Rien de nouveau sous le soleil, mais le sujet n’en finit pas d’être ressorti des tiroirs poussiéreux de la critique anticatholique à bon marché : l’Église serait sexiste, machiste et misogyne, en ce qu’elle priverait les femmes du sacerdoce et des fonctions hiérarchiques. L’accusation revient en force à l’heure de la dénonciation du cléricalisme et de la culture wok. Quatre réponses à un argumentaire éculé mais trop souvent repris.
1. Le sacrement de l’ordre est réservé aux hommes par institution divine.
Jésus s’est entouré de nombreuses femmes, mais les apôtres furent choisis seulement parmi des hommes, et ce sont eux que le Seigneur a retenus pour partager avec lui la dernière Cène. C’est donc à ces onze hommes que le Christ a commandé de renouveler son sacrifice : « haec quotiescumque feceritis, in mei memoriam facietis ». Il s’agit, écrit saint Jean-Paul II, d’une
« disposition libre et souveraine de Jésus-Christ, attestée par les Ecritures et la pratique des apôtres[1]Jean-Paul II, Christifideles Laici, 1988, n°51. ».
Ce choix du Sauveur peut-il simplement s’expliquer comme expression de représentations socio-culturelles de l’époque ?
Jésus n’était pas lié par le contexte de son temps, au contraire. La longue maturation biblique avait fait du peuple hébreu une société où la femme était exceptionnellement mise en valeur, selon les normes antiques. Dans ce cadre, Jésus n’hésite pas à accueillir des femmes déconsidérées, rejetées, en dépit de ses détracteurs : la Samaritaine, Marie-Madeleine, la femme adultère, l’hémoroïsse guérie en touchant la frange son vêtement (le flux de sang rendait impur pour les juifs). Dans la généalogie de Jésus dressée par saint Matthieu apparaissent quatre femmes : Thamar, Bethsabée, Ruth et Marie, qui ont en commun une situation matrimoniale irrégulière. Alors que le droit juif n’accorde pas au témoignage de la femme une valeur égale à celui de l’homme, c’est Marie-Madeleine, la pécheresse repentie, que Jésus choisit pour être l’apôtre des apôtres, le premier messager de sa résurrection.
Jésus n’avait donc pas peur de choquer en s’entourant de femmes ; l’une d’elles – Notre Dame – a reçu dans le plan de Dieu une place que n’approche aucune autre créature, et cependant c’est aux seuls apôtres que le Christ a transmis son sacerdoce. « Bien que la bienheureuse Vierge Marie dépassât en dignité et en excellence tous les apôtres, ce n’est pas à elle, mais à eux que le Seigneur a confié les clefs du Royaume des Cieux[2]Innocent III, Lettre aux évêques Burgos et Palencia, 11 décembre 1210.. »
À la suite de Jésus, les apôtres n’hésitèrent pas à s’appuyer sur des femmes pour travailler à la fondation de l’Église. Saint Paul en cite un grand nombre à la fin de ses épîtres, et l’on connaît sa proximité avec Eunice et Loïs, mère et grand-mère de son cher Timothée, dont il loue la foi[3]2Tm 1, 5., avec Lydie, première convertie de Macédoine et prémices de l’Église en Occident[4]Ac 16, 14., avec Priscille et son mari Aquila, ses fidèles auxiliaires de Corinthe, à qui il confie l’instruction de son apprenti Apollos[5]Ac 18, 26.. L’Apôtre s’est entouré d’hommes et de femmes qu’il considère indifféremment comme ses « collaborateurs[6]Rm 16, 3 ; Ph 4, 2-3. », mais dont certains seulement – uniquement des hommes, qu’il appelle « coopérateurs de Dieu[7]1Co 3, 9 ; 1Th 3, 2. », sont voués au ministère et à la prédication. Lorsque Paul demande aux femmes de ne pas prendre la parole dans les assemblées[8]1Co 14, 34. ou écrit que la femme doit être soumise à son mari comme l’Église l’est au Christ[9]Ep 5, 22-24., on ne peut se satisfaire de la réaction primaire qui crie au sexisme. La distinction nette entre les rôles occupés par l’homme et la femme dans la société des croyants est à bien comprendre en la situant au niveau de l’exercice dans l’Église des charges de gouvernement, d’enseignement et de sanctification, transmises par le Christ à la hiérarchie.
