Chemin de carême avec Claves.org : mardi de la quatrième semaine de carême
La lecture de ce jour nous fait rejoindre le peuple d’Israël au pied du Sinaï tandis que Moïse, sur le mont, attendait le don des tables de la Loi, jeûnant pendant quarante jours et quarante nuits.
Mais alors que le Seigneur, sur le mont, donne la Loi à Moïse, au pied de la montagne, le peuple la transgresse. Incapable de résister à l’attente et à l’absence du médiateur, les Juifs demandent à Aaron: « Allons, fais-nous un dieu qui aille devant nous, car ce Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Égypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé » (Ex 32, 1). Fatigués d’un chemin avec un Dieu invisible, à présent que Moïse, le médiateur, a lui aussi disparu, le peuple demande une présence tangible, perceptible, du Seigneur, et il trouve dans le veau de métal fondu fait par Aaron, un dieu rendu accessible, manœuvrable, à la portée de l’homme. C’est une tentation constante sur le chemin de foi: supprimer le mystère divin, en construisant un dieu compréhensible, correspondant à ses propres conceptions, à ses propres projets.
Être chrétien, c’est au contraire marcher humblement avec son Dieu dans l’obscurité de la foi, sans le voir, sans pouvoir le toucher, jusqu’à ce que se lève l’aurore définitive où nous nous rassasierons de son visage glorieux.
Mais si nous adorons un Dieu caché, il se révèle à ceux qui le cherchent avec un cœur droit. C’est exactement ce que Jésus affirme dans sa prédication au Temple aujourd’hui : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura si ma doctrine est de Dieu » C’est là une loi de la vie spirituelle : Dieu ne se révèle et n’octroie le don de la foi qu’à celui qui le désire sincèrement et qui est prêt à mettre sa vie en conformité avec ses enseignements.
Pour reconnaître Dieu par la foi, il faut que l’homme s’engage dans la pratique de l’honnêteté et de la justice. Souvent, ce qui fait obstacle à la foi dans une âme, ce ne sont pas des difficultés intellectuelles à accepter le mystère, mais plutôt un manque de courage pour accorder sa volonté aux commandements de Dieu. Si la conversion de saint Augustin fut si longue à venir, ce n’est pas à cause de difficultés à croire le mystère de la Sainte Trinité, mais en raison du rude combat qu’il dût mener dans sa volonté contre les passions charnelles.
Un jour que Lacordaire prêchait le Carême à Notre-Dame de Paris, deux étudiants le rejoignirent dans la sacristie pour lui opposer des arguments à ce qu’il venait de prêcher en chaire. Sans même les écouter, Lacordaire les renvoya chez eux avec cette consigne : « retournez chez vous, vivez la chasteté pendant quinze jours et revenez ensuite m’exposer vos objections ». Au bout de quinze jours, raconte-t-il, un seul des deux auditeurs revint pour lui dire qu’il n’avait plus d’objection.
« Défaites-vous de votre méchanceté, exhorte saint Jean Chrysostome, chassez la colère, l’envie, et cette haine que vous avez conçue contre moi sans raison, et alors rien ne vous empêchera de connaître que ma parole est véritablement celle de Dieu : voilà ce qui maintenant couvre votre esprit de ténèbres, voilà ce qui pervertit votre jugement et ne vous permet pas de voir la Vérité: si vous ôtez ces obstacles vos soupçons et vos doutes tomberont, et disparaîtront. »
Sans doute, nous ne nourrissons pas de colère ou de haine envers Dieu. Mais le message de Jésus peut me laisser moi aussi indifférent parce que je suis mondain. « En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux » (Mt 19, 23). Seuls les pauvres en esprit, seuls ceux qui reconnaissent qu’ils ont besoin de quelque chose, seuls ceux qui ressentent un manque et ne cherchent pas à le combler artificiellement, peuvent accueillir la Parole de Dieu. D’où l’importance de l’esprit de pauvreté pour tous ceux qui veulent vivre dans la foi. Pauvreté par rapport aux biens matériels, certes, mais aussi, plus radicalement, pauvreté par rapport aux « honneurs », à la « gloire », c’est-à-dire à la reconnaissance sociale. Être quelqu’un d’apprécié, quelqu’un « qui compte » dans une communauté ou une famille, voilà une richesse fort délicate à gérer et plus dangereuse qu’un compte en banque bien rempli. Elle risque d’aliéner notre liberté intérieure, de nous faire vivre en esclave du regard des autres, prisonnier de la belle image que nous voulons donner ou que l’on attend de nous, à l’exemple des Pharisiens.
Si j’ai du mal à gérer cette richesse, à mortifier cet esprit mondain, une seule solution: agir contre! Cela me libérera. Connaissez-vous les litanies de l’humilité du cardinal Merry del Val ?