La question d’aujourd’hui est celle-ci : pourquoi vous inquiétez-vous sans cesse ? Pourquoi vous troubler de l’avenir ? Pourquoi tant d’angoisses dans votre cœur ?
Le paradoxe de l’âme chrétienne
En effet, l’âme chrétienne a vite fait de se laisser troubler par le monde extérieur et ses tentations. Nous vivons bien souvent à la surface de notre être, au-dehors de nous-mêmes, alors que l’essentiel de notre vie se joue à l’intérieur, dans le secret de notre cœur. C’est le grand paradoxe de la vie de l’homme : Dieu parle à son âme, mais l’homme se préoccupe à l’excès de son avenir, de sa famille, de son conjoint, de son travail, de l’argent, de la santé, de la politique, etc… Dieu tout-puissant veut s’attacher notre âme, et nous ne l’écoutons pas, obnubilés que nous sommes par la création plutôt que par son Créateur.
Le poison du doute
Saint Jacques nous dit dans son épître que « celui qui doute est semblable au flot de la mer, qui est agité et poussé çà et là par le vent. Que cet homme donc ne s’imagine pas recevoir quelque chose de Dieu » (Jc 1, 6-7). Le doute, c’est la tentation fondamentale du chrétien, à l’origine de tous les péchés. Autrement dit, le péché a toujours pour origine un doute : Dieu est-il présent dans ma vie ? Dieu existe-t-il ? Dieu me voit-il ? Dieu prend-il soin de moi en ce moment ? Parce qu’il doute de la réponse, le chrétien accepte la tentation dans sa vie. Dès lors, il perd la paix, et il devient semblable au flot agité par le vent.
C’est un péché de douter. Ne laissez jamais votre volonté choisir le doute, mes amis : vous y perdrez l’état de grâce, la charité, par le péché mortel commis tôt ou tard. Puis par votre faute, le Ciel vous étant désormais fermé, vous perdrez l’espérance. Alors, dans une grande tentative d’oublier le malheur et l’angoisse qui vous saisiront chaque fois que vous penserez à l’avenir et à la vie après la mort, vous déciderez que Dieu n’existe pas, et vous perdrez la foi. C’est malheureusement le cas régulièrement autour de nous. Des jeunes de familles catholiques, des hommes, des femmes, baptisés, confirmés, laissent le ver pourri du doute entrer dans leur âme. Et tout s’enchaîne, des cercles vicieux dans des cercles vicieux, jusqu’à la damnation éternelle en enfer, si la volonté mauvaise perdure dans ses choix.
Questions et doutes
Avoir des questions, c’est normal, c’est le propre de l’intelligence humaine ouverte, qui cherche, qui désire connaître le vrai, le beau, le bien : à toutes les questions, il faudra répondre petit à petit. Mais avoir des doutes, ce n’est pas normal : c’est toujours une mauvaise volonté. La volonté de ne pas prier, la volonté de ne pas chercher, la volonté de suivre des théories ou des pensées qui me plaisent et me flattent, la volonté d’aller dans les plaisirs faciles, la volonté de se venger contre un mal subi, etc…
Doutez-vous parfois de Dieu ? Pensez-vous que la tentation est trop forte, et la grâce trop faible ? Que Dieu est trop loin de vous pour continuer à vous battre et à mériter le Ciel ? Saint Jacques nous offre une autre perspective dans le combat spirituel : réjouissez-vous, quand les tentations et les doutes vous assaillent (car tentation n’est pas péché !) parce que « l’épreuve de votre foi produit la patience ; or la patience rend les œuvres parfaites de manière que vous soyez parfaits, accomplis, et ne manquant de rien… Bienheureux l’homme qui supporte la tentation, parce qu’après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l’aiment » (Jc 1, 3-4.12).
