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Où est la vraie force ?

Image par Pexels de Pixabay
La force, confondue un temps avec la violence, a été largement dévalorisée après les guerres mondiales : elle revient aujourd’hui au goût du jour avec l’engouement pour le sport, la musculation, les sports de combat, le coaching mental… Cette vision de la force est-elle juste ? Quelle est la vraie force chrétienne ?
L’abbé Stanislas de la Rochefoucauld, jeune prêtre de la Fraternité Saint-Pierre, est ancien kinésithérapeute : il croise son expérience paramédicale, sa connaissance de la philosophie aristotélicienne et de la théologie morale pour nous donner un regard très original sur la vertu de force.

De la force à la virilité

La force est associée à la virilité depuis l’antiquité et les rapports de force déterminèrent longtemps les relations entre états, royaume ou empires. Avec l’avancée technologique, la force s’est confondue avec la puissance et est devenu synonyme de violence. Sa manifestation tragique dans les deux guerres mondiales a eu pour conséquence sa dépréciation. Cette dévalorisation a atteint son paroxysme dans les années 70 avec le mouvement hippie et leur fameux slogan « peace and love ». Mais depuis quelques années nous assistons à une revalorisation de la force, comme réaction à la dévirilisation de la société. Cette revalorisation s’est notamment manifestée par la multiplication des salles de sport, de gym ou encore dans l’engouement pour les sports de combats comme la MMA (En français « Arts Martiaux Mixtes »). Nous ne comptons plus les tutoriels et les chaînes Youtube consacrés au développement du corps ou au coaching mental pour être plus fort. Le deuxième Youtubeur le plus regardé en France est « Tibo in Shape » dont le fond de commerce est le conseil fitness et musculation.

Or cette vision de l’homme fort, si elle part d’un bon principe, reste erronée et conduit même à de graves excès, comme le culte du corps et l’hédonisme. Comment le chrétien doit-il alors se positionner face à ce retour de l’homme viril voir hyper-viril ? Qu’entend l’Église lorsqu’elle parle d’homme fort ? Comment concrètement se manifeste la force pour un chrétien ? C’est à ces différentes questions que nous essaierons de répondre, avec une approche un peu différente de celle classique d’Aristote et de saint Thomas, à partir de mon expérience de kinésithérapeute et de ce que j’y ai appris dans les différents types de contraction musculaire. Cette comparaison d’avec la force physique devrait parler à beaucoup, spécialement aux afficionados des salles de sport.

La force : vertu de l’âme

Tout d’abord, nous parlons ici de la force comme vertu, elle n’est donc pas à rechercher du côté de vos muscles mais de vôtre âme. Comme toute vertu, elle est une disposition de l’âme en vue de quelque chose. L’objet de la force est le bien ardu. J’aimerais faire ici une première distinction. Un bien peut être ardu en soi, bien ardu objectif, ou selon nous, bien ardu subjectif. Éduquer un enfant est un bien ardu en soi car il est complexe et long, même très long. Se lever le matin quand le réveil sonne n’est pas un bien ardu en soi, mais le devient par l’accumulation de la fatigue dû à des veilles prolongées, par l’idée peu enthousiasmante d’aller à l’école ou au travail etc. Ma première remarque est la suivante : des biens faciles peuvent devenir ardus par de mauvaises habitudes. Or il y a déjà suffisamment de biens ardus en soi pour ne pas en rajouter davantage. Si vous ne voulez pas perdre toutes vos forces avant la bataille, repérez ces différents « biens ardus » subjectifs qui sont en réalité des biens faciles objectifs. Réappréciez-les à leur juste valeur : ils demandent un effort oui, mais cet effort n’est pas dramatique ! C’est comme si vous me disiez que le plus dur chez le kiné, c’est d’y aller !

Trois manières de contracter un muscle

Concentrons-nous maintenant sur les biens ardus en soi. Comme pour la force physique, où le muscle se contracte différemment selon l’effort à produire, la vertu de force se manifestera différemment en fonction du bien ardu qui se présente à lui. Or un bien ardu peut être envisagé de plusieurs manières, il peut être déjà possédé et demande à être protégé, ou il peut ne pas être encore possédé et doit alors être acquis. Aux trois manières différentes d’un muscle de se contracter, correspond trois manières différentes de « contracter » notre vertu de force.

Nous distinguons ainsi dans la force physique : 

    • la contraction isométrique: le muscle se contracte mais les points d’insertion du muscle ne bougent pas. C’est le cas par exemple lorsque deux personnes font un bras-de-fer et que leurs forces égales se compensent, n’entrainant aucun mouvement du bras malgré la contraction.
  • la contraction concentrique: elle est la plus connue, c’est celle qui provoque un rapprochement des points d’insertion du muscle. Par exemple quand on contracte le biceps et que le coude se plie.
    • la contraction excentrique : elle consiste en une contraction musculaire où les points d’insertion s’éloignent. C’est le cas des randonneurs qui, descendant une pente, freinent leur foulée en contractant leurs quadriceps tout en laissant le genou se plier (pour rappel : le quadriceps en concentrique étend la jambe). L’excentrique a une vertu de freinage, de contrôle d’un mouvement qui sinon serait précipité et trop violent.