Ni Jésus ni ses apôtres n’étaient tenus par les préjugés de leur époque, et pourtant c’est sans hésiter qu’ils ont maintenu la pratique de réserver le ministère et l’ordination aux hommes, réserve d’institution divine, reçue et conservée par l’Église.
2. La pratique constante et ininterrompue de l’Église
Cette pratique reçue des apôtres a été conservée de manière constante et ininterrompue par l’Église, tant en Occident qu’en Orient, comme le rappela Jean-Paul II, qui put conclure « afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine de l’Église elle-même » que l’Église n’a aucun pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes[10]Jean-Paul II, Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, 22 mai 1994. . En effet, si l’Église possède un certain pouvoir sur les sacrements, elle ne peut en modifier la substance, instituée par le Christ.
On a parfois voulu relativiser la constance de cette pratique dans l’Église en mettant en avant le rôle des diaconesses, institution des premiers siècles qui députait des femmes pour des rôles particuliers dans certaines communautés – en Syrie à partir du IIIe siècle, puis en Occident. Une recherche historique sérieuse montre toutefois que les fonctions exercées par ces femmes ne pouvaient être confondues avec le ministère sacerdotal mais relevaient plutôt de la pratique de la charité au sein des églises, du soin des pauvres et des veuves, de l’accompagnement des catéchumènes, avec peut-être une participation propre à la cérémonie du baptême par immersion pour les femmes. L’exemple de la diaconesse Olympias, à laquelle saint Jean-Chrysostome écrivit les magnifiques lettres d’exil que nous a transmis la tradition patristique[11]Saint Jean Chrysostome, Lettres à Olympias, Sources Chrétiennes n°13, Paris, Cerf, 1976., montre que la distinction était indubitable dès les origines. Elle était fondée sur la relation propre avec le ministère de l’autel et du saint sacrifice constituée par la réception des saints ordres.
3. Une convenance fondée sur le lien au sacrifice
Cette exemption – et non privation, car ils ne peuvent être considérés comme un dû – des ordres sacrés, est en effet manifestée dans sa haute convenance par le lien étroit entre le sacerdoce et le sacrifice. L’autel où le prêtre exerce sa fonction est le lieu de l’immolation, de la victime, souvent consommée dans l’effusion de son sang – le don de la vie pour reconnaître le souverain empire de Dieu sur sa création. Cette charge sacerdotale ne semble pas convenir à la femme, destinée au contraire par Dieu à porter, donner et nourrir la vie – elle y est conformée par la disposition organique même de son corps. Cette constitution intime de la nature féminine semble incompatible avec la fonction sacrificatrice du prêtre. Cette distinction apparaît fondée dans la nature sexuée de l’homme, car elle se retrouve dans les diverses formes de culte. Les « prêtresses » des religions antiques participaient au culte d’une manière qui n’incluait pas l’exercice en propre du sacrifice : les vestales entretenaient le feu sacré, les adoratrices de l’Egypte ancienne étaient des chantres rituelles ; Hérodote pouvait ainsi conclure avec raison « aucune femme n’exerce la prêtrise d’un dieu ni d’une déesse[12]Hérodote, Histoires, II, 35.. »
En outre dans le sacrifice unique de l’Église – le sacrifice consommé par Jésus sur la croix et renouvelé à chaque messe, le prêtre et la victime sont identiques, constituant l’identité de l’acte[13]Catéchisme du Concile de Trente, chapitre XX, §8 : « unus etiam atque idem sacerdos est Christus Dominus. » : c’est le Christ qui s’offre au Père pour nous sauver. Le prêtre humain doit autant qu’il le peut se conformer au prêtre éternel, pour remplir aussi dignement que possible les fonctions de son sacerdoce : il doit être sacrificateur, mais aussi victime. Or il semble que la femme, appelée selon tout son être à se donner en premier dans la maternité, y trouve le lieu d’un renoncement – d’un sacrifice – bien plus exigeant et intime que celui que la nature exige de l’homme de par son travail ou sa paternité. Il conserve donc une disponibilité plus grande pour se conformer, si tel est l’appel divin, à l’état de victime du Christ, bon pasteur donnant sa vie pour le troupeau.
