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Le mystère de l’Incarnation

Le mystère de l’Incarnation, « signe distinctif de la foi chrétienne », en est aussi une borne, fixant la limite de la foi orthodoxe et de l’hérésie. Au long des siècles, la compréhension du dogme a longuement exploré les ressorts du mystère qui unit la divinité et l’humanité dans l’unique personne du Sauveur. L’Incarnation est possible, pourquoi Dieu a-t-il voulu prendre notre humanité ? Réponses de possibilité et de convenance.

 

Le signe distinctif de la foi chrétienne

D’après le Compendium du catéchisme publié par le cardinal Ratzinger, la foi en le mystère de l’Incarnation est « le signe distinctif de la foi chrétienne »[1]Abrégé du Catéchisme de l’Église Catholique, n°86. Nous rappelons qu’un mystère est une vérité que nous croyons sur l’autorité de Dieu, vérité qui dépasse la raison et ne peut donc … Continue reading. Pour donner une définition simple de l’Incarnation, nous pouvons dire que celle-ci est lunion des natures divine et humaine dans lunique personne du Fils (la deuxième personne de la Sainte Trinité, ou le Verbe)[2]Pour donner une explication simple des termes de « nature » et « personne » : le terme « nature » répond à la question « qu’est-ce que c’est ? », tandis que le terme « personne » … Continue reading. La Sainte Écriture exprime ce mystère dans ces paroles du Prologue de saint Jean (que nous entendons à la fin de chaque messe) : « le Verbe était Dieu … et le Verbe sest fait chair » (Jn 1, 1.14), le mot « chair » signifiant l’humanité, dans sa dimension visible, corporelle.

La foi contre les hérésies

L’Église a développé sa compréhension de ce mystère en écartant successivement un certain nombre d’erreurs majeures, ou hérésies. Plusieurs reviennent à affirmer qu’il n’est pas possible que Dieu s’incarne[3]Selon des modalités différentes : l’arianisme (négation de la divinité du Fils), l’apollinarisme (Dieu assume un corps sans âme, donc pas une vraie humanité), le marcionisme et le … Continue reading. Le dominicain Garrigou-Lagrange résume ainsi la principale objection contre la possibilité de l’Incarnation[4]Cf. Garrigou-Lagrange, o.p., De Christo Salvatore, p. 26-28. : Dieu ne peut pas changer, ou devenir autre que ce qu’il était auparavant (sinon cela impliquerait qu’il ne serait pas parfait) ; or par l’Incarnation Dieu deviendrait autre que ce qu’il était auparavant. Donc l’Incarnation n’est pas possible.

 

L’Incarnation : changement non en Dieu mais en la créature

Le théologien répond : en s’incarnant, Dieu ne change pas, ou n’acquiert pas quelque chose qui le fait devenir autre. Ce nest pas du côté de Dieu quil y a un changement, mais du côté de la création : une nature humaine est créée et unie à la personne du Verbe, ce qui représente pour cette nature humaine un changement [5]C’est ce que formule saint Thomas d’Aquin : « Dieu est uni [à une nature humaine], non par un changement de sa part, mais par un changement de la part de ce qui est uni » (la nature humaine), … Continue reading. On peut illustrer cela par des images : 1° un objet non-vu et qui devient vu ne change pas en lui-même, mais c’est celui qui le voit qui change (sa faculté de voir passe à l’acte, après avoir été en puissance) ; l’objet, de non-vu devient vu, non par un changement de lui-même, mais parce qu’il devient le terme de la vision. 2° Un point qui termine une ligne peut terminer une ligne supplémentaire sans qu’il y ait de changement en lui (on lui adjoint une ligne sans changement pour ce point). Semblablement, la nature humaine est « prise », « assumée » par la personne du Verbe, sans changement pour la nature divine[6]La nature humaine n’est pas unie à la nature divine, comme si celle-ci « se changeait » en homme, ou s’unissait à la nature humaine pour former une sorte de troisième nature « … Continue reading – ni pour la personne du Verbe, à qui la nature humaine est unie comme à son terme.