Que nos cœurs demeurent fixés là où sont les joies véritables
« Qu’au milieu des changements de ce monde, mon Dieu, nos cœurs demeurent fixés là où sont les joies véritables » prie l’Église dans une antique collecte[1]Missel Romain, 4e dimanche après Pâques, collecte Oui : le chrétien est solide dans la tentation car il est patient. Il ne faiblit pas, il ne change pas de cap ; il se bat contre vents et marées, avec patience et sérénité. Il courbe l’échine parfois, il subit les tentations du doute contre Dieu (redisons-le : tentation n’est pas péché !), tentations du découragement, de la colère, de la fatigue ; mais il les rejette fermement, instant après instant. Il garde la paix intérieure, car il sait qu’il est ancré sur un roc inébranlable, la pierre d’angle de tout l’édifice : Jésus-Christ ressuscité et assis à la droite de Dieu. Saint Jacques nous en dit plus sur ce Dieu : il est le « Père des lumières, chez qui il n’y a pas de variation, ni d’ombre, ni de changement » (Jc 1, 17). Comme c’est réconfortant ! Nous vivons dans un monde troublé, nos rythmes de vie sont parfois fous, excessifs, beaucoup trop rapides. Nous sommes submergés d’informations venant du monde entier. Les écrans, les lumières, les publicités, les musiques, tous nos sens sont saturés de données. Et pourtant, jamais Satan et ses sbires n’arriveront à enlever de l’âme fidèle la présence du Maître de toute chose. Et lui, ce doux Maître, trois fois saint, ne passe pas, ne change pas, ne crie pas. Il est là, dans le calme de l’âme. Tout ce que nous avons à faire, chaque jour, c’est de plonger quelques minutes la tête sous l’eau. La tempête est en surface, mes frères, mais au fond de l’océan, c’est le silence et le calme absolu.
Le secret : taisez-vous !
La réponse à cette question (pourquoi vous inquiétez-vous sans cesse ? Pourquoi vous troubler de l’avenir ?) a une réponse : taisez-vous ! Quand apprendrons-nous à nous taire ? Nous taire pour écouter ! L’homme moderne ne sait plus se taire, ne sait plus écouter la parole de Dieu qui ne passe pas. 2000 ans plus tard, la phrase de saint Jacques résonne avec une actualité étonnante : « que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler, et lent à se mettre en colère, car la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu… Recevez avec douceur la parole entrée en vous qui peut sauver vos âmes » (Jc 1, 19-21).
Taisez-vous ! Chaque jour, taisez-vous ! Fermez la porte de votre chambre, fermez les radios, télévisions, livres, bruits domestiques. Coupez tout. Taisez-vous. Pendant des jours, et des jours, vous n’entendrez plus rien que le silence, et cela vous troublera. Car l’oreille habituée aux bruits est gênée par le silence. Mais, à force de patience, sans jamais se décourager, sans se mettre en colère contre les difficultés (notamment dans la prière), vous commencerez enfin à écouter. Vous entendrez progressivement, dans votre cœur, une parole suave et douce qui vous apportera du réconfort, de la force et la certitude d’être aimé et protégé. Dieu parle à chacun de nous, mais seuls ceux qui se taisent parviennent à l’écouter.
Telle est la résolution que je rêve de nous voir tous prendre. Je rêve d’une communauté qui se tait et qui prie. Je rêve de familles où règnent des temps de silence, où on lit l’Évangile, on le porte, on vit avec. Cela commence par les parents. Une femme écrit un jour une lettre à son père spirituel : « cher père, en ce moment, je goûte des moments paradisiaques. Vous connaissez l’ambiance habituelle de la famille : hurlements des enfants, agitation… En ce moment, tout le monde est paisible, personne ne crie. Je vis des moments de bonheur. » La lettre continue. Au bas de la lettre, elle ajoute un PS : « priez pour moi, car en ce moment j’ai une extinction de voix. » Le prêtre commente cette lettre : « la malheureuse ! Elle n’a pas fait le lien entre le fait que comme elle ne crie plus, ses enfants ne crient plus. »
Oui, le silence extérieur amène le silence intérieur, et le silence intérieur amène la connaissance de Dieu et la vie intime avec lui, chaque seconde qui passe. Prions pour qu’un jour nous puissions tous répondre ensemble : « nous ne nous inquiétons de rien, nous ne nous troublons de rien, car Dieu est avec nous, et cela nous comble et nous suffit ».