Qui est le « padre » Albini, apôtre de la Corse, non encore canonisé mais déjà largement vénéré par les habitants de l’Île de Beauté ?
On s’est largement inspiré du bel ouvrage du R.P. Yvon Beaudoin, OMI, “Charles-Dominique Albini”[1]disponible en ligne : https://www.omiworld.org/wp-content/uploads/II-08-Charles-Dominique-Albini.pdf.
Enfance, vocation et formation
Né le 26 novembre 1790 à Menton (alors dans le comté de Nice, indépendant de la France), Charles-Dominique Albini étudie à l’école de sa paroisse puis chez les religieux piaristes. Enfant pieux et studieux, quoique d’un caractère alerte, il fait vers l’âge de 13 ans sa première communion, puis est bientôt confirmé. Rapidement orphelin, il reste seul avec son grand frère Jean-François et rend de nombreux services au curé de sa paroisse, l’abbé Trenca. En 1810 il entre au grand séminaire de Nice.
Ordonné le 17 décembre 1814, il retourne d’abord à Menton, auprès de son curé et de son frère. On lui demande bientôt d’assurer aussi l’aumônerie d’un couvent de religieuses Hospitalières de Saint-Augustin à Carnolès, où il finit par s’installer (1821-1823). Albini est bientôt rappelé au séminaire pour y exercer la charge de directeur spirituel et professeur de théologie morale. Le jeune abbé Albini se sent cependant appelé à une vocation plus missionnaire. Début juillet 1824, il a l’occasion de rencontrer le père de Mazenod, fondateur des Oblats de Marie Immaculée, venu prêcher une retraite à Nice avec un confrère. Edifié par leur ferveur et leur zèle, il se sent appelé à les suivre dans leur très jeune institut (fondé en 1816). De son côté, Mazenod a également repéré Albini, mais se demande comment son évêque laisserait partir un aussi bon sujet. Il obtient d’abord de Mgr Colonna d’Istria que l’abbé Albini puisse temporairement se joindre aux Oblats, dans une oeuvre nouvelle développée sur son diocèse. L’aspirant missionnaire commence cependant par faire son noviciat à Aix : il est le 47ème postulant à prendre l’habit de la jeune société. Il semble que dans cette occasion, malgré son caractère parfois marqué par l’indécision, Albini n’ait pas hésité longtemps : quittant la vocation diocésaine, il rejoint résolument la nouvelle communauté missionnaire.
Premières missions
Il restera à Aix jusqu’à l’automne 1827, enseignant, confessant, visitant les prisonniers et les malades… Durant cette première période, il prit part à seize missions données dans des diocèses de Provence (Aix, Marseille, Digne, Fréjus, Gap, Nîmes). Rappelons que les missions étaient au XIXème siècles ces « retraites » paroissiales tenues parfois chaque année, lors desquelles des prédicateurs venaient s’installer pour quelques jours dans un village et proposaient un programme intense d’enseignement, de prière et surtout de larges plages de confession. Ces missions (comme celles de saint Vincent de Paul ou de saint Louis-Marie Grignion de Montfort aux siècles précédents) étaient des moments importants de renouvellement de la ferveur, de retour vers les sacrements et de conversion. Polyglotte (il maîtrise l’italien, le latin et le français, il apprend bientôt le provençal), le père Albini sait se faire tout à tous pour rejoindre les populations auprès desquelles il est envoyé. À l’occasion d’une mission à Valbelle, le 17 janvier 1826, il rencontre un homme qui avait blasphémé à plusieurs reprises, atteint depuis une dizaine de jours d’un mutisme complet : à sa demande, le père Albini célèbre une messe à son intention et en sa présence ; après le dernier évangile, le muet parle librement et sans peine. Auprès de ses confrères, il passe bientôt pour un saint : « Il aurait pu faire quelque miracle, mais cette fois, il ne l’a pas jugé à propos », note avec humour l’un d’eux dans une lettre. Avant chaque mission, le père Albini prend l’habitude de passer une nuit en prières. Il est convaincu que la sanctification et l’humilité des prêtres participe grandement à l’efficacité de leur apostolat : « nous sommes humiliés, mais ayons confiance, la mission réussira » dit-il à ses confrères fin 1826.