L’Incarnation : signe de la toute-puissance divine

Enfin, lIncarnation nest pas au-dessus de la toute-puissance de Dieu : « Dieu peut faire plus que lhomme ne peut dire. “À Dieu, rien n’est impossible” (Lc 1, 37). Or, lhomme peut dire que Dieu prend la nature humaine : cela ne comporte pas de contradiction, et ce qui est dit nintroduit pas de carence en Dieu. À plus forte raison, Dieu peut donc faire cela »[7]Saint Thomas d’Aquin, Commentaire des Sentences, d. 1, q. 1, a. 1, sed contra 1..

Pourquoi l’Incarnation ?

Après avoir étudié la possibilité de l’Incarnation, ou du moins repoussé les objections et erreurs qui arguent de son impossibilité, nous pouvons suivre saint Thomas d’Aquin qui se pose la question de la « convenance », autrement dit du « pourquoi » de l’Incarnation. Cette convenance se fonde essentiellement sur la bonté de Dieu, qui est Amour (1Jn 4, 8) et « qui nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime de propitiation pour nos péchés » (1Jn 4, 10). Dans sa Somme contre les Gentils (du latin gentiles, les païens), saint Thomas d’Aquin explique la convenance de l’Incarnation à partir de la vocation de lhomme à la béatitude surnaturelle[8]Cette béatitude est dite surnaturelle, parce que la vision intuitive de l’essence divine n’est naturelle qu’à Dieu lui-même, et dépasse les forces naturelles de toute nature créée ou … Continue reading, c’est-à-dire à la vision face-à-face de l’essence divine.

 

Rendre l’espoir de la béatitude

Cette béatitude pouvait sembler inaccessible devant l’infinie distance qui sépare la nature divine de la nature humaine, et, par désespoir, l’homme se relâcherait dans sa quête de la béatitude, ou encore il rechercherait son bonheur dans des créatures inférieures à Dieu (les anges, des réalités humaines, des corps ou des plaisirs sensibles). C’est pour fortifier l’espérance de l’homme en la possibilité d’atteindre la béatitude que « Dieu [a] voulu s’unir, d’une union personnelle, la nature humaine, prouv[ant] à l’évidence aux hommes la possibilité d’être unis à Dieu, par leur intelligence, en le voyant sans intermédiaire » ; et ce faisant, « une grande partie de l’humanité, abandonnant le culte des anges, des démons, ou de toute autre créature, méprisant les plaisirs de la chair et toutes les réalités corporelles, s’est vouée au culte de Dieu seul, en qui seul elle attend l’épanouissement de la béatitude »[9]Somme contre les Gentils, livre 4, chapitre 54. Les autres citations dans l’article sont tirées du même endroit.. En d’autres mots, nous pouvons dire que Dieu sest approché de nous dans lIncarnation pour nous prouver que nous pouvons nous approcher de Lui.

Affermir la foi, l’espérance et la charité

Le Docteur Angélique établit également un lien entre l’Incarnation et les vertus théologales : 1° la foi est nécessaire pour atteindre la béatitude. Or la vérité que la foi nous propose à croire dépasse l’intelligence humaine. « Il fallait donc, pour que l’homme puisse acquérir une parfaite certitude au sujet de la vérité de la foi, que Dieu lui-même, fait homme, l’instruisît, et que cet enseignement fût reçu de l’homme sous un mode humain ». 2° Lespérance porte sur un objet non encore possédé, mais accessible. Or par l’Incarnation, Dieu nous montre qu’il nous est possible de lui être uni (nous l’avons déjà évoqué) ; de plus, c’est l’Incarnation qui permet le pardon des péchés, avec une satisfaction ou réparation qui convient[10]Saint Thomas, op. cit. : « Pour délivrer le genre humain du péché que tous partagent, il fallait que quelqu’un pût satisfaire, qui fût à la fois un homme, en état de satisfaire, et … Continue reading, et ainsi l’homme trouve un puissant motif de ne pas perdre, à cause du péché, « la confiance, requise pour obtenir la béatitude, d’accéder à Dieu ». Par l’Incarnation, l’homme obtient de Dieu non seulement la rémission de ses péchés, mais aussi la certitude qu’ils sont remis (par une communication humaine, c’est-à-dire par la bouche du Christ homme). 3° La charité enfin est enflammée envers Dieu. En effet, l’homme est porté à aimer celui qui lui donne des preuves d’amour. Or « les hommes ne pouvaient donc attendre de preuve plus efficace de l’amour de Dieu pour eux que de voir Dieu s’unir à l’homme, personnellement, puisque le propre de l’amour est d’unir, autant qu’il est possible, celui qui aime à l’aimé ». Enfin, la charité est définie par saint Thomas comme une amitié[11]Saint Thomas, Somme théologique, IIaIIae, q. 23, a. 1.. Or pour qu’il puisse y avoir amitié entre deux êtres, il faut une certaine similitude, un point commun entre eux.

