Nous présentons ici par ordre chronologique de première parution les grandes versions de la Bible en français (premier article), avant de recenser un certain nombre d’autres traductions moins répandues (second article). Il ne s’agit pas de condamner ou de censurer l’une ou l’autre édition mais de donner quelques principes et éléments pour choisir une bonne traduction française pour votre Bible d’étude et de prière.
Un grand classique : la Bible du Chanoine Crampon
Changement de paradigme à la fin du XIXe siècle, Augustin Crampon (1826-1894), chanoine de la cathédrale d’Amiens, propose la première traduction réalisée à partir des textes hébreux, araméen et grec, tout en donnant en note les divergences avec la Vulgate. Elle va être la Bible des catholiques jusqu’au milieu du XXe siècle.
Crampon prépare d’abord une traduction annotée des évangiles, qui est publiée en 1864. Il traduit à partir du seul texte grec, mais s’attache en plus à préserver le style propre de chaque auteur biblique et non pas à lisser l’ensemble comme les traducteurs se sont jusque-là ingéniés à le faire. Il essaye de préserver «une exactitude savante et minutieuse qui reproduise jusqu’aux nuances», mais en ayant le souci d’une certaine beauté littéraire. Les notes bien documentées donnent au lecteur des renseignements historiques, géographiques ou des conseils spirituels. Crampon meurt en 1894 alors que paraît le premier volume de sa Bible qui en comptera sept, publiés entre 1894 et 1904.
Au point de vue scientifique, cette Bible a un défaut certain : elle traduit un texte qui n’existe pas… En termes de sources manuscrites en effet, Crampon s’est servi tour à tour du Texte Massorétique, de la Septante, de la Vulgate, sans l’indiquer dans ses notes. Ces choix sont donc un peu opaques et subjectifs.
La “Bible Crampon”, complétée et révisée, parut en édition bilingue (le texte latin de la Vulgate figurant en regard de la traduction en français) en 1904. Une version en un seul volume, uniquement en français, fut imprimée en 1905. L’édition de 1923, très remaniée, a été rééditée par les Éditions DFT en 1989 (retirages en 1997, 2001 et 2005) et est aussi disponible en téléchargement mais sans les nombreuses notes. Le Nouveau Testament a été révisé par le frère Bernard-Marie du tiers-ordre franciscain en 2004 (avec introduction du tutoiement), le Psautier en 2007. Sa révision de la Bible complète fut enfin publiée en 2023 aux Editions Téqui, avec le tutoiement et une modernisation du vocabulaire.
La Bible de Jérusalem (BJ)
C’est aujourd’hui sans doute la Bible la plus diffusée. Fruit du travail mondialement reconnu de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, dirigée alors par le père Roland de Vaux, cette Bible a d’abord paru en fascicules, de 1948 à 1955. Elle parut enfin en 1956 en un seul volume, qui est déjà une révision avec de nouvelles introductions, et un gros travail de réduction du champ lexical (nécessaire en raison du grand nombre de collaborateurs : plus d’une centaine). Elle a été révisée en 1973 (en prenant le titre de Bible de Jérusalem), surtout pour l’Ancien Testament, traduit plus littéralement.
La dernière édition date de 1998 : il est à noter que pour celle-ci, la traduction est de qualité et les notes marginales très intéressantes, dans le sens d’une lecture spirituelle. Relevons cependant que cette révision de 1998 a notamment modifié les notes de bas de pages et les introductions aux différents livres, et que ces modifications tendent à accentuer le relativisme historique, donnant une vision moins unifiée des origines du christianisme et du canon biblique (un exemple contestable se trouve l’introduction aux épîtres de saint Pierre). Par ailleurs les notes techniques y sont renvoyées en fin de chapitre, ce qui ne facilite pas leur lecture.
Pour prendre un exemple, on peut citer une note du chapitre 24 de Mt. Jusque-là on pouvait lire : « La ruine de Jérusalem marque la fin de l’ancienne alliance, par un retour visible du Christ venant inaugurer son règne ». Depuis 1998 on lit : « La ruine de Jérusalem marque la fin d’une ère et en inaugure une nouvelle de l’histoire ? ».
Une révision légère a paru en 2000. Au fil des révisions, le style de traduction a légèrement évolué vers une fidélité plus grande envers le texte source, ainsi qu’un souci de concordance de vocabulaire qui n’existait pas au départ. Un des intérêts de la Bible de Jérusalem (souvent appelée BJ) est de se décliner dans tous les formats possibles, y compris de poche.
La Bible Osty-Trinquet (BOT)
Fruit de vingt-cinq ans de travail, cette traduction paraît en 22 fascicules en 1970, aux éditions du Seuil. Elle est l’œuvre du chanoine Emile Osty, sulpicien et professeur à l’Institut Catholique de Paris, mort en 1981, avec la collaboration de son confrère Joseph Trinquet (surtout pour les notes). Elle paraît en un volume en 1973. C’est une traduction rigoureuse et nettement littérale, dans un esprit traditionnel. Le prix à payer en est un texte un peu plus difficile à lire que celui de la Bible de Jérusalem. Attention, les notes sont essentiellement littéraires et peu théologiques.