Retour à Marseille : l’aumônier des Italiens
Au cours de l’été 1827, il est nommé professeur de théologie morale au séminaire de Marseille, que l’évêque (oncle du père Eugène de Mazenod, leur fondateur) vient de confier aux Oblats. Dans son enseignement, il suit la doctrine de saint Alphonse de Ligori, qu’il admire particulièrement. Son activité n’est toutefois pas limitée à l’intérieur de la maison sacerdotale : il est bientôt nommé aumônier des Soeurs de Saint-Charles, religieuses enseignant dans plusieurs écoles communales de Marseille, il prêche aux Soeurs des Saints Noms de Jésus et Marie. Surtout, il est vite amené à s’occuper des Italiens immigrés dans la cité Phocéenne, une population nombreuse et dépourvue de secours spirituel : il propose bientôt une instruction bimensuelle en langue italienne, des bénédictions, confessions… En 1835, lorsque l’épidémie du choléra éclate dans la ville, alors qu’il était allé prendre quelques jours, le père Albini revient aussitôt sur ses pas pour venir soigner les malades.
L’apôtre de la Corse
En 1834, Mgr Casanelli d’Istria, évêque d’Ajaccio, demande à Mgr de Mazenod (le fondateur devenu évêque coadjuteur de Marseille aux côtés de son oncle) d’envoyer quelques Oblats prendre en Corse la direction du grand séminaire. Albini est désigné parmi la première équipe, mais son départ de Marseille s’annonce compliqué : qui prendre en charge les 6000 italiens dont il s’occupe depuis plusieurs années déjà ? Le père Guibert, premier supérieur de la mission corse, convainc finalement Mgr de Mazenod de lui envoyer malgré tout le jeune missionnaire, avec lequel il ouvre une nouvelle année scolaire pour environ 80 séminaristes. Lorsqu’approchent les vacances d’été, le père Albini exprime le désir de repartir en mission. À l’été 1836, il s’en va donc à Vico, où l’évêque a fait donner aux Oblats un ancien couvent franciscain. Nommé supérieur de cette nouvelle maison et chargé de prêcher des missions dans cette région, Albini se dépense sans compter dans ces contrées montagneuses où les prêtres sont peu nombreux et mal formés. Ses missions remportent un succès extraordinaire. On raconte qu’à la fin d’une de ses premières entreprises, alors qu’on avait entrepris d’ériger, comme de coutume, une grande croix de mission, mais que la population ne parvenait pas à élever entièrement énorme masse de bois, qui risquait de retomber en blessant certains des assistants, Albini saute vers la croix, appuie ses mains sur elle comme pour la retenir, et parvient par ce seul effort à faire basculer le montant dans la fosse, ce que l’ensemble des assistants n’avait pu réussir jusque là. On rapportera par la suite des cas de guérisons miraculeuses autour de cette croix de Moïta, ainsi que lors d’autres missions du père Albini. Dans ses prédications comme dans son ministère de confesseur, le missionnaire doit en particulier faire face au phénomène alors endémique de la vendetta, « le grand colosse de la vengeance », comme il l’appelle. Dans certains pays reculés et peu peuplés on recense jusqu’à plus d’une vingtaine de meurtres par an : le passage du père Albini apaise les tensions et fait ployer le spectre de la violence.
Dans le même temps, le jeune Oblat continue son ministère au séminaire, où ses supérieurs continuent de compter sur lui : enseignement, direction spirituelle, examens. Ces périodes sont une véritable épreuve pour son coeur d’apôtre, aspirant sans cesse à parcourir les montagnes et les villages pour servir les âmes. De retour à Vico pour l’été, il arpente à nouveaux ses chers pays de Corse, assisté de quelques confrères missionnaires.
