Le chef de famille des Gonzague était marquis de Castiglione et prince du Saint-Empire. Tel est le pedigree de notre saint du jour, qui préférait pourtant se faire connaître comme clerc mineur que comme grand de ce monde.
L’enfance d’un grand de ce monde
Le mariage de ses parents avait été arrangé par les cours royales. Lors de sa difficile grossesse, sa pieuse mère eut recours à la sainte Vierge et fit vœu d’un pèlerinage à Lorette. Louis, aîné de famille, naquit en 1568, sous Pie V. Elevé dans la foi et la crainte de Dieu par sa mère, il développe rapidement un attrait pour la prière. Mais le marquis espère susciter en lui une vocation de chef de guerre. Vers l’âge de raison, il résout peu à peu de se consacrer à Dieu et de chercher en tout la perfection. Emmené à huit ans à la cour de Toscane pour y être élevé, il ne se laisse pas corrompre par l’atmosphère mondaine, continue ses exercices spirituels et s’en remet à la Sainte Vierge. Ses biographes traditionnels exaltent sa pudeur, qui l’aurait conduit à refuser de montrer jusqu’au bout de ses orteils à son valet de chambre ! Il passe à onze ans à la cour de Mantoue, dont le souverain était le nouveau protecteur de son père et y mène encore une vie retirée, plongé dans la vie des saints, fréquentant églises et monastères. Il prend alors la résolution de céder son droit d’ainesse à son petit frère Rodolphe, pour vaquer plus librement à Dieu. Il allait cependant jusqu’à négliger sa santé, et son père ordonna de le rapatrier au château familial pour qu’il y soit sous la garde bienveillante de sa mère. Il continue d’y travailler à la vertu et découvre l’oraison à travers la lecture d’un livre du P. Canisius, de la compagnie de Jésus. Il a le bonheur de rencontrer saint Charles Borromée lors d’un passage du cardinal à Castiglione : le saint l’exhorte à s’approcher de l’eucharistie fréquemment et lui donne la première communion. C’est le point de départ d’une profonde dévotion au très Saint-Sacrement. À treize ans il prend en secret la résolution de vivre selon les observances des vœux religieux, quoique dans le monde.
Prémices d’une vocation
Son Père l’emmène en 1581 en voyage officiel en Espagne, où Philippe II le donne pour page à son fils, le prince Jacques ; là encore le milieu de cour ne l’empêche pas de conserver une profonde vie spirituelle et sacramentelle, et de développer un goût prononcé pour l’étude de la philosophie. À seize ans il songe à réaliser son dessein et demande au jour de l’Assomption l’éclairage de Notre Dame sur la direction à prendre. Pendant son action de grâces il se sent appelé à entrer dans la compagnie de Jésus. Le marquis fut vivement ému et contrarié de cette résolution et, passant des caresses aux menaces, fit tout pour l’en détourner. Il remit finalement sa décision à leur retour en Italie, espérant que le temps dissiperait le désir de Louis. Obéissant à son père, Louis le suivit et le seconda dans plusieurs entreprises politiques et commerciales, mais sans jamais renoncer ni à son dessein profond, ni à sa règle de vie. Son père enfin se laissa fléchir et lui permit de rejoindre Rome et la compagnie. Il renonça donc à ses États en faveur de Rodolphe et dit adieu à ses sujets. Ayant rejoint Rome par Lorette, il baisa les pieds de Sixte V, alors régnant, puis entra au noviciat, le 25 novembre 1585.
Au noviciat de la compagnie
Il entreprit avec grande ferveur l’ouvrage de la perfection : issu du plus beau monde, il était le novice le plus modeste, doux et obéissant. Il se distinguait la grande retenue et pureté de son regard et de son langage, la modestie de ses gestes, dénonçant un cœur entièrement fixé sur le Seigneur. Il aimait à participer aux œuvres d’aumônerie de la compagnie, qui l’envoyait pauvrement vêtu et besace au dos dans les pires quartiers de la ville. L’oraison semblait faire toute son occupation, bien qu’il ne négligeât jamais les charges actives de la vie de novice. Il disait parfois que « celui qui n’est pas un homme d’oraison n’arrivera jamais à un haut degré de sainteté ». Il s’efforçait de conserver son âme « absolument libre de toute affection et de toute pensée étrangère » à Dieu. Il semblait à ses camarades favorisé de belles grâces : on dit qu’il ne fut pas plus longtemps distrait en six mois que la durée d’un Ave Maria. Il aimait en particulier à méditer sur les mystères de la Passion du Seigneur et de l’eucharistie. Il aspirait à de grandes pénitences corporelles, mais docile à la volonté de ses supérieurs, laissa ses jeunes ardeurs être modérées par les formateurs de la compagnie. Il accompagnait la mortification extérieure par une parfaite mortification intérieure de ses appétits et passions : curiosité, désir de paraître et de briller, tendance au bavardage et commérage. Il prit résolution de ne jamais parler de lui et surtout de ne jamais prononcer un mot à sa propre louange. Obéissance parfaite et égale, à laquelle il n’hésitait jamais à tout sacrifier : il a conscience lorsqu’il répond à une demande de ses supérieurs d’être précisément là où Dieu le veut. Son amour de la pauvreté le conduisit à ne conserver dans sa cellule absolument dépouillée qu’une image de sainte Catherine d’Alexandrie, une de saint Thomas d’Aquin, et un vieil exemplaire de la Somme théologique.