Au bénéfice de cette version on relèvera l’unité de traduction : c’est le même traducteur qui a fait tout le travail, contrairement à la plupart des autres bibles qui ont opté pour un travail d’équipe. Ainsi, il y a beaucoup plus de chances qu’un même mot hébreu ou grec soit systématiquement traduit par le même mot français (si le génie de la langue le permet…). La Bible Osty ne se décline qu’en un seul format (complet). Il n’existe donc pas de version de poche, sauf une édition du Nouveau Testament, réalisée en 1974 et rééditée en 2016.
La Traduction œcuménique de la Bible (TOB)
L’idée d’une traduction œcuménique est née en 1961. Le Nouveau Testament a paru en 1972, l’Ancien en 1975, fruit du travail de près de 150 exégètes catholiques et protestants. Révisée en 1988, cette traduction est très connue. Son titre dit tout : le souci majeur est la recherche du consensus ; menée par des équipes de traducteurs catholiques et protestants, elle a produit un texte reçu par les deux communautés. Cas unique pour les bibles chrétiennes, l’ordre des livres de l’Ancien Testament est celui de la Bible hébraïque (ceux que les protestants considèrent comme « apocryphes » et que nous appelons « deutérocanoniques » sont regroupés avant le Nouveau Testament).
La qualité de la traduction est très inégale suivant les livres. Pour des raisons parfois obscures, les traducteurs s’éloignent nettement du sens littéral du texte, quitte à mettre la bonne traduction en note… Pour l’Ancien Testament, les notes sont assez rares et peu éclairantes. Le Nouveau Testament abonde en notes souvent plus théologiques que littéraires, intéressantes car elles reflètent souvent des divergences d’interprétation entre catholiques et protestants (dans les épîtres pauliniennes notamment). D’une manière générale le style est peu élégant, avec un souci d’originalité contestable, ainsi quand on remplace l’économe infidèle par le gérant trompeur, les vierges folles par des filles insensées, le « je combats » de saint Paul par « je boxe », etc… Dans la prophétie de l’Emmanuel (Is 7, 14) on n’annonce plus qu’une « vierge » mais qu’une « jeune fille » enfantera. Dans le Notre-Père, la première demande devient « fais-toi reconnaître comme Dieu ». Le mot « charité » disparaît, systématiquement remplacé par « amour », on ne parle jamais de « prêtres » dans le Nouveau Testament mais seulement d’« anciens »[1]Traduction anathématisée par le Concile de Trente, XIVe Session (DS1619) : « Si quelqu’un dit que les presbytres de l’Église, que saint Jacques recommande de faire venir pour … Continue reading.
Une nouvelle édition a paru en 2010, avec cette fois-ci la participation des Orthodoxes. Elle contient six livres deutérocanoniques supplémentaires, en usage dans la liturgie des Églises orthodoxes : 3 et 4 Esdras, 3 et 4 Maccabées, la Prière de Manassé et le Psaume 151[2]Antoine Barrois a vivement critiqué la première édition dans les numéros 218 et 220 (1977-78) de la revue « Itinéraires », ainsi que Daniel Raffard de Brienne dans son livre : La Bible … Continue reading.
Le Lectionnaire pour la Liturgie de 1974, puis 2013
Publié par le Centre National de Pastorale Liturgique en 1974, le lectionnaire pour la liturgie a pour ambition donner accès à une lecture intégrale de la Bible « sans faire de choix mutilants ». En réalité cependant, seuls les passages repris dans la Liturgie des Heures ont été traduits à nouveau (environ 4000 versets sur les 21000 de l’Ancien Testament) : il faut savoir que les autres versets ont été simplement repris de la TOB.
Les traductions protestantes
Les traductions protestantes sont très nombreuses et surtout très diffusées : dans le commerce (grâce aux subventions de généreuses organisations venant d’Outre-Atlantique) elles sont très souvent moins onéreuses que les Bibles catholiques. Lorsque l’on trouve une Bible à 1 ou 2€, il s’agit presque à tous les coups d’une version protestante. Parmi les traductions françaises les plus connues et diffusées, on tombera sûrement sur la Bible Segond, actualisée aujourd’hui NBS (Nouvelle Bible Segond, 2002) puis en Bible « Segond 21 » (2007). Les évangéliques optent le plus souvent pour la « Bible du Semeur ».
Ces traductions ne sont pas sans qualité du point de vue scientifique et littéraire, mais elles ne sauraient faire l’affaire pour un catholique, qui se doit de lire la Sainte Écriture en s’appuyant sur la tradition d’enseignement et d’interprétation de l’Église (des saints Pères, des théologiens et du magistère).
Références[+]
↑1 | Traduction anathématisée par le Concile de Trente, XIVe Session (DS1619) : « Si quelqu’un dit que les presbytres de l’Église, que saint Jacques recommande de faire venir pour oindre un malade, ne sont pas des prêtres ordonnés par l’évêque, mais les plus âgés dans toute communauté et que, pour cette raison, le ministre propre de l’extrême-onction n’est pas le prêtre seul qu’il soit anathème. » |
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↑2 | Antoine Barrois a vivement critiqué la première édition dans les numéros 218 et 220 (1977-78) de la revue « Itinéraires », ainsi que Daniel Raffard de Brienne dans son livre : La Bible trahie, Perrin, 2000. |