« Pour favoriser une amitié plus intime entre l’homme et Dieu, il était donc à propos que Dieu se fît homme, puisque l’homme est pour l’homme un ami naturel. Ainsi, en connaissant Dieu sous une forme visible, nous serions entraînés à l’amour des réalités invisibles ».

Références

Références
1 Abrégé du Catéchisme de l’Église Catholique, n°86. Nous rappelons qu’un mystère est une vérité que nous croyons sur l’autorité de Dieu, vérité qui dépasse la raison et ne peut donc être pleinement comprise, sans cependant contredire la raison.
2 Pour donner une explication simple des termes de « nature » et « personne » : le terme « nature » répond à la question « qu’est-ce que c’est ? », tandis que le terme « personne » répond à la question « qui est-ce ? ».
3 Selon des modalités différentes : larianisme (négation de la divinité du Fils), lapollinarisme (Dieu assume un corps sans âme, donc pas une vraie humanité), le marcionisme et le manichéisme (Dieu assume un corps apparent ou imaginaire), … On retrouve également cette objection de l’impossibilité de l’Incarnation dans lislam (qui considère Allah strictement séparé de sa création et hors de celle-ci).
4 Cf. Garrigou-Lagrange, o.p., De Christo Salvatore, p. 26-28.
5 C’est ce que formule saint Thomas d’Aquin : « Dieu est uni [à une nature humaine], non par un changement de sa part, mais par un changement de la part de ce qui est uni » (la nature humaine), cf. Commentaire des Sentences, d. 1, q. 1, a. 1, ad 1. À noter qu’avant l’Incarnation, la nature humaine qui devait être assumée n’existait pas ; elle a été créée au moment de l’Incarnation et immédiatement unie à la personne du Verbe.
6 La nature humaine n’est pas unie à la nature divine, comme si celle-ci « se changeait » en homme, ou s’unissait à la nature humaine pour former une sorte de troisième nature « divino-humaine » (c’est l’erreur du monophysisme).
7 Saint Thomas d’Aquin, Commentaire des Sentences, d. 1, q. 1, a. 1, sed contra 1.
8 Cette béatitude est dite surnaturelle, parce que la vision intuitive de l’essence divine n’est naturelle qu’à Dieu lui-même, et dépasse les forces naturelles de toute nature créée ou créable. Pour accéder à la béatitude surnaturelle, l’ange et l’homme ont besoin d’un don de Dieu, surnaturel, libre et gratuit, que l’on appelle la grâce.
9 Somme contre les Gentils, livre 4, chapitre 54. Les autres citations dans l’article sont tirées du même endroit.
10 Saint Thomas, op. cit. : « Pour délivrer le genre humain du péché que tous partagent, il fallait que quelqu’un pût satisfaire, qui fût à la fois un homme, en état de satisfaire, et plus qu’un homme, pour que son mérite arrive à satisfaire pour le péché du genre humain tout entier ».
11 Saint Thomas, Somme théologique, IIaIIae, q. 23, a. 1.
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