Désir de sacrifice et don de soi aux pestiférés
Il aurait aimé être envoyé aux Indes pour y donner sa vie en évangélisant les païens et soignant les pauvres, mais la volonté de Dieu était autre. Arrivant à Rome en 1591 après un voyage dans sa famille, il trouve la ville affligée de la peste et importuna immédiatement ses supérieurs pour obtenir permission de secourir les malades. Il fut bientôt saisi du même mal. Quoiqu’ayant pris par obéissance les remèdes prescrits, il se sentit peu à peu faiblir, et se réjouit de paraître bientôt devant le divin maître. Il rendit son âme à Dieu le jour de l’octave du Saint-Sacrement, 20 juin 1592, à vingt-deux ans. À sa mort on trouva son genou tout calleux, marqué de tant d’heures passées à genoux depuis l’enfance. Il fut béatifié en 1621 et canonisé en 1726.
Saint Louis de Gonzague est mort comme il avait vécu, plein de joie et d’humilité à l’idée de paraître devant son Dieu. Ne raconte-t-on pas à son sujet cette anecdote bien connue, que rapporte Péguy dans le petit texte qu’il lui a consacré ? Que ferions-nous si la fin du monde était dans vingt-cinq minutes, se demandent ses compagnons alors qu’ils jouaient à la « balle au chasseur » ? « Je continuerais à jouer à la balle au chasseur » répond Louis de Gonzague[1]Raconté par Charles Péguy, Oeuvres complètes, œuvres de prose, Paris, Editions de la Nouvelle Revue Française, 1917, p. 489.. Et Péguy de conclure : « Surtout gardons ce trésor des humbles, cette sorte de joie entendue qui est la fleur de la vie, cette sorte de saine gaieté qui est la vertu même et plus vertueuse que la vertu même[2]Ibid. p. 500.. »
Clerc mineur et saint
Saint Louis de Gonzague avait entamé avec sérieux la longue formation jésuite, mais n’était pas parvenu jusqu’au degrés sacrés du sacerdoce. Il avait été « minoré », c’est à dire ordonné portier, lecteur, exorciste et acolyte, en mars 1588. Dans sa délicatesse le Seigneur voulut respecter le grand désir d’humilité de notre saint, puisqu’il l’appela à lui comme clerc mineur, avant qu’il ne reçoive la totalité du sacrement de l’ordre.
Les ordres mineurs sont les premiers des sept degrés du sacerdoce, progressivement dégagés par la tradition chrétienne au cours du deuxième siècle, jusqu’à être fermement établis au milieu du troisième (on les trouve cités par le pape Corneille, mort en 253). Le nombre de sept est bien sûr symbolique, mais correspond à des fonctions ministérielles variées : les prêtres étaient ainsi assistés dans la garde des sanctuaires par les portiers, dans la protection et la lecture des rouleaux des livres saints par les lecteurs, dans la préparation des catéchumènes par les exorcistes et dans le service même de la messe par les acolytes. Trois ordres majeurs s’y ajoutaient, plus directement tournés vers le saint sacrifice : sous-diaconat, diaconat et presbytérat. Ces degrés furent de tradition dans l’Église pendant plus de dix-sept siècles, mais furent supprimés lors de la réforme liturgique en 1972. Ils sont toujours conférés dans les instituts traditionnels comme la Fraternité Saint-Pierre, qui y voit les étapes d’une conformation progressive au Christ prêtre des candidats au sacerdoce, à travers la réception de participations du sacrement de l’ordre. Le débat théologique historique porte sur leur sacramentalité : les ordres mineurs sont-ils réellement des sacrements, ou seulement des sacramentaux – à l’instar des diverses bénédictions données par l’Église aux personnes ? La conséquence majeure du débat est l’impression ou non du caractère sacramentel de l’ordre – marque indélébile qui conforme l’âme du candidat au Christ prêtre – d’une manière participée dès les premiers ordres mineurs. L’autorité de saint Thomas d’Aquin, qui montre que tous les degrés mineurs sont ordonnés à l’acte principal du sacerdoce sur le vrai corps du Christ – le saint sacrifice de la messe – va dans le sens d’une vraie sacramentalité des ordres mineurs. L’exemple de sainteté et de vie de saint Louis de Gonzague, dont l’esprit de sacrifice et de renoncement à soi apparaît vraiment sacerdotal, montre comment, seulement « minoré », le jeune jésuite était déjà profondément conformé au Christ prêtre et victime.