi dans le Christ à venir, ainsi nous sauvons-nous par la foi au Christ dont la naissance et la Passion sont aujourd’hui chose réalisée[7]Somme théologique, IIIa, q61, a4. “.
Saint Thomas constate une nouvelle fois que le chrétien, vivant dans le temps, ne connaît pas directement les réalités surnaturelles, mais “per speculum et in aenigmate” (1Co 13, 12)[8]Cité dans III, 61, 4, a1m., les atteignant par la foi. Au régime de la foi correspond celui de ses signes sacramentels. Les sacrements sont en effet les signes sensibles qui, en permettant à l’homme d’atteindre les réalités spirituelles qu’ils signifient, attestent la foi surnaturelle par laquelle il est justifié[9]Extrait de la thèse de l’abbé Franck Quoëx : « Le rite et le royaume. Culte et histoire du salut selon Thomas d’Aquin », p159. »
Il n’est donc pas étonnant que la participation des fidèles où l’usage d’un rite sacramentel, qui n’est qu’explicitation de l’essence[10]C’est à dire du signe sensible composé de la matière et de la forme du sacrement, conditionnant sa validité. des sacrements, soit une protestation de la foi. Comme le souligne l’abbé Quoëx dans sa thèse[11]Extrait de la thèse « Le rite et le royaume » de Franck Quoëx : « La foi consiste en le “contact spirituel” par lequel l’âme est reliée à la vertu divine opérante dans la Passion[12]Voir Somme théologique, III, Q48, a 6, ad 2 : « Quoique corporelle, la passion du Christ est dotée cependant d’une puissance spirituelle en raison de la divinité qui se l’est unie. Aussi … Continue reading. C’est ce contact par la foi au Mystère rédempteur que les sacrements viennent permettre en représentant sensiblement les acta et passa Christi[13]Pour P.H. schillebeeckx, dans Le Christ, sacrement…, Op. cit. “C’est dans la profession de Foi sacramentelle que l’Église céleste peut faire d’un élément terrestre … Continue reading. Les sacrements sont donc les signes extérieurs de la foi qui, informée par la charité, justifie[14]Voir somme théologique, III, q49, a1, ad 5 Voir G. Berceville, dans Le sacerdoce du Christ dans le Commentaire de l’épître aux Hébreux, Op. cit. : “Lorsqu’elle considère … Continue reading. Foi et sacrements ne sauraient donc être séparés: c’est par la foi et les sacrements de la foi, signes rituels et efficaces de la foi intérieure, que le mystère du Christ est communiqué par le gouvernement et le ministère de l’Église – “dont la constitution, dit plus loin saint Thomas, est l’œuvre de la Foi et des sacrements de la foi[15]Somme théologique, III, q 64, a2, ad3. ”. »
Conclusion
Le témoignage de la foi fait donc partie de l’essence du sacrement, matière et forme sensibles devant signifier la foi objective de l’Église en la grâce reçue « ex opere operato[16]de par l’action opérée, à la position même de l’acte » (et au caractère éventuellement imprimé) ; ainsi l’ensemble des rites sacramentels sont par essence signes de sanctification, de salut, signes cultuel, et donc témoignages publics de la foi de l’Église.
Par conséquent, le témoignage de la foi doit constituer la finalité immanente à tout rite intégralement catholique, qui doit non seulement contenir ce qui est essentiel à la validité du sacrement, mais aussi expliciter de façon univoque par tous les rites liturgiques secondaires la foi de l’Église en les effets du sacrement administré, pour disposer ainsi les fidèles à recevoir dans les meilleurs dispositions le sacrement, et pour témoigner publiquement aux yeux et aux oreilles de tous de la foi de l’Église.
Références[+]
↑1 | J. Gaillard, osb, « Les sacrements de la foi », RT, 1959, 5-31 et 270-309. |
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↑2 | Sur cette notion cf. Louis Villette, Foi et Sacrement, T. II, p. 56-72, et Gaillard, loc. cit. p. 21-23. |
↑3 | Catéchisme de l’Église Catholique, n°1293. |
↑4 | Attention : « requis » pour l’usage du sacrement normal, légitime, conforme à la nature des choses ; pas nécessairement pour la validité. |
↑5 | Somme théologique, IIIa, q64, a2 ad3 |
↑6 | Commentaire de la somme théologique, revue des jeunes, t53 Les Sacrements qq. 60-65, A.-M. Roguet, 1945. |
↑7 | Somme théologique, IIIa, q61, a4. |
↑8 | Cité dans III, 61, 4, a1m. |
↑9 | Extrait de la thèse de l’abbé Franck Quoëx : « Le rite et le royaume. Culte et histoire du salut selon Thomas d’Aquin », p159 |
↑10 | C’est à dire du signe sensible composé de la matière et de la forme du sacrement, conditionnant sa validité. |
↑11 | Extrait de la thèse « Le rite et le royaume » de Franck Quoëx |
↑12 | Voir Somme théologique, III, Q48, a 6, ad 2 : « Quoique corporelle, la passion du Christ est dotée cependant d’une puissance spirituelle en raison de la divinité qui se l’est unie. Aussi obtient-elle son efficacité par un contact spirituel c’est-à-dire par la Foi et les sacrements de la Foi, selon la parole de S. Paul (Rm 3, 25) : “Dieu a destiné le Christ à servir de propitiation par la Foi en son sang.”». Voir aussi III,q 68, a8, ad1: “Dominus loquitur ibi de baptismo secundum quod perducit homines ad salutem secundum gratiam justificantem: quod quidem sine recta fide esse non potest”. Voir aussi In Hebr., 9, 14. |
↑13 | Pour P.H. schillebeeckx, dans Le Christ, sacrement…, Op. cit. “C’est dans la profession de Foi sacramentelle que l’Église céleste peut faire d’un élément terrestre ou d’un acte humain l’expression sacramentellement visible de son acte de salut céleste. En d’autres termes, c’est par la profession de Foi sacramentelle qu’un acte, de symbole humain, terrestre, devient le prolongement et la présence visible de l’acte de salut invisible du Christ céleste“ (p. 127). |
↑14 | Voir somme théologique, III, q49, a1, ad 5 Voir G. Berceville, dans Le sacerdoce du Christ dans le Commentaire de l’épître aux Hébreux, Op. cit. : “Lorsqu’elle considère l’effusion du sang, la Foi reconnaît le sang du Fils qui s’est incarné pour sauver les hommes, intercéder en leur faveur et les justifier. Le Sacrifice extérieur est ainsi cause du salut de l’homme, parce qu’il suscite en tant que signe l’acte intérieur de Foi. À travers ce qu’il donne à voir, il appelle à croire. L’homme s’en remet à Dieu en acceptant de passer de la considération du signe à la confession du signifié”. |
↑15 | Somme théologique, III, q 64, a2, ad3. |
↑16 | de par l’action opérée, à la position même de l’acte |