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Richesse de l’Évangile : le lavement des pieds

lavement des pieds, Hosios Loukas
Dans le calme du Cénacle, Jésus pose ce geste étonnant du lavement des pieds, signe de sa Passion future, signe de contradiction qu’il faut accepter avec amour – ou refuser dans la nuit.

 Jn 13, 2-5 : Au cours d’un repas, alors que déjà le diable avait mis au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, sachant que le Père lui avait tout remis entre les mains et qu’il était venu de Dieu et qu’il s’en allait vers Dieu, il se lève de table, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il s’en ceignit. Puis il met de l’eau dans un bassin et il commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.

 

Un geste de réconfort et d’humilité

            Ce geste est un geste d’hospitalité, bien connu des orientaux. C’est un réconfort qu’on offre aux voyageurs avant de se mettre à table. Ainsi avec Abraham :

Gn 18, 3-5 : Ayant levé les yeux, voilà qu'[Abraham] vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui ; dès qu’il les vit, il courut de l’entrée de la tente à leur rencontre et se prosterna à terre. Il dit : Monseigneur, je t’en prie, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, veuille ne pas passer près de ton serviteur sans t’arrêter. Qu’on apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds et vous vous étendrez sous l’arbre. Que j’aille chercher un morceau de pain et vous vous réconforterez le cœur avant d’aller plus loin.

Le réconfort est précisément un thème essentiel du lavement des pieds. Avant d’aller plus loin dans sa Passion, Jésus veut réconforter le cœur de ses apôtres.

Mais ce geste correspond aussi à un office très humble, réservé généralement aux serviteurs. D’ailleurs, Abraham ne dit pas qu’il va laver lui-même les pieds des hôtes ! L’ancien testament nous laisse une trace touchante de cet abaissement dans l’attitude d’Abigaïl devant les serviteurs de David :

1 Sam 25, 40-41 : Les serviteurs de David vinrent donc trouver Abigayil à Karmel et lui dirent : « David nous a envoyés vers toi pour te prendre comme sa femme. » D’un mouvement, elle se prosterna la face contre terre et dit : « Ta servante est comme une esclave, pour laver les pieds des serviteurs de Monseigneur. »

 

Une annonce de la Passion

On peut voir dans le lavement des pieds une anticipation symbolique de la Passion. En plus du contexte tragique (Jésus annonce la trahison de Judas), il faut noter que saint Jean utilise les mots « titheni » (déposer son vêtement) en Jn 13, 4 et « lambanô » (reprendre son vêtement) en Jn 13, 12. Or ce sont précisément ces deux verbes que Jésus a employés pour dire qu’il dépose sa vie et la reprend :

Jn 10, 17-18 : c’est pour cela que le Père m’aime, parce que je dépose ma vie, pour la reprendre. Personne ne me l’enlève ; mais je la donne de moi-même. J’ai pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père.

 

Ainsi, pour Jésus, servir et donner sa vie correspondent à la même chose : « C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs » (Mt 20, 28).

 

Saint Pierre, entre refus et excès

C’est à cette lumière que l’on peut expliquer les « reproches » de Jésus à saint Pierre, qui refuse dans un premier temps de se faire laver les pieds : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. […] Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi[1]Jn 13, 8-9. ». Refuser le signe, c’est refuser ce qu’il signifie., explique le Père Lagrange. Autrement dit : si on n’accepte pas le lavement des pieds, on n’acceptera pas le sacrifice de la croix.

Saint Pierre réagit alors, dans un second temps, avec tout l’excès qui le caractérise : « Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Cette réponse témoigne bien d’un amour réel de saint Pierre pour Jésus – il veut avoir part avec lui -, mais d’un amour « indiscret », fondé sur le désir de Pierre et non sur la grâce du Christ, à l’inverse de saint Jean, comme nous le verrons ensuite. Elle fait écho à l’assurance présomptueuse de Pierre, quelques versets plus loin : « Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour toi ![2]Jn 13, 37» : la suite nous est connue. Comme le dira saint Augustin, saint Pierre a plus appris lors de ses trois reniements que durant son temps passé aux côtés du Christ…

 

Saint Jean et Judas, le cœur du Christ et la nuit

 Jn 13, 21-30 : Après avoir ainsi parlé, Jésus fut bouleversé en son esprit, et il rendit ce témoignage : « Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera. » Les disciples se regardaient les uns les autres avec embarras, ne sachant pas de qui Jésus parlait. Il y avait à table, appuyé contre Jésus, l’un de ses disciples, celui que Jésus aimait. Simon-Pierre lui fait signe de demander à Jésus de qui il veut parler. Le disciple se penche donc contre la poitrine de Jésus et lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? » Jésus lui répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat. » Il trempe la bouchée, et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote. Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. Jésus lui dit alors : « Ce que tu fais, fais-le vite. » Mais aucun des convives ne comprit pourquoi il lui avait dit cela. Comme Judas tenait la bourse commune, certains pensèrent que Jésus voulait lui dire d’acheter ce qu’il fallait pour la fête, ou de donner quelque chose aux pauvres. Judas prit donc la bouchée, et sortit aussitôt. Or c’était la nuit.

 

Pourquoi Jésus révèle-t-il aux apôtres, le soir de la Cène, la future trahison de Judas ?

Trois explications sont possibles :

Bien sûr, il veut montrer qu’il est le maître : il sait.

De plus, il veut offrir à Judas l’opportunité de se repentir.

Mais plus profondément encore, c’est aussi un avertissement pour les apôtres. Le fait qu’ils cherchent à savoir qui est le traître montre déjà que tous pourraient l’être : il ne faut jamais tenir sa fidélité pour acquise une fois pour toutes.

Mais faut-il alors désespérer, ou douter toujours ? N’est-ce pas possible d’être fidèle à jamais ?

C’est ici qu’apparait pour la première fois dans l’Évangile la figure du disciple bien-aimé. Le texte grec dit bien qu’il était « dans le sein de Jésus », et non pas « tout contre », ou une autre traduction imprécise. Cette expression a déjà été employée, à propos du Christ, en Jn 1,18 : Jésus est « dans le sein du Père » : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître[3]Jn 1, 18. »

C’est très significatif : il est possible d’être fidèle jusqu’à la fin. Mais à la condition de puiser cette fidélité à la source unique : Jésus. L’attitude du disciple bien-aimé, s’abreuvant de l’amour du Christ pour lui rester fidèle, est donc différente de celle de saint Pierre, qui puise lui son assurance de fidélité dans ses propres forces, et qui faillira, avant de se relever.

Et surtout saint Jean est « l’anti-Judas » : il va puiser l’amour qu’il ne possède pas là où il est : il s’approche de Jésus. À l’inverse, Judas sort du Cénacle, s’éloigne du Christ. Il a reçu le signe du lavement des pieds, mais en refuse la signification : son cœur est impur. Saint Jean donne enfin cette précision étonnante, à la fin du récit : « c’était la nuit ». On pourrait même dire que de même que saint Jean va vers Jésus, et que Jésus va vers son Père, Judas va vers le sien : le diable et les ténèbres.

            On voit que dans la scène du lavement des pieds, un discernement s’est déjà produit entre ceux qui acceptent ce qu’il y a de fou et de paradoxal dans l’amour de Jésus, et celui qui refuse. Tout le drame de la Passion a été virtuellement joué dans le prologue.

Références

Références
1 Jn 13, 8-9
2 Jn 13, 37
3 Jn 1, 18
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