Dans l’annonce de l’ange Gabriel à Zacharie, on lit à propos de son fils Jean le Baptiste : « il marchera devant le Seigneur, avec l’esprit et la puissance du prophète Élie, pour faire revenir le cœur des pères vers leurs enfants » (Lc 1,17).
Alors que nous approchons de la Nativité du Sauveur, on peut s’étonner de lire que les temps messianiques ramèneront le cœur des pères vers leurs enfants : on s’attendrait plutôt à ce que soit les enfants qui reviennent vers leurs pères, et que les pécheurs que nous sommes reviennent vers notre Père du ciel. Mais il semble donc que c’est le cœur du Père lui-même qui déjà prend l’initiative de la réconciliation.
Ce verset du début de Luc fait directement référence à la fin de l’Ancien Testament, et précisément à la fin du livre du prophète Malachie, qui lui aussi évoque le prophète Élie. Malachie (en hébreu : « mon messager ») annonce la venue du Messie, et il est le dernier prophète : depuis sa mort, donc depuis plus de quatre siècles, on était dans l’attente de la venue du Messie. Les versets qu’on va lire ci-dessous sont les derniers versets de l’Ancien Testament : ils en sont la conclusion, mais dans la Bible chrétienne ils servent donc de transition vers le Nouveau Testament.
Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que n’arrive le Jour de Yahvé, grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’anathème[1]Ml 3,23-24..
On apprend ce qu’apportera le Messie, la réconciliation de Dieu – « grand et redoutable » – avec les hommes, symbolisée par le retour des pères vers leurs enfants. Comme le père de l’enfant prodigue, Dieu qui a été offensé revient vers ses fils pour leur offrir son pardon. Ce message signifie que, grâce au Messie qu’annoncera Jean le Baptiste (que Jésus lui-même compare à Élie : Mt 11,7-14 ; 17,9-13[2]Jean le Baptiste n’est pas Élie lui-même (cf. Jn 1,21) mais il en a l’esprit et la puissance.), les hommes se repentiront, et que Dieu leur pardonnera leurs péchés. Alors aura lieu aussi, selon le dernier verset, le retour du cœur des fils vers leurs pères. En Lc 1,17 ce n’est pas explicite, mais sous-entendu par la référence à Malachie. L’important pour Luc est d’insister sur l’initiative du Père, le « Père des miséricordes » (2 Co 1,3).
Selon Roland Meynet, « c’est la restauration des liens de filiation qui est annoncée par le prophète Malachie, puis par l’ange Gabriel. Ces liens sont la figure du lien social dans son ensemble, ou pour dire les choses autrement, le salut est symbolisé par une filiation acceptée et reconnue aussi bien par le père que par le fils »[3]Meynet Roland, Prière et filiation. Le témoignage de Luc, Paris, Éditions Facultés jésuites de Paris, 2011, p. 31..
La filiation la plus importante est bien évidemment celle qui nous unit comme fils à notre Père des cieux. Une pensée de saint Paul éclaire ce passage : en Rm 1,28-30, il montre que la séparation d’avec Dieu entraîne la révolte des enfants contre leurs parents. On ajoutera qu’inversement, comme disait sainte Teresa de Calcutta : « une famille qui prie est une famille unie ».
Méditons-le : le temps de l’Avent nous prépare à la venue du Messie, donc du pardon de Dieu. En Jésus, Dieu revient vers nous pour nous pardonner, ce qui doit encourager les pères à pardonner à leurs enfants (comme le montre aussi la parabole du débiteur impitoyable en Mt 18,23-35). Jean le Baptiste, puis Jésus, vont encourager les hommes à la conversion, donc les disposer à accueillir le pardon de Dieu. Ainsi le retour du « cœur des pères vers leurs enfants » est à la fois une image (du rapport de Dieu et des hommes) et une exhortation concrète, pour nos familles, en ce temps de l’Avent : faire preuve de bonté et de pardon, c’est préparer dans les cœurs le chemin du Seigneur. S’il y a discorde, que le père de famille fasse le premier pas, à l’image de notre Père des cieux envers chacun de nous.
C’est d’autant plus important que nous entrerons à Noël dans le temps du Jubilé : le Jubilé 2025 commencera officiellement le 24 décembre, avec l’ouverture de la Porte Sainte de la basilique Saint-Pierre par le Saint Père. Dans l’ancienne Alliance, le Jubilé avait lieu tous les cinquante ans, comme le raconte le chapitre 25 du Lévitique, annonçant la remise à tous des peines et des dettes. C’était la figure de nos années saintes, qui voient remettre aux pécheurs leurs fautes, les libèrent de l’esclavage de leurs passions et les aident à se réconcilier avec Dieu et le prochain. Prions en ce sens, car « une famille qui prie est une famille unie ». Et vice-versa.