Trois manières d’user de la vertu de force

À ces trois contractions physiques correspondraient trois modalités de la vertu de force :

    • La vertu de force isométrique (le bras-de-fer) consisterait dans la résistance à la tentation. C’est le sustinere (« supporter ») d’Aristote. Elle consiste à soutenir un siège. Le bien est possédé, il est dans la forteresse, mais il est attaqué de l’extérieur par les tentations et le monde. Le but est de tenir ferme, de camper sur ses positions. C’est celle qui nous maintient dans le bien malgré les attaques extérieures. C’est de cette force dont parle saint Pierre lorsqu’il écrit : « Fratres sobrii estote, et vigilate : quia adversarius vester diabolus tamquam leo rugiens circuit, quaerens quem devoret : cui resistite fortes in fide » : « Mes frères : Soyez sobres et veillez, car votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde autour de vous, cherchant qui il pourra dévorer : résistez-lui, forts dans la foi[1]1P 5, 8-9 ; Lecture brève de l’office de Complies. »
  • La vertu de force concentrique (la contraction du biceps en pliant le coude) est celle, à l’inverse, qui nous fait œuvrer pour obtenir un bien. Elle consiste dans l’aggredi (« attaquer ») dont parle Aristote, c’est l’attaque. On se retrouve dans la situation inverse de la première : on cherche un bien qui est « protégé » par une forteresse et on attaque la place pour enlever ce bien. C’est de cette force dont parle Notre Seigneur quand il dit que le Ciel appartient aux violents qui s’en emparent : « Depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s’en emparent. » (Mt 11,12).
    • La vertu de force excentrique (qui freine la foulée du randonneur) consisterait alors, dans la vertu de tempérance d’Aristote. Le bien n’est pas possédé, mais de par son caractère concupiscible (immédiatement attirant), il demande une certaine retenue dans son obtention et dans l’élan qui nous y porte. Je considère la tempérance comme une sorte de force car elle demande un effort et que le bien devient ardu par le fait même qu’il est violent dans sa désidérabilité. Comme le marcheur qui est obligé de contracter ses muscles pour freiner sa descente, de même l’homme vertueux doit faire preuve de force pour freiner cet appétit sensible concupiscible. C’est cette force qui manqua aux Corinthiens lorsqu’ils ne surent pas faire preuve de modération lors des repas qui précédaient la célébration de la sainte messe, alors que d’autres ne mangeaient pas à leur faim. L’attrait sensible de la nourriture a été trop fort, ou plutôt, ils n’ont pas été assez forts pour prendre ce qui leur était nécessaires et partager le reste : « lors donc que vous vous réunissez ce n’est plus le repas du Seigneur que vous célébrez ; car, à table, chacun commence par prendre son propre repas, en sorte que tels ont faim, tandis que d’autres se gorgent. » (1 Co 11, 20-21).

La force physique au service de la force-vertu

Je pourrais continuer à filer la métaphore de la force physique en parlant de force max, de force explosive, de pliométrie et d’endurance, mais cela nous mènerait trop loin. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’homme fort n’est évidemment pas l’hercule des temps anciens (ce qui relance les femmes dans la course). La force physique n’est vertueuse que si elle est mise au service de la force-vertu. Tous les métiers physiques imposent une certaine musculation pour accomplir correctement la tâche exigée, mais le développement du corps pour le seul motif d’être admiré, notamment l’été sur la plage, serait vain et donc peccamineux.

Non, l’homme fort au sens chrétien du terme, c’est l’homme vertueux tout simplement. C’est celui qui protège avec force le dépôt précieux de sa foi et les commandements de Dieu, et qui se bat pour développer les vertus qu’il ne possède pas encore parfaitement. Le fort c’est celui qui est maître de soi en toute circonstance. Il fait le bien qu’il a décidé, promptement, joyeusement et bien, et il ne commet pas le mal qu’il sait être mauvais. Comme en toute vertu, on est plus ou moins avancé si l’on est plus ou moins disposé à poser des actes de force. Et on est plus ou moins disposé par la répétition des actes que l’on pose. Si desservir le lave-vaisselle est un effort surhumain pour vous, je vous invite à le desservir trois fois par jour pendant trente jours ! Plus on pose des actes de force, plus on se dispose à en poser de nouveaux. À l’inverse, moins on pose des actes de force, moins on se dispose à en poser de nouveaux. On devient alors faible dans la vertu, atrophié, incapable de faire le bien que l’on veut et d’éviter le mal qu’on ne veut pas, jusqu’à ce qu’on finisse par estimer bien le mal qu’on voulait éviter et mal le bien qu’on voulait faire. L’inversion des valeurs est la conséquence ultime de la non pratique de la vertu de force. Notre société est perverse car elle est faible : être vertueux lui demande trop d’effort, elle y a donc renoncé.  

Références

Références
1 1P 5, 8-9 ; Lecture brève de l’office de Complies
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