Les derniers temps
Fin 1838, le couvent de Vico commence lui aussi à accueillir des séminaristes. Le père Albini y prêche une retraite de rentrée. Au mois de novembre cependant il tombe gravement malade, si bien qu’on lui administre le viatique et l’extrême-onction. Lorsqu’il l’apprend, Mgr de Mazenod s’avoue terrassé[2]Journal d’Eugène de Mazenod, 17 novembre 1838. : « Personne ne peut remplacer le p. Albini en Corse où il a déjà surpassé tout ce qu’ont pu faire, dans tous les siècles qui ont précédés, tous les hommes puissants en œuvre, les saints même qui ont travaillé à la sanctification de ces insulaires. Mon Dieu ! Se pourrait-il que notre saint confrère faillisse aux besoins extrêmes de ce peuple ? » Après une première période de coma, il reprend connaissance mais demeure très faible. Début février il peut écrire et bientôt même célébrer à nouveau la messe. Au mois de mai cependant il rechute et se trouve dans un état à nouveau alarmant, qui se dégrade rapidement. Il rend son âme à Dieu le 20 mai. Le 29 mai, Mgr de Mazenod apprend la mauvaise nouvelle : « C’est ainsi, écrit-il, que l’homme le plus utile de notre congrégation, l’homme unique pour le pays qui lui était échu en partage, nous sera enlevé. C’est un sacrifice immense que Dieu exige de nous. Il ne nous reste qu’à nous confondre et à adorer[3]Lettre d’Eugène de Mazenod au R.P. Courtès, 27 mai. » ; « La mort de notre bien-aimé frère a été celle d’un saint. C’est un bienheureux à ajouter à la communauté de la congrégation qui est dans le ciel.[4]Journal d’Eugène de Mazenod, 29 mai 1838. » Lors de ses funérailles, célébrées à Vico le 21 mai, de très nombreux habitants se pressent autour des pénitents blancs qui accompagnent le cortège.
La sagesse du père Albini (anthologie)
Vie de foi, vie divine. Justus ex fide vivit[5]“Le juste vit par la foi”. Un prêtre qui vit de foi règle tous ses sentiments, toutes ses actions, toutes ses démarches sur l’Evangile. Il pense, il agit, il parle selon la Foi, dans des vues toutes divines et surnaturelles. Il voit Dieu dans tous les événements, généraux et particuliers. Pour lui, rien n’arrive au monde où il n’envisage une volonté, ou une permission divine qui dirige et fait servir toutes choses propter electos[6]“pour les élus”.
Nous avons trois grande tentations dans le monde qui nous perdent ; trois malheurs presque inévitables : orgueil, dégoût, distractions. Si on réussit : orgueil ; si on ne réussit pas : dégoût ; et, soit qu’on réussisse ou non, c’est dissipation, distraction. L’oraison met en fuite ces trois fléaux dans l’âme.
Nécessité de l’oraison mentale. Pour un prêtre : à raison de son ministère qui sera frappé de stérilité s’il n’est pas homme d’oraison… Un prêtre, obligé à devenir saint, comment le sera-t-il sans méditation ? Impossible ! Impossible ! – Mais je n’ai pas le temps ?… – On y gagne sur le compte : un prêtre exact à faire oraison fera plus de bien dans les âmes en un quart d’heure qu’en dix ans ; et la raison c’est que le Saint-Esprit est l’auteur du bien ; nous les instruments. Si donc on néglige… Mais pour prendre la nourriture du corps, le temps, on le trouve ! Prière : nourriture de l’âme… Objectera-t-on le dégoût, la sécheresse ? Une once d’oraison, faite dans la désolation, pèse plus devant Dieu que cent livres dans la consolation.
Références[+]
↑1 | disponible en ligne : https://www.omiworld.org/wp-content/uploads/II-08-Charles-Dominique-Albini.pdf |
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↑2 | Journal d’Eugène de Mazenod, 17 novembre 1838. |
↑3 | Lettre d’Eugène de Mazenod au R.P. Courtès, 27 mai. |
↑4 | Journal d’Eugène de Mazenod, 29 mai 1838. |
↑5 | “Le juste vit par la foi” |
↑6 | “pour les élus” |