4. Distinction des missions au sein de l’Église
La mission de sanctification de l’Église prolonge l’envoi dans le monde du Fils et du Saint-Esprit, selon des missions distinctes quoique inséparables. La mission visible du Fils (l’Incarnation) se poursuit dans la visibilité de l’Église et de la Rédemption, à travers la hiérarchie, le gouvernement extérieur de l’Église, la prédication, les sacrements. Cette dimension renvoie aux aspects masculins du gouvernement de l’Église, en laquelle la capitalité du Christ est prolongée dans les apôtres et leurs successeurs. Les missions invisibles du Saint-Esprit (infusion de la grâce dans les âmes, inspiration intérieure) sont plus intimes et mystérieuses, sans intermédiation créée et perceptible. Cette dimension renvoie à des aspects plus féminins de l’action divine. Dieu est un père qui nous guide, protège et nourrit, mais il se présente parfois comme une mère qui ne peut oublier son enfant[14]Is 49, 15.. Saint François de Sales aime à recourir à l’image maternelle pour magnifier l’amour de Dieu, exhortant à demeurer « entre les bras de Dieu comme un petit enfant sur le sein de sa mère[15]Saint François de Sales, Lettre 2072. ». Saint Paul dit avoir été pour les Thessaloniciens comme un père, mais il aurait aimé aussi leur servir de nourrice[16]1 Th 2, 7-12.. La figure féminine offre ainsi comme un répondant créé à l’action du Saint-Esprit, alors que la figure masculine correspond à la mission du Fils poursuivie dans l’Église hiérarchique. On retrouve cette dimension mystérique au plus haut point chez Notre Dame, Vierge bénie que l’Esprit a « pris sous son ombre[17]Lc 1, 35.. » Bien loin d’être exclue du plan divin, la femme par excellence de la Nouvelle Alliance, Marie, est associée à la distribution de chacune des grâces qui la constituent. Elle n’y participe cependant pas comme dispensatrice d’un sacrement – rôle de médiation ministérielle du prêtre – mais en préparant, en disposant les âmes à recevoir la grâce dans les signes visibles par lesquels l’Église les transmet. Saint Thomas affirme que dans la médiation essentielle du Christ, le plan divin admet des médiateurs subordonnés, qui peuvent agir de manière ministérielle ou dispositive[18]Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 26, a. 1, corpus et a1m.
Il faut pour conclure contempler l’économie de la providence divine, réservant à chaque composante de notre nature une place admirable et merveilleusement adaptée, tout en notant que cette distinction des missions masculine et féminine au service de l’Église n’exclut pas parfois une certaine visibilité de l’action de grandes chrétiennes (Notre Dame à Cana, sainte Hildegarde de Bingen, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse d’Avila…). Il importe surtout de garder à l’esprit que ces missions distinctes trouvent leur fin et leur raison d’être dans la sainteté du Corps mystique tout entier : les grandeurs de hiérarchie n’existent en effet qu’« au service des grandeurs de sainteté[19]Charles Journet, Théologie de l’Église, Paris, DDB, 1958, p. 179. ».
Références[+]
↑1 | Jean-Paul II, Christifideles Laici, 1988, n°51. |
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↑2 | Innocent III, Lettre aux évêques Burgos et Palencia, 11 décembre 1210. |
↑3 | 2Tm 1, 5. |
↑4 | Ac 16, 14. |
↑5 | Ac 18, 26. |
↑6 | Rm 16, 3 ; Ph 4, 2-3. |
↑7 | 1Co 3, 9 ; 1Th 3, 2. |
↑8 | 1Co 14, 34. |
↑9 | Ep 5, 22-24. |
↑10 | Jean-Paul II, Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, 22 mai 1994. |
↑11 | Saint Jean Chrysostome, Lettres à Olympias, Sources Chrétiennes n°13, Paris, Cerf, 1976. |
↑12 | Hérodote, Histoires, II, 35. |
↑13 | Catéchisme du Concile de Trente, chapitre XX, §8 : « unus etiam atque idem sacerdos est Christus Dominus. » |
↑14 | Is 49, 15. |
↑15 | Saint François de Sales, Lettre 2072. |
↑16 | 1 Th 2, 7-12. |
↑17 | Lc 1, 35. |
↑18 | Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIIa Pars, q. 26, a. 1, corpus et a1m |
↑19 | Charles Journet, Théologie de l’Église, Paris, DDB, 1958, p. 179. |